Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 375977, lecture du 11 juillet 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:375977.20160711

Décision n° 375977
11 juillet 2016
Conseil d'État

N° 375977
ECLI:FR:CECHR:2016:375977.20160711
Publié au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Jacques Reiller, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du lundi 11 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures

1° M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir :
- la décision, révélée par la lettre du 25 mai 2009 du président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux données susceptibles de le concerner et figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui communiquer ces informations ;
- la décision, révélée par la lettre du 25 mai 2009 du président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de la défense lui a refusé l'accès aux informations susceptibles de le concerner et figurant dans les fichiers de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction de la protection et de la sûreté de la défense (DPSD), et d'enjoindre au ministre de la défense de lui communiquer ces informations.

Par un jugement n° 1002726 du 8 novembre 2011, le tribunal administratif de Paris a :
- annulé la décision du ministre de la défense refusant de communiquer à M. A... les informations le concernant figurant dans le fichier de la direction de la protection et de la sûreté de la défense et lui a enjoint, ainsi qu'à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, de communiquer à l'intéressé les informations figurant dans ce fichier ;
- avant dire droit, ordonné au ministre de l'intérieur ainsi qu'à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, de communiquer au tribunal, dans un délai de deux mois, tous éléments utiles à la solution du litige relatif à la communication des informations concernant M. A... figurant dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ;
- avant dire droit, ordonné au ministre de la défense ainsi qu'à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, de communiquer au tribunal, dans un délai de deux mois, tous éléments utiles à la solution du litige relatif à la communication des informations concernant M. A... figurant dans le fichier de la direction générale de la sécurité extérieure.

Par un jugement au fond n° 1002726 du 4 mai 2012, le tribunal administratif de Paris a :
- annulé la décision du ministre de l'intérieur refusant de communiquer à M. A... les informations le concernant figurant dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur et enjoint à ce ministre de les communiquer à l'intéressé ;
- annulé la décision du ministre de la défense refusant de communiquer à M. A... les informations le concernant figurant dans le fichier de la direction générale de la sécurité extérieure et enjoint à ce ministre de les communiquer à l'intéressé.

Après jonction des recours formés par le ministre de l'intérieur et le ministre de la défense contre ces deux jugements, la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt nos 12PA00123, 12PA00124, 12PA02863, 12PA02905 du 17 décembre 2013, a :
- rejeté les recours en tant qu'ils étaient dirigés contre le jugement du 8 novembre 2011 ;
- annulé le jugement du 4 mai 2012 et statuant par la voie de l'évocation, d'une part, annulé la décision du ministre de l'intérieur refusant de communiquer à M. A... les informations le concernant figurant dans le fichier de la direction centrale du renseignement intérieur et enjoint à ce ministre de les communiquer à l'intéressé, dans un délai de deux mois, d'autre part, annulé la décision du ministre de la défense refusant de communiquer à M. A... les informations le concernant figurant dans le fichier de la direction générale de la sécurité extérieure et enjoint à ce ministre de communiquer ces informations à l'intéressé, dans un délai de deux mois.
Procédure devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 375977, par un pourvoi, enregistré le 3 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il statue sur ses recours contre les jugements des 8 novembre 2011 et du 4 mai 2012 du tribunal administratif de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses recours.


2° Sous le n° 376457, par un pourvoi, enregistré le 18 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la défense demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même arrêt en tant qu'il statue sur ses recours contre les jugements des 8 novembre 2011 et du 4 mai 2012 du tribunal administratif de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses recours.

Par une décision du 9 octobre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, après jonction de ces deux pourvois, a annulé l'arrêt du 17 décembre 2013 et ordonné, avant dire droit, à ces ministres de lui communiquer les décrets autorisant la création des fichiers litigieux ainsi que les éléments nécessaires à l'examen du bien-fondé des conclusions de M.A....

En réponse à cette décision avant dire droit, le ministre de la défense a produit, le 9 mai 2016, un mémoire qui n'a pas été versé au débat contradictoire.

En réponse à cette décision avant dire droit, le ministre de l'intérieur a produit, le 16 juin 2016, un mémoire qui n'a pas été versé au débat contradictoire.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B...A... ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 : " Par dérogation aux articles 39 et 40, lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d'accès s'exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l'ensemble des informations qu'il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. / Lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l'acte réglementaire portant création du fichier peut prévoir que ces informations peuvent être communiquées au requérant par le gestionnaire du fichier directement saisi " ; qu'aux termes de l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l'application de cette loi : " Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d'être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations (...) Lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l'accord du responsable du traitement. / En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur " ;

2. Considérant que l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose : " I. Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et : / 1° Qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique ; (...) / L'avis de la commission est publié avec l'arrêté autorisant le traitement. / II. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 8 sont autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission ; cet avis est publié avec le décret autorisant le traitement. / III. Certains traitements mentionnés au I et au II peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'Etat, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise ; pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission (...) " ;

