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Ariane Web: Conseil d'État 444849, lecture du 10 juin 2021

Analyse n° 444849
10 juin 2021
Conseil d'État

N° 444849 445063 445355 445365
Publié au recueil Lebon

Lecture du jeudi 10 juin 2021



49-04-02 : Police- Police générale- Tranquillité publique-

Schéma national du maintien de l'ordre dans les manifestations - 1) Cadre juridique - a) Répartition des compétences pour édicter les règles relatives à la protection de l'ordre public dans les manifestations - b) Importance particulière de la présence de la presse - 2) Espèce - a) Conditions au port d'équipements de protection par les journalistes - Compétence du ministre de l'intérieur - Absence - b) Mise en place d'un canal d'échange dédié avec certains journalistes - i) Compétence du ministre - Existence - ii) Accès limité aux titulaires de la carte de presse - Légalité - Existence - iii) Nécessité d'une accréditation - Illégalité - c) Définition du comportement des journalistes face à un ordre de dispersion - Illégalité - d) Encadrement du recours à la technique de l'encerclement - Illégalité.




1) a) D'une part, il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer notamment les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties que constituent la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de définir à ce titre le régime juridique applicable à la liberté de manifestation. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en oeuvre de la liberté de manifester. Enfin, il appartient au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables. b) D'autre part, la liberté d'expression et de communication, dont découle également le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi. La présence de la presse et des journalistes lors des manifestations revêt une importance particulière en ce qu'elle permet de rendre compte des idées et opinions exprimées et du caractère de cette expression collective ainsi que, le cas échéant, de l'intervention des autorités publiques et des forces de l'ordre, et contribue ainsi notamment à garantir, dans une société démocratique, que les autorités et agents de la force publique pourront être appelés à répondre de leur comportement à l'égard des manifestants et du public en général et des méthodes employées pour maintenir l'ordre public et contrôler ou disperser les manifestants. 2) Schéma national du maintien de l'ordre annexé à une circulaire du 16 septembre 2020 du ministre de l'intérieur ayant pour objet de définir le cadre d'exercice du maintien de l'ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, et fixant une doctrine commune pour l'ensemble des forces de l'ordre a) Point 2.2.1 du schéma indiquant que les journalistes peuvent porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation. Le paragraphe contesté ne se borne pas à rappeler l'article 431-9-1 du code pénal relatif à la dissimulation du visage dans une manifestation mais revient à fixer, dans des termes au demeurant ambigus et imprécis, des conditions au port, par des journalistes, d'équipements de protection lors des manifestations. Le ministre de l'intérieur ne dispose pas, en sa qualité de chef de service, d'une compétence pour édicter de telles règles à l'égard des journalistes, non plus d'ailleurs qu'à l'égard de toute personne participant ou assistant à une manifestation. Annulation des mots "dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation". b) Point 2.2.2 relatif à la mise en place d'un canal d'échange dédié avec les journalistes. i) Ces énonciations, qui ont pour objet d'ouvrir à certains journalistes la possibilité d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d'une manifestation, plus précises ou complètes que celles directement rendues publiques, n'affectent pas, par elles-mêmes, les règles concernant la liberté d'expression et de communication. Il en résulte que le ministre de l'intérieur n'a pas, en adoptant les énonciations attaquées, pris une mesure relevant du domaine de la loi. ii) Les journalistes professionnels n'étant pas placés dans la même situation que les autres personnes se prévalant de la qualité de journaliste au regard de l'objet de la mesure, il était loisible au ministre de l'intérieur de prévoir un dispositif d'information qui leur soit spécifiquement dédié. Il résulte des articles L. 7111-3 et L. 7111-6 du code du travail que combinés le bénéfice de la carte d'identité professionnelle, dite "carte de presse", est réservé aux journalistes professionnels régis par le code du travail, qui ont "pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources". S'il est vrai que l'exercice de la profession de journaliste n'est pas subordonné à la détention d'une telle carte et qu'une proportion importante de journalistes exerce la profession sans en être titulaire, le ministre de l'intérieur pouvait légalement, compte tenu des contraintes opérationnelles auxquelles sont soumises les forces de l'ordre à l'occasion des manifestations sur la voie publique et en l'absence d'autre justificatif prévu par la loi permettant d'attester objectivement de l'exercice de la profession, prévoir de réserver l'accès au canal dédié prévu au point 2.2.2 aux journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle. iii) Toutefois, les énonciations contestées, en tant qu'elles réservent l'accès aux informations susceptibles d'être délivrées par la voie du canal dédié aux seuls journalistes "accrédités auprès des autorités", sans préciser la portée, les conditions et les modalités d'une telle "accréditation" susceptible, faute de précision, de permettre un choix discrétionnaire des journalistes accrédités parmi tous ceux titulaires de la carte de presse en faisant la demande, portent une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et à la liberté de communication. Annulation des mots "accrédités auprès des autorités". c) Point 2.2.4 relatif au comportement des journalistes dans un attroupement faisant l'objet d'un ordre de dispersion. Les articles 431-4 et 431-5 du code pénal répriment le fait de continuer volontairement à participer à un attroupement après qu'ont été faites les sommations de se disperser. Si ces dispositions ont pour effet d'interdire à toute personne, quelle que soit sa qualité, de continuer à participer volontairement à un attroupement après les sommations, elles ne sauraient par elles-mêmes faire échec à la présence de la presse sur le lieu d'un attroupement afin que les journalistes puissent rendre compte des événements qui s'y produisent. Les journalistes peuvent ainsi continuer d'exercer librement leur mission lors de la dispersion d'un attroupement sans être tenus de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent obstacle à l'action des forces de l'ordre. Il en va de même pour les observateurs indépendants. Il résulte de ce qui précède que le point 2.2.4 du document attaqué, en ce qu'il énonce que "le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d'associations" et en enjoignant aux journalistes et aux observateurs indépendants d'obtempérer aux injonctions des forces de l'ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser est entaché d'illégalité. d) Point 3.1.4 relatif à l'encerclement un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles. Si la mise en oeuvre de la technique de l'encerclement peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Les termes du point 3.1.4 du schéma national se bornent à prévoir que "il peut être utile" d'y avoir recours, sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en oeuvre. Faute d'apporter de telles précisions, de nature à garantir que l'usage de cette technique de maintien de l'ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, ce point 3.1.4 est entaché d'illégalité.





