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Ariane Web: Conseil d'État 387197, lecture du 17 juin 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:387197.20150617

Décision n° 387197
17 juin 2015
Conseil d'État

N° 387197
ECLI:FR:CESSR:2015:387197.20150617
Inédit au recueil Lebon
7ème / 2ème SSR
M. Vincent Montrieux, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP LE GRIEL, avocats


Lecture du mercredi 17 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a transmis au tribunal administratif de Strasbourg, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, la décision du 6 octobre 2014 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de M. B...C..., candidat aux élections municipales de Hayange (Moselle) organisées les 23 et 30 mars 2014.

Par un jugement n° 1405596 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que le compte de campagne de M. C...avait été rejeté à bon droit, l'a déclaré inéligible pour une durée d'un an et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal de la commune de Hayange et a proclamé élu le premier candidat non élu de la liste qu'il avait conduite.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 janvier, 18 février et 1er avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2014 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Montrieux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Griel, avocat de M. C...;


1. Considérant que, par décision du 6 octobre 2014, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. C..., candidat tête de liste lors des élections municipales qui se sont déroulées les 23 et 30 mars 2014 dans la commune d'Hayange (Moselle) ; que, saisi par cette commission, le tribunal administratif de Strasbourg, par un jugement du 19 décembre 2014 dont M. C...relève appel, a confirmé le rejet de son compte de campagne, l'a déclaré démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller municipal de cette commune et inéligible pendant une période d'un an à compter de la date à laquelle son jugement deviendrait définitif, et a proclamé élu au conseil municipal de cette commune le premier candidat non élu de la liste qu'il avait conduite ;

Sur le bien-fondé du rejet du compte de campagne :

2. Considérant que l'article L. 52-4 du code électoral rend obligatoire la désignation d'un mandataire financier par tout candidat à une élection ; qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas de cet article : " Le mandataire recueille pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne. / Il règle les dépenses engagées en vue de l'élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l'exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation payées directement par le candidat ou à son profit font l'objet d'un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal " ;

3. Considérant que si, par dérogation à la formalité substantielle que constitue l'obligation de recourir à un mandataire pour toute dépense effectuée en vue de sa campagne, le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis, ce n'est qu'à la double condition que leur montant soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées, fixé par l'article L. 52-11 du code électoral ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que deux factures relatives à des frais de publication et d'impression, datées des 10 et 25 mars 2014, et d'un montant respectif de 1 010 euros et 565 euros, ont fait l'objet, aux mêmes dates, d'un paiement direct par mandat par une colistière de M.C..., avant de donner lieu à un paiement par le mandataire financier le 24 avril 2014, la colistière obtenant alors un remboursement de l'imprimeur ; que M. C...soutient que les paiements effectués par sa colistière constituaient seulement le dépôt d'une caution, réalisé dans l'urgence afin de garantir un paiement ultérieur, et produit une attestation en ce sens établie par le prestataire le 31 octobre 2014 ; qu'il produit en appel une nouvelle attestation par laquelle l'imprimeur indique que les paiements ont été encaissés par erreur ; que, toutefois, le mandat utilisé à cette fin est destiné à transférer des espèces sur le compte d'un bénéficiaire nommément désigné et non à servir de caution en vue d'un paiement ultérieur ; qu'en outre, le paiement direct selon cette modalité est intervenu à deux reprises et ne peut être regardé comme une erreur ; que M. C...ne produit aucun élément justifiant que le mandataire financier était dans l'impossibilité de régler lui-même ces deux factures ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'une dépense de frais postaux, d'un montant de 75,40 euros, a été réglée directement par l'une des colistières de M. C...; que si M. C...soutient qu'aucun timbre n'a été utilisé durant sa campagne, il n'apporte aucune précision à l'appui de cette affirmation, alors même que cette facture porte comme nom de client celui de son mandataire financier ;

6. Considérant, en troisième lieu, que si M. C...soutient que la dépense d'achat de galettes des rois d'un montant de 54,96 euros, réglée par l'une de ses colistières, ne constituait pas une dépense électorale mais une dépense interne à l'équipe de campagne, il résulte de l'instruction qu'elle a été engagée à l'occasion de l'inauguration de son local de campagne à laquelle assistaient des sympathisants et des représentants de la presse et au cours de laquelle ont été présentés les voeux à la population, le programme et la première colistière ;

7. Considérant, en quatrième lieu, en ce qui concerne l'achat de 234 euros de produits alimentaires pour un banquet, réglé par l'une de ses colistières, que si le candidat soutient que cette somme n'avait pas à apparaître dans son compte de campagne au motif que les frais ont été compensés par les recettes de vente de sandwichs et boissons et que la comptabilité annexe relative à ce banquet a été transmise à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques lorsqu'elle lui a demandé des explications, il ne conteste pas que cette dépense avait un caractère électoral et qu'elle a été réglée directement par une colistière et non par le mandataire ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dépenses mentionnées aux points 4, 5, 6 et 7 doivent être regardées comme ayant été acquittées en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52-4 du code électoral ; que leur total, qui représente 14,22 % des dépenses du compte de campagne et 5,99 % du plafond des dépenses, n'est ni faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne ni négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l'article L. 52-11 du code électoral ; que, par suite, M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que son compte de campagne avait été rejeté à bon droit ;

Sur l'inéligibilité :

9. Considérant que le troisième alinéa de l'article L. 118-3 du code électoral dispose que le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, " prononce (...) l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales " ; que, pour déterminer si un manquement est d'une particulière gravité au sens de ces dispositions, il incombe au juge de l'élection d'apprécier, d'une part, s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales, d'autre part, s'il présente un caractère délibéré ; qu'en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'existence éventuelle d'autres motifs d'irrégularité du compte, du montant des sommes en cause ainsi que de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

10. Considérant que si M. C...ne pouvait ignorer la portée des dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral qu'il a méconnues, d'une part le règlement direct de 75,40 euros de timbres, de 54,96 euros de galettes des rois et de 234 euros de produits alimentaires à l'occasion d'un banquet résulte non d'une volonté délibérée de contourner les règles de financement mais de négligences mineures dans l'organisation de la campagne électorale ; que, d'autre part, les sommes payées directement par une colistière à un imprimeur chargé de l'impression de documents électoraux pour un montant de 1 575 euros, qui constituent l'essentiel du manquement, ont fait l'objet d'une régularisation avant le dépôt du compte de campagne, le mandataire financier ayant, ainsi qu'il a été dit au point 4, réglé les sommes dues à l'imprimeur, lequel a alors remboursé la colistière ; qu'enfin, le montant global des dépenses directement acquittées est demeuré limité et le compte de campagne de M. C...ne fait pas apparaître d'autres irrégularités de nature à justifier une déclaration d'inéligibilité ; que dans ces circonstances, le manquement de M. C...aux règles posées par l'article L. 52-4 du code électoral ne peut être regardé, pour l'application des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 118-3 du même code, comme étant d'une particulière gravité de nature à justifier l'inéligibilité du candidat ;

11. Considérant qu'il suit de là que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé son inégibilité, l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal d'Hayange et a proclamé élue Mme A...D...;

Sur les conclusions de M. C...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à ces conclusions ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 décembre 2014 sont annulés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de déclarer M. C...inéligible en application de l'article L. 118-3 du code électoral.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...C..., à Mme A...D...et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.


Voir aussi