3. Considérant que si le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n'aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d'assurer l'effectivité du droit au recours, lorsque l'acte litigieux n'est pas publié en application de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; que si une telle dispense de publication que justifie la préservation des finalités des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique fait obstacle à la communication tant de l'acte réglementaire qui en a autorisé la création que des décisions prises pour leur mise en oeuvre aux parties autres que celle qui les détient, dès lors qu'une telle communication priverait d'effet la dispense de publication, elle ne peut, en revanche, empêcher leur communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d'apprécier le bien-fondé d'un moyen ; qu'il suit de là que, quand, dans le cadre de l'instruction d'un recours dirigé contre le refus de communiquer des informations relatives à une personne mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique dont l'acte de création a fait l'objet d'une dispense de publication, le ministre refuse la communication de ces informations au motif que celle-ci porterait atteinte aux finalités de ce fichier, il lui appartient néanmoins de verser au dossier de l'instruction écrite, à la demande du juge, ces informations ou tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer de façon à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce dernier sans que ces éléments puissent être communiqués aux autres parties, auxquelles ils révèleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non publication du décret l'autorisant ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés afin de pouvoir accéder aux données le concernant qui seraient contenues dans les fichiers de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction de protection et de la sécurité de la défense (DPSD) ; que, par une lettre en date du 19 septembre 2008, le président de la Commission l'a informé de sa décision de désigner, en application de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, l'un de ses membres pour mener toutes investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires ; que, par une lettre en date du 25 mai 2009, le président de la Commission a informé M. A... de ce que le membre de la Commission désigné avait procédé à l'ensemble des vérifications demandées concernant les informations contenues dans les trois fichiers en cause et que la procédure était désormais terminée ; que, saisi par M. A..., le tribunal administratif de Paris a, par deux jugements du 8 novembre 2011, d'une part, annulé le refus, révélé par la lettre du 25 mai 2009, de communiquer les données contenues dans le fichier de la DPSD et enjoint de communiquer ces données à l'intéressé et, d'autre part, ordonné, avant dire droit, aux ministres ainsi qu'à la Commission de communiquer, dans un délai de deux mois, tous éléments utiles à la solution des litiges relatifs à la communication des données contenues dans les fichiers de la DGSE et de la DCRI ; que, par deux jugements du 4 mai 2012, le tribunal, après avoir relevé que les mesures avant dire droit étaient restées sans réponse, a annulé les refus de communiquer les données concernant M. A... contenues dans les fichiers de la DGSE et de la DCRI et enjoint de communiquer ces données à l'intéressé ; que, saisie par les ministres de l'intérieur et de la défense, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels dirigés contre les deux jugements du 8 novembre 2011, par un arrêt du 17 décembre 2013 ; qu'après avoir annulé pour irrégularité les deux jugements du 4 mai 2012, la cour, statuant par la voie de l'évocation, a, par le même arrêt du 17 décembre 2013, annulé les refus de communiquer les données concernant M. A...contenues dans les fichiers de la DGSE et de la DCRI et enjoint aux ministres de la défense et de l'intérieur de les communiquer à l'intéressé ; que, par une décision du 9 octobre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi des ministres de la défense et de l'intérieur, annulé cet arrêt du 17 décembre 2013 et ordonné, avant dire droit, à ces ministres de lui communiquer les décrets autorisant la création des fichiers litigieux ainsi que les éléments nécessaires à l'examen du bien-fondé des conclusions de M. A...;

5. Considérant qu'à la suite de cette décision du 9 octobre 2015, le ministre de la défense a communiqué au Conseil d'Etat, par un mémoire enregistré le 9 mai 2016 qui n'a pas été versé au débat contradictoire, les actes réglementaires autorisant la création des fichiers de la DGSE et de la DPSD ainsi que les éléments relatifs à la situation de M. A...; que, par un mémoire enregistré le 16 juin 2016 qui n'a pas été versé au débat contradictoire, le ministre de l'intérieur a communiqué au Conseil d'Etat, l'acte réglementaire autorisant la création du fichier de la DCRI ainsi que les éléments relatifs à la situation de l'intéressé ;

6. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire et dans la limite des secrets qui lui sont opposables, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux ; que, dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées ; que lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, le juge rejette les conclusions du requérant sans autre précision ; que dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel soient inexactes, incomplètes ou périmées, soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses ; qu'il s'ensuit, dans pareil cas, que doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les ministres de l'intérieur et de la défense sont fondés à soutenir que le tribunal administratif de Paris a méconnu son office en annulant les décisions attaquées devant lui pour les motifs énoncés au point 4 ; que les jugements du 8 novembre 2011 et du 4 mai 2012 doivent donc être annulés ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Paris ;

8. Considérant qu'il résulte des écritures du requérant, de l'examen par le Conseil d'Etat des actes réglementaires créant les fichiers litigieux ainsi que des éléments fournis par le ministre de l'intérieur et le ministre de la défense, dans la limite des secrets qui sont opposables au juge administratif, que, en l'état du dossier et du droit applicable, les conclusions de M. A...ne peuvent être accueillies ; que, par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;



D E C I D E :
---------------

Article 1er : Les jugements du 8 novembre 2011 et du 4 mai 2012 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de M. A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, au ministre de la défense, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et à M. B... A....