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Ariane Web: Conseil d'État 370072, lecture du 16 mars 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:370072.20150316

Décision n° 370072
16 mars 2015
Conseil d'État

N° 370072
ECLI:FR:CESSR:2015:370072.20150316
Inédit au recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
Mme Julia Beurton, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public


Lecture du lundi 16 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés sous le n° 370072 les 11 juillet 2013, 15 novembre 2013 et 5 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés sous le n° 370721 les 30 juillet 2013, 17 décembre 2013 et 5 février 2014, la société Gatpharm demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même arrêté du 20 juin 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................


3° Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés sous le n° 370820 les 1er août 2013, 29 avril, 22 mai et 11 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SELARL Tant D'M demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même arrêté du 20 juin 2013 ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires sociales et de la santé d'adopter, dans un délai de trois mois suivant la notification de la décision à intervenir, un arrêté fixant les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la directive 98/48/CE du Parlement et du Conseil du 20 juillet 1998 portant modification de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques ;
- la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l'introduction dans la chaîne d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;




1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5121-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments : " (...) La dispensation, y compris par voie électronique, des médicaments doit être réalisée en conformité avec des bonnes pratiques dont les principes sont définis par arrêté du ministre chargé de la santé. / Ces bonnes pratiques prévoient notamment les modalités de suivi permettant d'assurer, à l'occasion de chacune des opérations susmentionnées, la traçabilité des médicaments " ; que le ministre des affaires sociales et de la santé a, sur le fondement de ces dispositions, pris l'arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique ; que, par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre, M.A..., la société Gatpharm et la société Tant D'M demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;

Sur la compétence du ministre :

2. Considérant que les dispositions de l'article L. 5121-5 du code de la santé publique habilitent le ministre chargé de la santé à déterminer, par arrêté, les principes des bonnes pratiques de dispensation des médicaments vendus par voie électronique ; que l'article R. 4235-48 du même code définit l'acte de dispensation du médicament comme associant à sa délivrance l'analyse pharmaceutique de l'ordonnance si elle existe, la préparation éventuelle des doses à administrer, la mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament ; que, par ailleurs, en vertu de l'article L. 5125-41 du code de la santé publique, les modalités d'application des articles L. 5125-33 à L. 5125-40 du même code, relatifs au commerce électronique de médicaments par une pharmacie d'officine, relèvent d'un décret en Conseil d'Etat, qui doit préciser " notamment les informations minimales que doivent contenir les sites internet de commerce électronique " ;

3. Considérant que le point 1 de l'annexe de l'arrêté attaqué précise les modalités de l'identification administrative du site internet et de l'officine ainsi que les règles techniques applicables au site internet de l'officine ; que son point 2 précise les règles applicables à la présentation des produits en ligne et à leur prix ; que le point 4 comporte des règles relatives à la protection et à la conservation des données ; qu'enfin, le point 7 précise certaines règles spécifiques au commerce électronique de médicaments, relatives aux conditions générales de vente, à la facturation, au droit de rétractation et aux réclamations ; que ces règles, qui excèdent le champ de l'habilitation conférée au ministre, ne se bornent pas à rappeler les dispositions de la loi ou du décret en Conseil d'Etat applicables à la vente de médicaments par internet mais y ajoutent sur plusieurs points ; que, dans cette mesure, elles sont entachées d'incompétence ;

Sur l'obligation de notification à la Commission européenne :

4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 8 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, modifiée notamment par la directive 98/48/CE : " Sous réserve de l'article 10, les Etats membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet " ; que constitue notamment une règle technique au sens de la directive, selon les termes du 11) de son article 1er, " (...) une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l'établissement d'un opérateur de services ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l'article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l'importation, la commercialisation ou l'utilisation d'un produit ou interdisant de fournir ou d'utiliser un service ou de s'établir comme prestataire de services " ; que la " règle relative aux services " est définie au 5) du même article comme : " une exigence de nature générale relative à l'accès aux activités de services visées au point 2 et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l'exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis au même point " ; qu'enfin, selon le 2) du même article, on entend par " service ", pour l'application de la directive : " tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions et de l'article 85 quater du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain que la vente en ligne de médicaments a le caractère d'un service de la société de l'information au sens de la directive 98/34/CE ; qu'en soumettant à des règles spécifiques la vente en ligne de médicaments, l'arrêté attaqué fait usage de la faculté ouverte par le 2 de l'article 85 quater du code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, aux termes duquel : " Les Etats membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information " ; qu'ainsi, il comporte des règles techniques au sens de l'article 8 de la directive 98/34/CE qui ne sont pas la simple transposition de la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l'introduction dans la chaîne d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés, et ne peuvent pas plus être regardées comme des dispositions par lesquelles la France se conformerait " aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques ou de règles relatives aux services " au sens de l'article 10 de la directive 98/34/CE ; qu'il est constant que l'arrêté attaqué n'a pas fait l'objet de la procédure de notification prévue par la directive, en méconnaissance de son article 8 ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté qu'ils attaquent ;

Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :

7. Considérant qu'eu égard, d'une part, à l'absence de conséquences manifestement excessives susceptibles de résulter de l'annulation de cet arrêté, en raison tant des effets que cet acte a produits que des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur et, d'autre part, à la nature des illégalités constatées ci-dessus, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de limiter les effets de cette annulation ;

Sur les conclusions à fins d'injonction :

8. Considérant que la présente décision n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la SELARL Tant d'M doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à chaque requérant au titre de ces dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique est annulé.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros chacun à M.A..., à la société Gatpharm et à la SELARL Tant d'M au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SELARL Tant d'M est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à la société Gatpharm, à la SELARL Tant d'M et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.