53-005 : Presse- Liberté de la presse Questions générales-

Schéma national du maintien de l'ordre dans les manifestations - 1) Cadre juridique - a) Répartition des compétences pour édicter les règles relatives à la protection de l'ordre public dans les manifestations - b) Importance particulière de la présence de la presse - 2) Espèce - a) Conditions au port d'équipements de protection par les journalistes - Compétence du ministre de l'intérieur - Absence - b) Mise en place d'un canal d'échange dédié avec certains journalistes - i) Compétence du ministre - Existence - ii) Accès limité aux titulaires de la carte de presse - Légalité - Existence - iii) Nécessité d'une accréditation - Illégalité - c) Définition du comportement des journalistes face à un ordre de dispersion - Illégalité - d) Encadrement du recours à la technique de l'encerclement - Illégalité.




1) a) D'une part, il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer notamment les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties que constituent la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de définir à ce titre le régime juridique applicable à la liberté de manifestation. Il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en oeuvre de la liberté de manifester. Enfin, il appartient au ministre de l'intérieur, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, sous réserve des compétences attribuées à d'autres autorités par les textes législatifs et réglementaires en vigueur et dans le respect des lois et règlements applicables. b) D'autre part, la liberté d'expression et de communication, dont découle également le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi. La présence de la presse et des journalistes lors des manifestations revêt une importance particulière en ce qu'elle permet de rendre compte des idées et opinions exprimées et du caractère de cette expression collective ainsi que, le cas échéant, de l'intervention des autorités publiques et des forces de l'ordre, et contribue ainsi notamment à garantir, dans une société démocratique, que les autorités et agents de la force publique pourront être appelés à répondre de leur comportement à l'égard des manifestants et du public en général et des méthodes employées pour maintenir l'ordre public et contrôler ou disperser les manifestants. 2) Schéma national du maintien de l'ordre annexé à une circulaire du 16 septembre 2020 du ministre de l'intérieur ayant pour objet de définir le cadre d'exercice du maintien de l'ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, et fixant une doctrine commune pour l'ensemble des forces de l'ordre a) Point 2.2.1 du schéma indiquant que les journalistes peuvent porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation. Le paragraphe contesté ne se borne pas à rappeler l'article 431-9-1 du code pénal relatif à la dissimulation du visage dans une manifestation mais revient à fixer, dans des termes au demeurant ambigus et imprécis, des conditions au port, par des journalistes, d'équipements de protection lors des manifestations. Le ministre de l'intérieur ne dispose pas, en sa qualité de chef de service, d'une compétence pour édicter de telles règles à l'égard des journalistes, non plus d'ailleurs qu'à l'égard de toute personne participant ou assistant à une manifestation. Annulation des mots "dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation". b) Point 2.2.2 relatif à la mise en place d'un canal d'échange dédié avec les journalistes. i) Ces énonciations, qui ont pour objet d'ouvrir à certains journalistes la possibilité d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d'une manifestation, plus précises ou complètes que celles directement rendues publiques, n'affectent pas, par elles-mêmes, les règles concernant la liberté d'expression et de communication. Il en résulte que le ministre de l'intérieur n'a pas, en adoptant les énonciations attaquées, pris une mesure relevant du domaine de la loi. ii) Les journalistes professionnels n'étant pas placés dans la même situation que les autres personnes se prévalant de la qualité de journaliste au regard de l'objet de la mesure, il était loisible au ministre de l'intérieur de prévoir un dispositif d'information qui leur soit spécifiquement dédié. Il résulte des articles L. 7111-3 et L. 7111-6 du code du travail que combinés le bénéfice de la carte d'identité professionnelle, dite "carte de