Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 349717, lecture du 23 juillet 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:349717.20140723

Décision n° 349717
23 juillet 2014
Conseil d'État

N° 349717
ECLI:FR:CESSR:2014:349717.20140723
Publié au recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Denis Rapone, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 23 juillet 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 26 octobre 2012 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête enregistrée sous le n° 349717 présentée par la société Octapharma France et tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision du 20 octobre 2010 du directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) fixant la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles et de sa décision rejetant son recours gracieux, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) Le plasma issu de sang total à finalité transfusionnelle dans la production duquel intervient un processus industriel est-il susceptible de se voir simultanément appliquer les dispositions de la directive du 6 novembre 2001 et de celle du 27 janvier 2003, en ce qui concerne non seulement sa collecte et son contrôle, mais également sa transformation, sa conservation et sa distribution ; à ce titre la règle posée au 2. de l'article 2 de la directive du 6 novembre 2001 peut-elle être interprétée comme conduisant à n'appliquer que la seule réglementation communautaire du médicament à un produit entrant simultanément dans le champ d'une autre réglementation communautaire que dans le cas où cette dernière est moins rigoureuse que celle du médicament '

2°) Les dispositions du 2. de l'article 4 de la directive du 27 janvier 2003 doivent-elles être interprétées, le cas échéant à la lumière de l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, comme permettant le maintien ou l'introduction de dispositions nationales qui, parce qu'elles soumettraient le plasma dans la production duquel intervient un processus industriel à un régime plus strict que celui auxquels sont soumis les médicaments, justifieraient que soit écartée l'application de tout ou partie des dispositions de la directive du 6 novembre 2001, en particulier celles qui subordonnent la commercialisation des médicaments à la seule condition d'obtention préalable d'une autorisation de mise sur le marché et, dans l'affirmative, sous quelles conditions et dans quelle mesure '


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 juillet 2014, présentée par le ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 36 et 168 ;

Vu la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, modifiée notamment par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;

Vu la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Denis Rapone, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Octapharma France ;




Sur la légalité de la décision du 20 octobre 2010 :

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Peuvent être préparés à partir du sang ou de ses composants : / 1° Des produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma et les cellules sanguines d'origine humaine. A l'exception des produits sanguins labiles destinés à des recherches biomédicales, seuls peuvent être distribués ou délivrés à des fins thérapeutiques, les produits sanguins labiles dont la liste et les caractéristiques sont fixées par décision de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, après avis de l'Etablissement français du sang, et publiée au Journal officiel de la République française (...) " ; que, pour l'application de ces dispositions, est intervenue la décision du 20 octobre 2010 par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a fixé la liste et les caractéristiques des produits sanguins labiles ; que cette décision inclut en particulier dans la liste figurant à son annexe I, au point 1.5.1.1, le " plasma frais congelé déleucocyté viro-atténué par solvant-détergent ", dit " plasma SD " ;

2. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 6 de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 26 octobre 2012, que le plasma, quel que soit son mode de préparation, constitue un " produit sanguin labile " en vertu des dispositions précitées du 1° de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique et qu'il résulte des dispositions de cet article ainsi que de l'ensemble des autres dispositions du code de la santé publique régissant les produits sanguins labiles et les médicaments que la qualification de produit sanguin labile est exclusive de la qualification de médicament et emporte l'application d'un régime spécifique prévu aux articles L. 1220-1 et suivants du même code, distinct de celui auquel sont soumis les médicaments en termes de collecte, de préparation, de conservation, de distribution et de délivrance, ainsi que de traçabilité et de signalement des effets indésirables dans le cadre du dispositif d'hémovigilance ; qu'à ce titre, notamment, l'article L. 1222-1 de ce code investit l'Etablissement français du sang du monopole de l'organisation sur le territoire national des activités de collecte du sang, de qualification biologique du don, de préparation et de distribution des produits sanguins labiles ; que les dispositions propres aux produits sanguins labiles excluent ainsi la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché et subordonnent l'importation de tels produits, y compris par l'Etablissement français du sang, à l'autorisation préalable de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

