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Ariane Web: Conseil d'État 439674, lecture du 22 mars 2020

Analyse n° 439674
22 mars 2020
Conseil d'État

N° 439674
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du dimanche 22 mars 2020



54-035-03-03-01-02 : Procédure- Procédures instituées par la loi du juin - Référé tendant au prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (art- L- du code de justice administrative)- Conditions d'octroi de la mesure demandée- Atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale- Atteinte grave et manifestement illégale-

Cas d'épidémie avérée - Atteinte grave et manifestement illégale aux droits au respect de la vie et à la santé de la population - 1) Absence d'édiction de mesures visant à la mise en place d'un confinement total de la population -- Absence, au regard des moyens dont dispose l'administration et de la nécessité de maintenir certaines activités vitales - 2) Mesures visant à restreindre les déplacements - a) Existence si ces mesures sont inexactement interprétées et leur non-respect insuffisamment sanctionné - b) Conséquence - Injonctions de préciser, réexaminer ou évaluer certaines mesures.




Requérant soutenant que les mesures de confinement ordonnées par le Premier ministre et le ministre de la santé afin de prévenir la propagation du covid-19 sont insuffisantes et que cette carence des autorités constitue ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier de l'ensemble des personnels soignants particulièrement exposés aux contaminations. Requérant demandant, pour faire cesser cette atteinte, qu'il soit enjoint au Premier ministre et au ministre de la santé de décider l'interdiction totale de sortir de son lieu de confinement, sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, l'arrêt des transports en commun, l'arrêt des activités professionnelles non vitales et la mise en place d'un ravitaillement à domicile de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement. 1) Si un confinement total de la population dans certaines zones peut être envisagé, les mesures demandées au plan national ne peuvent, s'agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées, et organisées sur l'ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l'administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d'approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie et à retarder l'acheminement des matériels indispensables à cette protection. En outre, l'activité indispensable des personnels de santé ou aidants, des services de sécurité de l'exploitation des réseaux, ou encore des personnes participant à la production et à la distribution de l'alimentation rend nécessaire le maintien en fonctionnement, avec des cadences adaptées, des transports en commun, dont l'utilisation est restreinte aux occurrences énumérées par le décret du 16 mars 2020. Par ailleurs, la poursuite de ces diverses activités vitales dans des conditions de fonctionnement optimales est elle-même tributaire de l'activité d'autres secteurs ou professionnels qui directement ou indirectement leur sont indispensables, qu'il n'apparaît ainsi pas possible d'interrompre totalement. Par suite, il n'apparait pas que le Premier ministre ait fait preuve d'une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l'ensemble du territoire selon les modalités demandées par le syndicat requérant. 2) a) En l'état actuel de l'épidémie, si l'économie générale des différents arrêtés par lesquels le ministre de la santé a interdit les rassemblements de plus de cent personnes, décidé la fermeture, sauf exceptions, des établissements recevant du public ainsi que des établissements d'accueil des enfants et des établissements d'enseignement scolaire et supérieur, et du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 par lequel le Premier ministre a interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitatives, tenant à diverses nécessités, ainsi que tout regroupement avec la possibilité, pour le représentant de l'État dans le département d'adopter des mesures plus strictes si des circonstances locales l'exigent, ne révèle pas une telle carence, celle-ci est toutefois susceptible d'être caractérisée si leurs dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné. Les échanges ayant eu lieu au cours de l'audience font apparaitre l'ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d'alerte diffusés à la population. Il en va ainsi tout d'abord du 3° de l'article 1er du décret du 16 mars 2020 qui autorise, sans autre précision quant à leur degré d'urgence, les "déplacements pour motif de santé". La portée du 5° du même article qui permet les "déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie" apparait trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le "jogging". Enfin, il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l'interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale. b) Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre dans les quarante-huit heures les mesures suivantes : - préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ; - réexaminer le maintien de la dérogation pour "déplacements brefs à proximité du domicile" compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ; - évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.




54-035-03-04-01 : Procédure- Procédures instituées par la loi du juin - Référé tendant au prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (art- L- du code de justice administrative)- Pouvoirs et devoirs du juge- Mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge des référés-

Cas d'épidémie avérée - Ediction de mesures visant à restreindre les déplacements - Atteinte grave et manifestement illégale aux droits au respect de la vie et à la santé de la population - Existence si ces mesures sont inexactement interprétées et leur non-respect insuffisamment sanctionné - Conséquence - Injonctions de préciser, réexaminer ou évaluer certaines mesures.




En l'état actuel de l'épidémie de Covid-19, si l'économie générale des différents arrêtés par lesquels le ministre de la santé a interdit les rassemblements de plus de cent personnes, décidé la fermeture, sauf exceptions, des établissements recevant du public ainsi que des établissements d'accueil des enfants et des établissements d'enseignement scolaire et supérieur, et du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 par lequel le Premier ministre a interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitatives, tenant à diverses nécessités, ainsi que tout regroupement avec la possibilité, pour le représentant de l'État dans le département d'adopter des mesures plus strictes si des circonstances locales l'exigent, ne révèle pas une telle carence, celle-ci est toutefois susceptible d'être caractérisée si leurs dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné. Les échanges ayant eu lieu au cours de l'audience font apparaitre l'ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d'alerte diffusés à la population. Il en va ainsi tout d'abord du 3° de l'article 1er du décret du 16 mars 2020 qui autorise, sans autre précision quant à leur degré d'urgence, les "déplacements pour motif de santé". La portée du 5° du même article qui permet les "déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie" apparait trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le "jogging". Enfin, il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l'interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre dans les quarante-huit heures les mesures suivantes : - préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ; - réexaminer le maintien de la dérogation pour "déplacements brefs à proximité du domicile" compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ; - évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.




61-01-01-02 : Santé publique- Protection générale de la santé publique- Police et réglementation sanitaire- Lutte contre les épidémies-

Cas d'épidémie avérée - 1) Compétence des autorités de l'Etat pour prendre des mesures de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie - a) Compétence du PM en vertu de ses pouvoirs propres , en particulier en cas de circonstances exceptionnelles - b) Compétence du ministre chargé de la santé sur le fondement de l'article L. 3131-1 du CSP - 2) Exigence de proportionnalité de ces mesures.




1) a) Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée. b) En outre, en vertu de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique (CSP), le ministre chargé de la santé peut, dans un tel cas, prescrire "toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population (?)". Dans cette situation, il appartient à ces autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. 2) Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d'exercice d'une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

Voir aussi