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Ariane Web: Conseil d'État 440764, lecture du 22 juillet 2020

Analyse n° 440764
22 juillet 2020
Conseil d'État

N° 440764
Publié au recueil Lebon

Lecture du mercredi 22 juillet 2020



46-01-02-02 : Outremer- Droit applicable- Statuts- Polynésie française-

"Loi du pays" (loi organique du 27 février 2004) - I) Recours par voie d'action après la promulgation - 1) Principe - Exclusion (1) - 2) Exception - "Loi du pays" promulguée prématurément - a) Recours contre le seul acte de promulgation - Conséquence d'une annulation (2) - "Loi du pays" cessant d'être exécutoire et publication ouvrant le délai de recours en déclaration d'illégalité (art. 176 de la loi organique) - b) Recours contre l'acte de promulgation et la "loi du pays" - i) Cas d'annulation de l'acte de promulgation - Recours contre la "loi du pays" regardé comme un recours en déclaration d'illégalité - ii) Absence d'annulation de l'acte de promulgation - Recours en annulation - c) Recours contre la seule "loi du pays" - Recours en annulation - II) Circonstances exceptionnelles justifiant la promulgation prématurée d'une "loi du pays" - Existence, en l'espèce (3) - III) Compétence de la Polynésie française - Inclusion - Mesures permettant de prévenir et de limiter les effets d'une crise sanitaire grave sur la santé de la population polynésienne.




I) 1) Il résulte des articles 176, 177, 178, 180, 180-1 et 180-2 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 que les actes dits "lois du pays" qui ne sont pas relatifs aux impôts et aux taxes ne peuvent, en principe, pas faire l'objet d'un recours par voie d'action après leur promulgation par le président de la Polynésie française. 2) Il en va toutefois différemment quand l'acte dit "loi du pays" a été prématurément promulgué, que cette promulgation intervienne avant l'expiration du délai d'un mois prévu au premier alinéa de l'article 178 de la loi organique ou, si le Conseil d'Etat a été saisi, avant l'expiration du délai de trois mois prévu au I de l'article 177. a) En cas de promulgation prématurée, si le Conseil d'Etat est saisi d'un recours dirigé seulement contre l'acte de promulgation, lequel peut être contesté au motif qu'il méconnait les exigences qui découlent de l'article 177 de la loi organique ou qu'il est entaché d'un vice propre, et si le Conseil d'Etat prononce l'annulation de cet acte, la "loi du pays" cesse d'être exécutoire et la publication qui a été faite de la "loi du pays" promulguée vaut publication pour information, ouvrant le délai de recours par voie d'action prévu par l'article 176 de la loi organique. b) i) Si, en cas de promulgation prématurée, le Conseil d'Etat est simultanément saisi de conclusions dirigées contre l'acte de promulgation et contre la "loi du pays" promulguée et s'il annule l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la "loi du pays" est alors regardé comme un recours tendant à déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique la délibération adoptée par l'assemblée de la Polynésie française. ii) S'il rejette les conclusions dirigées contre l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la "loi du pays" présente le caractère d'un recours en annulation. c) Enfin, si le Conseil d'Etat n'est saisi, dans le délai d'un mois suivant la publication de la "loi du pays" prématurément promulguée, que d'un recours par voie d'action contre la "loi du pays", ce recours présente le caractère d'un recours en annulation. Il appartient alors au Conseil d'Etat d'annuler les dispositions de la "loi du pays" qu'il juge contraires au bloc de légalité voire, si ces dispositions ne sont pas séparables des autres dispositions de l'acte, d'en prononcer l'annulation totale. II) Le président de la Polynésie française a promulgué la "loi du pays" résultant de la délibération n° 2020-11 LP/APF sur la prévention et la gestion des menaces sanitaires graves et des situations d'urgence sans respecter ni la mesure de publicité ni le délai fixé par l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004. Toutefois, en raison des circonstances exceptionnelles résultant de l'épidémie de covid-19 sur le territoire français et dans le monde, lesquelles ont conduit à l'adoption de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 et à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire à compter du 24 mars 2020 sur l'ensemble du territoire national, des difficultés particulières de prise en charge sanitaire dans les îles de la Polynésie française et de l'urgence qui s'attache à la possibilité, pour les autorités de la collectivité, de prendre les mesures propres à préserver la santé publique, la promulgation prématurée de la "loi du pays" contestée, par l'acte attaqué, laquelle ne prive pas les personnes intéressées de la possibilité d'exercer un recours, ne peut, dans les circonstances particulières de l'espèce, être tenue pour illégale. III) Il ressort des articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 que si l'Etat est compétent en matière de préparation des mesures de sauvegarde, d'élaboration et de mise en oeuvre des plans opérationnels et des moyens de secours nécessaires pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes, les questions de santé publique relèvent de la compétence de la Polynésie française. "Loi du pays" disposant qu'en cas de menace grave ou de crise sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, le conseil des ministres peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure réglementaire proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences possibles sur la santé de la population de Polynésie française. Ces dispositions, qui ont pour objet de permettre au gouvernement de la Polynésie française de prendre par arrêté des mesures sanitaires permettant de prévenir et de limiter les conséquences possibles sur la santé de la population polynésienne d'une crise sanitaire grave, ne se rattachent pas, pour l'application de la loi organique du 27 février 2004, à la sécurité civile mais à la santé publique. Elles entrent ainsi dans le champ de compétence de la Polynésie française.


(1) Cf. CE, 7 novembre 2018, et , n° 420284 et s., T. p. 796 ; CE, 13 mars 2019, Toumaniantz et syndicat de la fonction publique, n° 426435, T. p. 861. (2) Rappr., sur l'absence d'incidence de l'illégalité de l'acte de promulgation sur la légalité de la loi du pays promulguée, CE, 5 décembre 2008, Flosse et autres, n° 320412, T. p. 826. (3) Rappr., s'agissant du respect des règles de procédure prévues par l'article 46 de la Constitution, Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-799 DC, Loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Voir aussi