3. Considérant, toutefois, qu'en vertu de son article 3, la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa rédaction issue de la directive 2004/27/CE du 31 mars 2004, " ne s'applique pas : (...) / 6) au sang total, au plasma, aux cellules sanguines d'origine humaine, à l'exception du plasma dans la production duquel intervient un processus industriel " ; qu'aux termes de l'article 109 de la directive 2001/83/CE, telle que modifiée par la directive 2002/98/CE du 27 janvier 2003 : " Pour ce qui est de la collecte et du contrôle du sang humain et du plasma humain, la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE est applicable " ; qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98/CE : " La présente directive n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'introduire sur son territoire des mesures de protection plus strictes, dans le respect des dispositions du traité. / Un État membre peut notamment introduire des exigences s'appliquant aux dons volontaires et non rémunérés, comprenant l'interdiction ou la restriction des importations de sang et de composants sanguins, en vue d'assurer un haut niveau de protection sanitaire (...) " ;

4. Considérant que, dans son arrêt C-512/12 du 13 mars 2014 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du 31 mars 2004, et la directive 2002/98/CE du 27 janvier 2003 doivent être interprétées en ce sens que le plasma issu de sang total à finalité transfusionnelle dans la production duquel intervient un processus industriel entre, conformément à l'article 109 de la directive 2001/83/CE, dans le champ d'application de la directive 2002/98/CE, relative au sang humain et aux composants sanguins, en ce qui concerne sa collecte et son contrôle, et dans celui de la directive 2001/83/CE, relative aux médicaments, en ce qui concerne sa transformation, sa conservation et sa distribution, à condition qu'il réponde à la définition de médicament conformément à l'article 1er, point 2, de cette directive ; qu'elle a également dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 2002/98/CE, lu à la lumière de l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il permet le maintien ou l'introduction de dispositions nationales soumettant le plasma dans la production duquel intervient un processus industriel à un régime plus rigoureux que celui auquel sont soumis les médicaments uniquement en ce qui concerne sa collecte et son contrôle ;

5. Considérant qu'en vertu de la définition donnée par l'article 1er, point 2, de la directive 2001/83/CE, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE, transposée à l'article L. 5111-1 du code de la santé publique, doit être regardée comme médicament, notamment, " toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d'établir un diagnostic médical " ; que le plasma frais congelé déleucocyté viro-atténué par solvant-détergent est destiné à être administré à l'homme en vue de restaurer des fonctions physiologiques en exerçant, en particulier, une action pharmacologique ; que, par suite, il constitue un médicament au sens de ces dispositions ;

6. Considérant qu'il suit de là que l'article L. 1221-8 du code de la santé publique ne saurait être interprété, sans méconnaître les objectifs de la directive 2001/83/CE relative aux médicaments, que comme n'incluant pas dans les produits sanguins labiles dont il détermine le régime le plasma dans la production duquel intervient un processus industriel ; que, par suite, le directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ne pouvait légalement, par la décision attaquée, faire figurer parmi les produits sanguins labiles le plasma frais congelé déleucocyté viro-atténué par solvant-détergent dans la production duquel intervient un processus industriel ; qu'ainsi, la société Octapharma France est fondée à demander l'annulation, dans cette mesure, de la décision du 20 octobre 2011, ainsi que, par voie de conséquence, de la décision du directeur de l'agence rejetant son recours gracieux ;

Sur les conséquences de l'annulation de la décision du 20 octobre 2011 :

