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Ariane Web: Conseil d'État 389816, lecture du 13 mai 2015, ECLI:FR:CEORD:2015:389816.20150513

Décision n° 389816
13 mai 2015
Conseil d'État

N° 389816
ECLI:FR:CEORD:2015:389816.20150513
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MONOD, COLIN, STOCLET ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER, avocats


Lecture du mercredi 13 mai 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 389816, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 avril et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters (ADAJIS) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 avril 2015 du ministre de l'intérieur portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " fichier STADE " ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 1er de cet arrêté en ce qu'il vise les manifestations sportives du club du Paris Saint-Germain et des rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements relevant des compétences du préfet de police ainsi que de l'article 5 de cet arrêté en ce qu'il prévoit que les associations sportives, les sociétés sportives et les fédérations sportives agréées peuvent être destinataires des informations figurant au " fichier STADE " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et immédiate au droit au respect de la vie privée, à raison des données collectées et des abus que ce traitement autorise ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- il est, en effet, entaché d'incompétence dès lors qu'il permet la création d'un traitement de données à caractère personnel ayant une double finalité de police administrative et de police judiciaire alors que seul le législateur pouvait créer et autoriser un tel traitement ;
- il autorise la collecte de données faisant apparaître directement et indirectement les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques et l'appartenance syndicale des intéressés, qui ne peuvent être recueillies qu'en vertu d'un décret en Conseil d'Etat ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 qui prévoient que les données doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et être, au regard de ces finalités, adéquates, pertinentes et non excessives, de telle sorte que l'arrêté portant création du traitement doit être rédigé de façon précise et intelligible, que ce traitement ne peut s'étendre au-delà du ressort territorial de l'autorité désignée pour le mettre en oeuvre, qu'il ne peut reposer sur une rupture d'égalité, qu'il ne peut servir de fondement à des mesures méconnaissant les droits fondamentaux, que ce traitement ne se justifie que dans la mesure où il n'existe pas déjà d'autres traitements permettant de poursuivre les mêmes finalités et que des garanties sont offertes quant à la conservation des données ;
- la transmission des données aux associations et sociétés sportives, qui n'ont pas de pouvoirs de police, méconnaît le droit d'information et le droit d'opposition, ne répond pas à des finalités légitimes et ne comporte pas de garanties concernant la conservation des données.


2° Sous le n° 389861, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 avril et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 avril 2015 du ministre de l'intérieur portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " fichier STADE " ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 1er de cet arrêté en ce qu'il vise les manifestations sportives du club du Paris Saint-Germain et des rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements relevant des compétences du préfet de police ainsi que de l'article 5 de cet arrêté en ce qu'il prévoit que les associations sportives, les sociétés sportives et les fédérations sportives agréées peuvent être destinataires des informations figurant au " fichier STADE " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle invoque les mêmes moyens que ceux présentés dans la requête n° 389816.


3° Sous le n° 389866, par une requête et un nouveau enregistrés les 29 avril et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Lutte pour un Football Populaire demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 avril 2015 du ministre de l'intérieur portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " fichier STADE " ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 1er de cet arrêté en ce qu'il vise les manifestations sportives du club du Paris Saint-Germain et des rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements relevant des compétences du préfet de police ainsi que de l'article 5 de cet arrêté en ce qu'il prévoit que les associations sportives, les sociétés sportives et les fédérations sportives agréées peuvent être destinataires des informations figurant au " fichier STADE " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle invoque les mêmes moyens que ceux présentés dans la requête n° 389816.


4° Sous le n° 389899, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er mai et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Nationale des Supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 avril 2015 du ministre de l'intérieur portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " fichier STADE " ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 1er de cet arrêté en ce qu'il vise les manifestations sportives du club du Paris Saint-Germain et des rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements relevant des compétences de police de Monsieur le préfet de Police ainsi que de l'article 5 de cet arrêté en ce qu'il prévoit que les associations sportives, les sociétés sportives et les fédérations sportives agréées peuvent être destinataires des informations figurant au " fichier STADE " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle invoque les mêmes moyens que ceux présentés dans la requête n° 389816.


Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie des requêtes à fin d'annulation de cet arrêté ;

Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 mai 2015, l'association La Voix de l'Enfant demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions des requérantes et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- elle a intérêt à intervenir ;
- l'urgence est caractérisée par le fait qu'une association sportive pourrait connaître les antécédents judiciaires de tout supporter sans être soumise à une quelconque obligation quant à la confidentialité de ces informations ;
- que la décision créant le traitement informatisé litigieux ne pouvait être prise que par décret en Conseil d'Etat ;
- que l'arrêté méconnaît le droit au respect de la vie privée et l'interdiction de rapprocher les données issues de traitements automatisés différents.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 et 11 mai 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la requête de l'ADAJIS est irrecevable, que l'association La Voix de l'Enfant n'est pas recevable à intervenir et que les moyens soulevés par les associations requérantes et intervenante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters, la Ligue des droits de l'homme, l'Association Lutte pour un Football Populaire, l'Association Nationale des Supporters, l'association La Voix de l'Enfant et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 mai à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Lécuyer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters, de la Ligue des droits de l'homme, de l'association Lutte pour un Football Populaire et de l'Association Nationale des Supporters ;

- les représentants de l'association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters ;

- les représentants de la Ligue des droits de l'homme ;

- les représentants de l'association Lutte pour un Football Populaire ;

- les représentants de l'Association Nationale des Supporters ;

- Me Colin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association La Voix de l'Enfant ;

- les représentants de l'association La Voix de l'Enfant ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


1. Considérant que les requêtes de l'Association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters, de la Ligue des droits de l'homme, de l'association Lutte pour un Football Populaire et de l'Association Nationale des Supporters sont dirigées contre le même arrêté ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

2. Considérant que l'association La Voix de l'Enfant a intérêt à la suspension de l'arrêté contesté ; que son intervention est, par suite, recevable ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

4. Considérant que, par l'arrêté dont les associations requérantes demandent la suspension de l'exécution, le ministre de l'intérieur a autorisé le préfet de police à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel visant à prévenir les troubles à l'ordre public, les atteintes à la sécurité des personnes et des biens ainsi que les infractions susceptibles d'être commises à l'occasion de manifestations sportives et de rassemblements en lien avec ces manifestations ; que les données collectées, qui ne peuvent être enregistrées dans le traitement que si elles sont nécessaires à la poursuite de cette finalité, peuvent concerner toute personne " se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel ", qu'elle soit majeure ou mineure âgée d'au moins treize ans ; que les données pouvant être enregistrées, outre le motif de leur enregistrement et l'identité de la personne, incluent notamment la profession de celle-ci et son adresse, ses " signes physiques particuliers et objectifs, photographies ", ses " activités publiques, comportements et déplacements, blogs et réseaux sociaux, en lien avec les groupes de supporters d'appartenance ", les " personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l'intéressé ", ainsi que des données issues de plusieurs autres traitements automatisés mis en oeuvre par le ministère de l'intérieur ; que tout ou partie de ces données peut être transmis, non seulement à des autorités administratives et judiciaires, mais aussi aux " associations et sociétés sportives " ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 : " Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : / 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ; / 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités [...] ; 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ; [...] " ;

6. Considérant que les associations requérantes soutiennent que le traitement automatisé que l'arrêté a pour objet d'autoriser, compte tenu du caractère général et indéterminé des finalités qui lui sont imparties, ne définit avec une précision suffisante ni les personnes concernées par ce traitement, ni les catégories de données qui peuvent être enregistrées, dont certaines pourraient d'ailleurs relever du I de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ; que le moyen tiré de ce que le traitement ainsi défini ne porte pas sur des données adéquates, pertinentes et non excessives au sens de l'article 6 de la même loi est de nature à créer, en l'état de l'instruction et en dépit des explications données à l'audience par les représentants du ministre de l'intérieur, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 15 avril 2015 ;

7. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'en l'espèce, l'arrêté porte une atteinte grave et immédiate au droit au respect de la vie privée des personnes concernées, tant par la nature des données collectées et traitées et leur possible utilisation pour l'exercice des compétences dévolues à l'autorité préfectorale par l'article L. 332-16 du code du sport, que par la transmission des données collectées aux clubs sportifs sans garantie suffisante quant à leur utilisation par ceux-ci ; que dès lors les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche les dispositions de ce même article font obstacle à ce qu'une somme soit versée à ce titre à l'association La Voix de l'Enfant qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association La Voix de l'Enfant est admise.
Article 2 : Jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, ait statué sur sa légalité, l'exécution de l'arrêté du 15 avril 2015 du ministre de l'intérieur portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " fichier STADE " est suspendue.
Article 3 : L'Etat versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros à l'Association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters, une somme de 1 000 euros à la Ligue des droits de l'homme, une somme de 1 000 euros à l'Association Lutte pour un Football Populaire et une somme de 1 000 euros à l'Association Nationale des Supporters.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'association La Voix de l'Enfant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters, à la Ligue des droits de l'homme, à l'Association Lutte pour un Football Populaire, à l'Association Nationale des Supporters, à l'association la Voix de l'Enfant et au ministre de l'intérieur.