Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 437600, lecture du 16 novembre 2020
Analyse n° 437600
Conseil d'État

N° 437600
Publié au recueil Lebon

Lecture du lundi 16 novembre 2020



61-01-01 : Santé publique- Protection générale de la santé publique- Police et réglementation sanitaire-

Dispositifs médicaux - Responsabilité des autorités chargées de la police sanitaire - Application d'un régime de faute simple (1) - Espèce - Absence de faute de l'autorité nationale.




Femme s'étant fait poser, le 30 novembre 2009, dans le cadre d'une reconstruction mammaire, des implants fabriqués par la société A. AFSSAPS ayant décidé le 29 mars 2010, sur le fondement de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique, à la suite d'une inspection dans les locaux de la société qui a montré que celle-ci commercialisait des implants mammaires remplis d'un gel de silicone différent de celui indiqué dans le dossier de conception ayant fait l'objet d'une évaluation, de suspendre la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation des implants mammaires pré-remplis de gel de silicone fabriqués par cette société, jusqu'à leur mise en conformité avec les exigences essentielles mentionnées à l'article R. 5211-17 du même code, et lui ayant ordonné de procéder au retrait des implants mammaires pré-remplis de gel de silicone, en tout lieu où ils se trouvent. Intéressée ayant subi le 2 mai 2011, conformément aux préconisations de l'AFSSAPS, une nouvelle intervention destinée à explanter ses prothèses mammaires à titre préventif. Intéressée ayant recherché la responsabilité de l'Etat du fait de la carence fautive de l'AFSSAPS, dans sa mission de police sanitaire, et ministre s'étant pourvu en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif a condamné l'Etat à réparer le préjudice moral de l'intéressé. Le tribunal administratif a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des faits, que la société A avait soumis les prothèses mammaires pré-remplies de gel de silicone qu'elle fabriquait à la certification d'un organisme désigné à cette fin, la société allemande B, qui a attesté de leur conformité aux exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, puis a réalisé des audits réguliers le conduisant à renouveler ses certificats de conformité. Il a également relevé que jusqu'en 2007, le suivi des déclarations de matériovigilance effectuées par les chirurgiens concernant les prothèses fabriquées par la société A faisait apparaître une relative stabilité de leur nombre, compris entre 6 et 12 selon les années, alors que 34 déclarations ont été enregistrées en 2008, dont 21 cas de ruptures d'enveloppe. Il a noté que le bilan des incidents reçus sur les prothèses mammaires, toutes marques confondues et quel que soit le liquide de remplissage, présenté au conseil scientifique de l'AFSSAPS en avril 2009 avait conclu à la stabilité des incidents rencontrés sur les prothèses mammaires pré-remplies de silicone au regard de la progression des ventes de ces produits et que si la synthèse des données de vigilance faite par l'agence en août 2009, portant sur les prothèses mammaires en silicone, avait mis en évidence l'augmentation du nombre de déclarations, le taux constaté par rapport au nombre total de prothèses vendues par le fabricant au cours des années écoulées restait toutefois comparable à celui des autres fabricants. Il a relevé que, le 26 octobre 2009, un chirurgien plasticien avait fait part à l'AFSSAPS de 13 destructions d'implants du fabricant A et que, le 26 novembre 2009, l'agence avait reçu un courrier de dénonciation assorti de photographies de bidons de matière première différente du gel déclaré par la société A comme liquide de remplissage des prothèses. La société A avait été convoquée par l'agence à une réunion le 18 décembre 2009, au cours de laquelle il lui avait été demandé de fournir de très nombreux éléments, suivie de nouvelles demandes d'informations les 31 décembre 2009 et 19 janvier 2010, en raison de l'insuffisance des éléments de réponse apportés. L'analyse, au mois de février 2010, des données fournies par la société avait motivé une inspection de la part de l'agence, qui s'était déroulée du 16 au 18 mars 2010 et qui avait révélé que le gel de remplissage des implants mammaires qu'elle fabriquait n'était pas le gel déclaré dans le dossier de marquage CE et dans les dossiers de lots de production. Enfin, ainsi que l'a rappelé le tribunal, la décision de suspendre la mise sur le marché, la distribution, l'exportation et l'utilisation des implants pré-remplis de gel de silicone fabriqués par la société A et d'ordonner à celle-ci de procéder à leur retrait a été prise par le directeur général de l'agence le 29 mars 2010. Il résulte de l'appréciation souveraine ainsi portée par le tribunal sur les pièces du dossier qui lui était soumis, alors que les ruptures de prothèses mammaires étant des événements attendus, elles n'appellent pas une évaluation individuelle mais une surveillance de leur fréquence de survenue, que l'augmentation du nombre de déclarations de matériovigilance effectuées par les chirurgiens en 2008 concernant les prothèses fabriquées par la société A a fait l'objet d'une analyse par l'AFSSAPS en avril et en août 2009 et que cette analyse a montré un taux de déclaration comparable à celui constaté pour les prothèses des autres fabricants. Il en résulte également que, à la suite des éléments nouveaux portés à sa connaissance en octobre et novembre 2009, l'agence a convoqué la société A à une réunion le 18 décembre 2009, formulé de nombreuses demandes d'informations puis diligenté une inspection du 16 au 18 mars 2010, au cours de laquelle elle a détecté la fraude commise par la société A et pris les mesures de police sanitaires qui s'imposaient le 29 mars suivant. En jugeant que le délai séparant le moment où l'agence avait eu connaissance d'une forte augmentation du nombre de signalements de matériovigilance concernant les implants fabriqués par la société A, soit en octobre et novembre 2019, et celui où elle avait sollicité de la société les éléments nécessaires pour procéder à une évaluation, soit le 18 décembre 2019, manifestait un manque de diligence de l'AFSSAPS dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire, constitutif d'une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de l'espèce, tels qu'il les a souverainement appréciés.


(1) Cf. CE, décision du même jour, Mme , n° 431159, à publier au Recueil.

Voir aussi