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Ariane Web: Conseil d'État 257877, lecture du 22 avril 2005, ECLI:FR:CESEC:2005:257877.20050422

Décision n° 257877
22 avril 2005
Conseil d'État

N° 257877
ECLI:FR:CESEC:2005:257877.20050422
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Genevois, président
Mme Catherine de Salins, rapporteur
M. Stahl, commissaire du gouvernement
SCP LAUGIER, CASTON ; ODENT, avocats


Lecture du vendredi 22 avril 2005
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 7 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE BARCARES, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BARCARES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 27 mars 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 18 mai 2001 du tribunal administratif de Montpellier qui a annulé, à la demande de la Société d'études, promotions, réalisations immobilières (S.E.P.R.I.M.), l'arrêté du 31 mai 1999 du maire décidant de faire usage du droit de préemption de la commune sur les parcelles cadastrées AP n° 1 et AP n° 2 ;

2°) statuant au fond, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 18 mai 2001 et de rejeter la demande présentée par la société d'études Promotions Réalisation Immobilière devant ce tribunal ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine de Salins, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Odent, avocat de la COMMUNE DE BARCARES et de la SCP Laugier, Caston, avocat de la Société d'études, promotions, réalisations immobilières (S.E.P.R.I.M.),

- les conclusions de M. Jacques-Henri Stahl, Commissaire du gouvernement ;





Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ;

Considérant que, saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation, à qui il n'appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs, doit, hormis le cas où ce motif erroné présenterait un caractère surabondant, accueillir le pourvoi ; qu'il en va cependant autrement lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation ; qu'en pareille hypothèse - et sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières - il appartient au juge de cassation, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, de rejeter le pourvoi ; que, toutefois, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, le juge de cassation ne saurait, sauf à méconnaître son office, prononcer ce rejet sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés ; que, eu égard à l'objet des dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, cette règle trouve en particulier à s'appliquer lorsque la pluralité des motifs du juge du fond découle de l'obligation qui lui est faite de se prononcer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder l'annulation ;

Considérant que, pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 18 mai 2001 qui, à la demande de la société S.E.P.R.I.M., avait annulé la décision du maire de Barcarès en date du 31 mai 1999 de préempter un ensemble immobilier appartenant à la société France Telecom, la cour administrative d'appel de Marseille a retenu, d'une part, que le maire était incompétent dès lors que la délibération en date du 25 mai 1999 par laquelle le conseil municipal de Barcarès lui avait délégué le pouvoir d'exercer le droit de préemption de la commune n'était pas devenue exécutoire à la date de la décision de préemption, faute d'avoir été publiée dans un recueil d'actes administratifs et, d'autre part, qu'il n'existait aucun projet préalable de la commune sur l'ensemble immobilier objet de la décision de préemption ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que le premier de ces motifs repose sur un moyen, distinct de celui qui était débattu devant elle quant à la compétence du maire, qu'elle a relevé d'office sans en avoir au préalable informé les parties, contrairement aux prescriptions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; qu'ainsi, l'arrêt a été rendu au terme d'une procédure irrégulière ; que, dans ces conditions, et alors même que le second motif ne serait entaché, ni d'erreur de droit, ni de dénaturation et aurait pu, dès lors, suffire à justifier le dispositif de l'arrêt attaqué, la commune requérante est, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, fondée à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant que, pour annuler la décision du maire de Barcarès en date du 31 mai 1999, le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur deux moyens tirés, l'un de l'incompétence du maire de Barcarès pour prendre la décision de préemption en l'absence de caractère exécutoire de la délibération du 25 mai 1999, faute pour la commune d'établir que les formalités de publication et de transmission de cette délibération avaient été accomplies avant la signature de la décision attaquée, l'autre de ce qu'il n'existait pas de projet suffisamment défini justifiant le recours au droit de préemption ;

Considérant que, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un acte intervenu en matière d'urbanisme en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d'annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation ; que, dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance ; que dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens ; qu'il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges ;

Considérant, d'une part, qu'il n'est pas contesté que la délibération déléguant au maire de Barcarès l'exercice du droit de préemption a été affichée et transmise au représentant de l'Etat dans le département le 31 mai 1999 ; que, si la décision attaquée est datée du même jour, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait été signée avant l'accomplissement des formalités rendant exécutoire la délibération sur le fondement de laquelle elle a été prise ; qu'ainsi, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que, en l'absence de caractère exécutoire de cette délibération, le maire était incompétent pour prendre la décision de préemption en cause ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme que les communes ne peuvent décider d'exercer leur droit de préemption urbain que si elles justifient de l'existence, à la date à laquelle elles exercent ce droit, d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement suffisamment précis et certain ;

Considérant que la décision du maire de Barcarès de préempter l'ensemble immobilier en cause, dont la superficie est supérieure à douze hectares, était motivée par la mise en oeuvre par la commune de sa politique d'aménagement concernant la réalisation ou l'extension de divers équipements à vocation publique sur ces terrains notamment (...) et faisait état à ce titre de la présence d'une piscine, de la volonté de réaliser des travaux d'extension du port, ainsi qu'une maison des associations, une bibliothèque municipale et un restaurant communal, et d'assurer l'accueil des services de gendarmerie et d'autres renforts saisonniers durant la saison estivale ; que cette décision mentionnait, enfin, la possibilité de poursuivre une politique de l'habitat sur une partie des terrains ; que, toutefois, il ne ressort pas des éléments versés au dossier par la COMMUNE DE BARCARES que l'existence, à la date de la décision attaquée, de projets d'action ou d'aménagement suffisamment précis et certains pour justifier la décision de préemption d'un ensemble immobilier d'une telle superficie pourrait être tenue pour établie ; qu'ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Montpellier, l'absence de tels projets est de nature à entacher d'illégalité la décision de préemption ;

Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la COMMUNE DE BARCARES n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision de préemption prise par son maire le 31 mai 1999 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces dernières dispositions, de mettre à la charge de la COMMUNE DE BARCARES le paiement à la société S.E.P.R.I.M. de la somme de 3 000 euros au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 27 mars 2003 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la COMMUNE DE BARCARES devant la cour administrative d'appel de Marseille et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La COMMUNE DE BARCARES versera à la société S.E.P.R.I.M. la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BARCARES, à la Société d'études, promotions, réalisations immobilières (S.E.P.R.I.M.) et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


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