7. Considérant que les sociétés qui voudront commercialiser en France un plasma SD dans la production duquel intervient un processus industriel seront soumises à la procédure d'obtention préalable d'une autorisation de mise sur le marché et devront respecter, en vertu des dispositions de l'article L. 5121-11 du code de la santé publique applicable aux médicaments dérivés du sang, dont fait partie le plasma SD, les conditions définies aux articles L. 1221-3 à L. 1221-7 du même code tenant notamment au caractère volontaire, anonyme et gratuit des dons de sang, à la majorité du donneur et au dépistage des maladies transmissibles ; que le plasma SD, en tant que médicament dérivé du sang, sera soumis au dispositif de pharmacovigilance applicable à ces médicaments ; qu'il appartiendra aux établissements de santé d'adapter leur organisation à la coexistence de circuits de délivrance différents selon que les plasmas thérapeutiques ont la qualité de produits sanguins labiles ou de médicaments, en vue de garantir en toutes circonstances la santé des patients qu'ils prennent en charge ; qu'ainsi, en tout état de cause, aucun des motifs invoqués par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et par le ministre des affaires sociales et de la santé n'est de nature à établir l'existence d'un risque pour la santé publique et à justifier, alors qu'est en cause l'application du droit de l'Union européenne, que les effets de la présente décision soient différés à l'égard de la société Octapharma France ou de toute autre société qui voudrait commercialiser en France un plasma SD dans la production duquel intervient un processus industriel ;

8. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que le plasma SD représente actuellement environ le tiers des plasmas thérapeutiques délivrés en France ; que, compte tenu de son statut, fixé par voie législative, l'Etablissement français du sang ne peut légalement, à la date de la présente décision, produire des médicaments ; qu'au regard des contraintes pesant sur la fabrication des autres types de plasmas thérapeutiques, la destruction des stocks et l'impossibilité de fabrication du plasma SD par cet établissement pendant plusieurs mois, alors que la société Octapharma, qui aura l'obligation de commercialiser en France du plasma SD répondant aux conditions éthiques fixées par les articles L. 1221-3 à L. 1221-7 du code de la santé publique, ne sera pas en mesure de compenser à très bref délai cette diminution du plasma thérapeutique disponible, comporteraient des risques importants pour la continuité de l'approvisionnement des patients sur le territoire national ; qu'en outre, la destruction des stocks de plasma SD, au seul motif qu'ils n'ont pas été fabriqués et ne peuvent être distribués sous le régime juridique des médicaments, serait de nature à ébranler durablement la confiance des donneurs et à déstabiliser profondément le système national de collecte du sang, reposant sur la gratuité du don ; qu'une telle situation serait contraire à l'objectif du droit de l'Union européenne de maintenir un niveau élevé de protection de la santé humaine ; qu'ainsi, eu égard à l'intérêt général qui s'attache de manière impérieuse à prévenir toute situation de rupture d'approvisionnement en plasma thérapeutique, il y a lieu, à titre exceptionnel, de dire, par des motifs qui sont le soutien nécessaire de son dispositif, que la présente décision ne fait pas obstacle à la poursuite de la fabrication et de la distribution du plasma SD par l'Etablissement français du sang, sous le régime des produits sanguins labiles, pendant le délai strictement nécessaire à l'adoption des textes permettant la poursuite de cette fabrication et de cette distribution sous le régime des médicaments ; qu'en dépit de la nécessité d'adopter des dispositions législatives, ce délai doit être évalué, compte tenu de l'intérêt qui s'attache à l'adoption de ces mesures en urgence pour assurer la mise en conformité complète du droit français avec le droit de l'Union européenne et de la date à laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a rendu son arrêt, comme courant jusqu'au 31 janvier 2015 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Considérant que la présente décision n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Octapharma France doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à la société Octapharma France, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé du 20 octobre 2010, en tant que, au point 1.5.1.1. de son annexe I, elle n'exclut pas le plasma frais congelé déleucocyté viro-inactivé par solvant-détergent dans la préparation duquel est intervenu un processus industriel, et la décision rejetant le recours gracieux de la société Octapharma France sont annulées. Cette annulation comporte les effets énoncés aux points 7 et 8 de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera à la société Octapharma France une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Octapharma France, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Voir aussi