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Ariane Web: Conseil d'État 362528, lecture du 12 mars 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:362528.20140312

Décision n° 362528
12 mars 2014
Conseil d'État

N° 362528
ECLI:FR:CESSR:2014:362528.20140312
Publié au recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
Mme Séverine Larere, rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public
SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats


Lecture du mercredi 12 mars 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre et 6 décembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Céline, dont le siège est 23-25 rue du Pont-Neuf à Paris (75001) ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11VE01877 du 16 juillet 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé l'article 1er du jugement n° 0909296 du tribunal administratif de Montreuil du 3 février 2011 lui accordant la majoration des déficits qu'elle a constatés au titre des exercices clos en 2005 et 2006 et a rejeté ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 février 2014, présentée pour la société Céline ;

Vu la convention signée le 5 octobre 1989 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

Vu la convention signée le 3 mars 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Celine ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de la comptabilité de la société Céline, l'administration a remis en cause la déduction pratiquée par la société, au titre de ses exercices clos en 2005 et 2006, des sommes correspondant à des retenues à la source acquittées en Italie et au Japon à raison de redevances de marques perçues dans ces deux Etats ; que, par jugement du 3 février 2011, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société tendant à l'augmentation du montant des déficits constatés au titre de ces deux exercices ; que, par l'arrêt attaqué du 16 juillet 2012, la cour administrative d'appel de Versailles, sur recours du ministre chargé du budget, a toutefois infirmé ce jugement ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la recevabilité du recours du ministre :

2. Considérant qu'aux termes de l'article de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. / Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre " ;

3. Considérant qu'en énonçant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société Céline, qui contestait la légalité de ces dispositions, qu'elles ont pour objet de tenir compte des nécessités particulières du fonctionnement de l'administration fiscale, qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables, et que cette différence de situation justifie le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, dont elle a relevé que les contribuables pouvaient d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée, la cour a, contrairement à ce que soutient la société à l'appui de son pourvoi, suffisamment motivé son arrêt ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le bien-fondé des rectifications opérées par l'administration :

4. Considérant qu'en vertu du 1 de l'article 39 du code général des impôts, le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice ; que, lorsqu'une entreprise industrielle ou commerciale réalise, dans un Etat étranger, des opérations dont le résultat entre dans ses bénéfices imposables en France, ce résultat doit, conformément à ces dispositions, être déterminé sous déduction de toutes charges ayant grevé la réalisation de ces opérations et que doivent, en principe, être regardées comme telles les impositions que l'entreprise a supportées, du fait de ces opérations, dans cet Etat ; que, toutefois, le a) du 1 de l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989, après avoir énoncé que, pour éviter la double imposition, " Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France ", stipule que " L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt (...) ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) " ; que, de même, le a) du 1 de l'article 23 de la convention fiscale franco-japonaise du 3 mars 1995, après avoir énoncé que, pour éviter la double imposition en ce qui concerne la France, " Les revenus qui proviennent du Japon, et qui sont imposables ou ne sont imposables qu'au Japon conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française ", stipule que " Dans ce cas, l'impôt japonais n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt (...) ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. (...) " ;

5. Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et si, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale, il appartient néanmoins au juge, après avoir constaté que les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu la loi fiscale nationale, de faire application, pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France ; qu'il en va ainsi, alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, après avoir relevé que la société Céline était fondée à solliciter, sur le fondement des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, la déduction des impositions acquittées en Italie et au Japon, la cour n'a pas méconnu le principe de subsidiarité des conventions fiscales dont se prévaut la requérante en jugeant qu'il y avait lieu d'examiner si les stipulations conventionnelles dont l'administration se prévalait faisaient obstacle à cette déduction ; que, d'autre part, dès lors qu'il résulte des termes mêmes de ces stipulations qu'elles excluent la possibilité de déduire l'impôt acquitté en Italie ou au Japon des revenus imposables en France, sans réserver le cas où le contribuable, résident de France, ne pourrait bénéficier, en raison de sa situation déficitaire, de l'imputation du crédit d'impôt correspondant à l'impôt acquitté à l'étranger, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'il résultait de ces stipulations que les Etats contractants avaient entendu explicitement exclure la possibilité de déduire du résultat imposable en France les impôts acquittés en Italie et au Japon ;

7. Considérant, en dernier lieu, que si l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts dispose que "Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général ", c'est, toutefois, " sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt " ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en l'espèce ces règles excluent la déduction des impôts étrangers en cause ; que, par suite, la société Céline ne saurait utilement faire valoir que la déduction de ces impôts de son bénéfice imposable en France est prescrite par les normes comptables qui lui sont applicables ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Céline n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; que ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Céline est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Céline et au ministre de l'économie et des finances.



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