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Ariane Web: Conseil d'État 433595, lecture du 23 octobre 2019

Analyse n° 433595
23 octobre 2019
Conseil d'État

N° 433595 433618
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du mercredi 23 octobre 2019



46-01-02-02 : Outremer- Droit applicable- Statuts- Polynésie française-

Accès aux emplois salariés du secteur privé - Possibilité de favoriser les personnes résidant en Polynésie française (art. 18 de la loi organique du 27 février 2004 - 1) Principe - 2) Mise en oeuvre - "loi du pays" du 8 juillet 2019 - a) Priorité d'embauche dans certaines activités lorsque plus de 10 % des recrutements concernent des salariés résidant depuis peu en Polynésie - Légalité - Existence - b) Mesure de protection exigeant le respect d'une démarche administrative et d'un délai avant de pourvoir un poste vacant par un non-résident - Légalité - Absence en tant qu'elle exclut les embauches réalisées dans l'urgence - Conséquence - Promulgation de la "loi du pays" sous réserve de sa non-application dans cette mesure.




1) Il résulte du dixième alinéa de l'article 74 de la Constitution et de l'article 18 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, lequel prévoit notamment que la Polynésie française peut prendre des mesures favorisant l'accès aux emplois salariés du secteur privé au bénéfice des personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence sur son territoire, que les mesures prises sur le fondement de ces dispositions constitutionnelles et organiques ne peuvent intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre du statut d'autonomie de la Polynésie française dès lors qu'elles dérogent, notamment, au principe constitutionnel d'égalité. 2) "Loi du pays" n° 2019-18 LP/APF adoptée le 8 juillet 2019 instituant une priorité d'embauche, à conditions de qualification et d'expérience professionnelles égales, au bénéfice des personnes justifiant d'une durée de résidence de dix, cinq ou trois ans sur le territoire de la Polynésie française, selon qu'il s'agit d'activités professionnelles nécessitant une protection renforcée, intermédiaire ou minimale de l'emploi local. a) Il ressort des pièces du dossier que l'Assemblée de la Polynésie française, sur le fondement des articles 74 de la Constitution et 18 de la loi organique du 27 février 2004, a entendu favoriser l'accès à l'emploi des populations résidentes depuis une certaine durée sur le territoire. A cette fin, elle a prévu que lorsqu'une activité professionnelle dont la liste est arrêtée chaque année, atteint 10 % de recrutements de salariés dont la durée de résidence, appréciée à partir de leur date d'inscription à la caisse de prévoyance sociale, est respectivement de moins de dix, cinq ou trois ans, cette activité peut justifier d'une protection "minimale", "intermédiaire" ou "renforcée". Ce seuil conduit à instaurer, pour les nouvelles embauches et en faveur des personnes justifiant d'une durée d'inscription à la caisse de prévoyance sociale supérieure, selon les cas, de trois ans, cinq ans ou dix ans, une priorité de recrutement à conditions de qualification et d'expérience professionnelles égales. Le taux unique retenu à partir duquel une activité professionnelle est éligible à une mesure de priorité d'embauche, d'une part, répond à l'objectif d'aider les populations concernées à accéder à l'emploi en minimisant le nombre de demandeurs d'emploi résidant depuis une certaine durée en Polynésie française, d'autre part, apparaît, en l'état de la situation de l'emploi local, strictement nécessaire à cette fin. L'article contesté de la "loi du pays" est ainsi conforme tant à l'article 74 de la Constitution qu'à l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004. b) "Loi du pays" prévoyant que, s'agissant de l'exercice d'une activité professionnelle soumise à une mesure de protection de l'emploi local, sauf lorsqu'il embauche une personne satisfaisant à la condition de durée de résidence, l'employeur doit notifier l'emploi vacant au service en charge de l'emploi et qu'il ne peut procéder à l'embauche d'une personne non bénéficiaire de cette protection aussi longtemps que ne lui a pas été délivrée, par ce service, une attestation constatant l'impossibilité de pourvoir l'offre par une candidature d'un bénéficiaire de la mesure de protection de l'emploi local ou qu'il n'a pas reçu, dans le délai d'un mois du dépôt de l'offre, une proposition de candidature par ce service. "Loi du pays" prévoyant que le non-respect de ces procédures fait l'objet d'une amende administrative. En tant qu'elle ne réserve pas, en ce qui concerne la procédure d'embauche pour l'exercice d'une activité professionnelle soumise à une mesure de protection de l'emploi local, le cas des embauches réalisées dans l'urgence, la "loi du pays" va au-delà des strictes nécessités pour soutenir l'emploi local et méconnait en conséquence l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004. Il en résulte que l'article correspondant est illégal dans cette mesure. Le constat de cette seule illégalité, conformément à l'article 177 de cette même loi organique, ne fait pas obstacle à la promulgation de la "loi du pays" sous réserve, tant que cette dernière n'aura pas été complétée sur ce point, qu'il n'en sera pas fait application aux embauches réalisées en urgence.

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