presse", est réservé aux journalistes professionnels régis par le code du travail, qui ont "pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources". S'il est vrai que l'exercice de la profession de journaliste n'est pas subordonné à la détention d'une telle carte et qu'une proportion importante de journalistes exerce la profession sans en être titulaire, le ministre de l'intérieur pouvait légalement, compte tenu des contraintes opérationnelles auxquelles sont soumises les forces de l'ordre à l'occasion des manifestations sur la voie publique et en l'absence d'autre justificatif prévu par la loi permettant d'attester objectivement de l'exercice de la profession, prévoir de réserver l'accès au canal dédié prévu au point 2.2.2 aux journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle. iii) Toutefois, les énonciations contestées, en tant qu'elles réservent l'accès aux informations susceptibles d'être délivrées par la voie du canal dédié aux seuls journalistes "accrédités auprès des autorités", sans préciser la portée, les conditions et les modalités d'une telle "accréditation" susceptible, faute de précision, de permettre un choix discrétionnaire des journalistes accrédités parmi tous ceux titulaires de la carte de presse en faisant la demande, portent une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et à la liberté de communication. Annulation des mots "accrédités auprès des autorités". c) Point 2.2.4 relatif au comportement des journalistes dans un attroupement faisant l'objet d'un ordre de dispersion. Les articles 431-4 et 431-5 du code pénal répriment le fait de continuer volontairement à participer à un attroupement après qu'ont été faites les sommations de se disperser. Si ces dispositions ont pour effet d'interdire à toute personne, quelle que soit sa qualité, de continuer à participer volontairement à un attroupement après les sommations, elles ne sauraient par elles-mêmes faire échec à la présence de la presse sur le lieu d'un attroupement afin que les journalistes puissent rendre compte des événements qui s'y produisent. Les journalistes peuvent ainsi continuer d'exercer librement leur mission lors de la dispersion d'un attroupement sans être tenus de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent obstacle à l'action des forces de l'ordre. Il en va de même pour les observateurs indépendants. Il résulte de ce qui précède que le point 2.2.4 du document attaqué, en ce qu'il énonce que "le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d'associations" et en enjoignant aux journalistes et aux observateurs indépendants d'obtempérer aux injonctions des forces de l'ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser est entaché d'illégalité. d) Point 3.1.4 relatif à l'encerclement un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles. Si la mise en oeuvre de la technique de l'encerclement peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Les termes du point 3.1.4 du schéma national se bornent à prévoir que "il peut être utile" d'y avoir recours, sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en oeuvre. Faute d'apporter de telles précisions, de nature à garantir que l'usage de cette technique de maintien de l'ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, ce point 3.1.4 est entaché d'illégalité.





54-01-07-05-01 : Procédure- Introduction de l'instance- Délais- Expiration des délais- Existence ou absence d'une forclusion-

Requête sommaire ne contestant que certaines parties d'un acte - Faculté pour le requérant d'en contester d'autres dans son mémoire complémentaire - Existence - Conditions - Requête sommaire concluant à l'annulation de l'ensemble de l'acte et annonçant un mémoire complémentaire (1).




Un requérant ayant demandé, dans sa requête sommaire enregistrée avant l'expiration du délai de recours et mentionnant l'intention de présenter un mémoire complémentaire, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte dans son ensemble est recevable à contester, dans ce mémoire complémentaire produit avant l'expiration du délai imparti par l'article R. 611-22 du code de justice administrative (CJA), des parties de l'acte contre lesquelles la requête sommaire ne contenait aucun moyen.


(1) Comp., s'agissant d'un mémoire postérieur au mémoire complémentaire, CE, 23 mai 2012, Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), n° 352534, T. pp. 561-792-903.

Voir aussi