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Ariane Web: Conseil d'État 388760, lecture du 16 juillet 2015, ECLI:FR:CECHS:2015:388760.20150716

Décision n° 388760
16 juillet 2015
Conseil d'État

N° 388760
ECLI:FR:CESJS:2015:388760.20150716
Inédit au recueil Lebon
3ème SSJS
M. Christophe Pourreau, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP BOUTET, HOURDEAUX, avocats


Lecture du jeudi 16 juillet 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 12 novembre 2014, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a rejeté le compte de campagne de M. B... A..., candidat tête de liste aux élections municipales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 dans la commune de Pierrefitte-sur-Seine. En application de l'article L. 52-15 du code électoral, elle a saisi le tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement du 17 février 2015, le tribunal administratif de Montreuil a confirmé le bien-fondé du rejet du compte de campagne, déclaré M. A... inéligible pour une durée de dix-huit mois et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et proclamé élue Mme C....

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 mars et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boutet, Hourdeaux, avocat de M. B...A...;



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par décision du 12 novembre 2014, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a rejeté le compte de campagne de M.A..., tête de la liste " Pierrefitte notre village nous y croyons ", qui a obtenu 20,92 % des suffrages exprimés et trois élus aux élections municipales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 dans la commune de Pierrefitte-sur-Seine, aux motifs, d'une part, que le compte de campagne déposé par le candidat était déficitaire pour un montant de 319 euros, en violation de l'article L. 52-12 du code électoral et, d'autre part, que la contribution financière de la société dont il était le gérant majoritaire, d'un montant de 3 050 euros et dont le dépôt en espèces sur le compte du mandataire financier, le 7 février 2014, a été révélé au cours de la procédure contradictoire pour faire valoir que le compte de campagne n'était pas en réalité déficitaire, méconnaissait les articles L. 52-8 et L. 52-12 du même code ; que, saisi sur le fondement de l'article L. 52-15 de ce code, le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 17 février 2015, confirmé le bien-fondé du rejet du compte de campagne, déclaré M. A... inéligible pour une durée de dix-huit mois et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et proclamé élue en ses lieu et place Mme C... ; que M. A...relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'après avoir relevé, d'une part, que le versement en espèces de la société ADN Security n'avait pas été retracé dans la partie recettes du compte de campagne et que ce défaut d'inscription constituait un manquement à une formalité substantielle et, d'autre part, que ce manquement revêtait un caractère délibéré, le tribunal administratif n'a pas insuffisamment motivé sa décision en jugeant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce et, notamment, au caractère substantiel de la règle méconnue, il y avait lieu de prononcer l'inéligibilité de M. A...;

Sur le rejet du compte :

3. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. " ; que ces dispositions ont pour effet d'interdire aux personnes morales, qu'il s'agisse de personnes publiques ou de personnes morales de droit privé, à l'exception des partis ou groupements politiques, de consentir à un candidat des dons en nature ou en espèces sous quelque forme et de quelque montant que ce soit ; que, toutefois, ni l'article L. 52-15 du même code, ni aucune autre disposition législative n'obligent la CNCCFP à rejeter le compte d'un candidat faisant apparaître qu'il a bénéficié de la part de personnes morales d'un avantage prohibé par l'article L. 52-8 ; qu'il lui appartient, sous le contrôle du juge de l'élection, d'apprécier si, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles le don a été consenti et de son montant, sa perception doit entraîner le rejet du compte ;

4. Considérant que M. A...soutient que la somme de 3 050 euros tirée en espèces, le 7 février 2014, sur le compte bancaire de la société ADN Security dont il était le gérant majoritaire correspondait à son salaire et ne pouvait, par suite, être regardé comme un don de personne morale prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral ; que, toutefois, il ressort de l'attestation établie le 31 janvier 2014 par le cabinet d'expert comptable de la société ADN Security que M. A...percevait une rémunération au titre de sa gérance d'un montant de 2 500 euros à compter du 1er janvier 2014 ; que, par ailleurs, M. A...n'établit, ni même n'allègue que le versement litigieux aurait été prélevé de son compte courant d'associé ; que, par suite, cette contribution constitue un don d'une personne morale prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral qui, au surplus, n'a pas été inscrit au compte de campagne, en méconnaissance de l'article L. 52-12 du même code ; qu'ainsi, c'est à bon droit que la CNCCFP a prononcé le rejet du compte de campagne de M. A...;

Sur l'inéligibilité :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. / L'inéligibilité déclarée sur le fondement des premier à troisième alinéas est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections. Toutefois, elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. / Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ou, si l'élection n'a pas été contestée, le déclare démissionnaire d'office. " ; qu'en dehors des cas de fraude, ces dispositions prévoient que le juge de l'élection ne prononce l'inéligibilité d'un candidat que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ; que, pour déterminer si un manquement est d'une particulière gravité au sens de ces dispositions, il incombe au juge de l'élection d'apprécier, d'une part, s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et, d'autre part, s'il présente un caractère délibéré ; qu'en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'importance de l'avantage ou du don irrégulièrement consenti et de rechercher si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il a été susceptible de porter atteinte, de manière sensible, à l'égalité entre les candidats ;

6. Considérant que le versement litigieux en provenance de la société ADN Security dont M. A...était le gérant majoritaire constitue un don prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral ; que ce don n'a pas été inscrit dans la partie recettes du compte de campagne, lequel, au surplus, a été déposé en présentant un déficit de 319 euros ; qu'il résulte de l'instruction que ces manquements caractérisés aux règles substantielles posées par les articles L. 52-8 et L. 52-12 du code électoral présentent un caractère délibéré ; que, toutefois, si le don litigieux représente plus de 25 % des recettes déclarées, le montant non contesté de 12 319 euros des dépenses déclarées est largement inférieur au plafond des dépenses autorisées fixé pour la commune de Pierrefitte-sur-Seine à 39 653 euros ; que, par suite, ce don ne peut être regardé comme ayant porté atteinte, de manière sensible, à l'égalité entre les candidats ; que, par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a déclaré inéligible et démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et a proclamé élue Mme C... ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de déclarer M. A...inéligible.
Article 2. : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il est contraire à la présente décision.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur.