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Ariane Web: Conseil d'État 387613, lecture du 2 décembre 2016, ECLI:FR:CESEC:2016:387613.20161202

Décision n° 387613
2 décembre 2016
Conseil d'État

N° 387613
ECLI:FR:CESEC:2016:387613.20161202
Publié au recueil Lebon
Section
M. Christophe Pourreau, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du vendredi 2 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le 11 août 2012, la société Export Press a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir les huit décisions des 14, 18, 19 et 21 juin 2012 par lesquelles le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris a pris position en ce sens que les exemplaires des revues " Mystères, mythes et légendes ", " Les mystères du Moyen-âge ", " Histoire des Mythologies et Religions ", " Les secrets de la 2ème guerre mondiale ", " 5 000 ans d'Histoire mystérieuse ", " Aliens ", " Les énigmes du sacré " et " Les énigmes de l'histoire " qu'elle édite ne pouvaient pas être qualifiés de livres au sens du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts.

Par huit jugements nos 1214731, 1214735, 1214736, 1214739, 1214766, 1214774, 1214785, et 1214794 du 29 janvier 2013, le tribunal administratif a rejeté les demandes de la société.

Par huit arrêts nos 13PA01232, 13PA01235, 13PA01236, 13PA01237, 13PA01238, 13PA01239, 13PA01240 et 13PA01241 du 19 décembre 2014, la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit aux appels de la société, a annulé les jugements du tribunal administratif et annulé pour excès de pouvoir les huit décisions des 14, 18, 19 et 21 juin 2012.

Par huit pourvois et huit mémoires en réplique, enregistrés sous les nos 387613, 387631, 387632, 387633, 387635, 387636, 387637 et 387638 les 3 février et 16 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler les huit arrêts de la cour administrative d'appel de Paris du 19 décembre 2014.


















Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Export Press ;

Vu les huit notes en délibéré, enregistrées le 21 novembre 2016, présentées par le ministre de l'économie et des finances ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Export Press a demandé à l'administration fiscale, sur le fondement du 1° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, si elle pouvait légalement soumettre les ventes des exemplaires des revues " Mystères, mythes et légendes ", " Les mystères du Moyen-âge ", " Histoire des Mythologies et Religions ", " Les secrets de la 2ème guerre mondiale ", " 5 000 ans d'Histoire mystérieuse ", " Aliens ", " Les énigmes du sacré " et " Les énigmes de l'histoire " qu'elle édite au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livres en vertu du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts. Par huit lettres des 14, 18, 19 et 21 juin 2012, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris a répondu que les exemplaires de ces différentes revues ne pouvaient être qualifiés de livres au sens des dispositions invoquées et relevaient en conséquence du taux normal de la taxe.

2. La société Export Press a demandé l'annulation pour excès de pouvoir des décisions contenues dans ces lettres. Le ministre des finances et des comptes publics s'est pourvu en cassation contre les huit arrêts du 19 décembre 2014 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit aux appels de la société, a annulé les huit jugements du tribunal administratif de Paris du 29 janvier 2013 rejetant ses demandes ainsi que les décisions contenues dans les huit lettres.

3. Les huit pourvois du ministre présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les arrêts attaqués en tant qu'ils ont accueilli les conclusions d'annulation pour excès de pouvoir :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre, dans sa rédaction applicable aux litiges : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal. Elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ". Les 2° à 6° ainsi que le 8° du même article L. 80 B énumèrent les cas dans lesquels la garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable, y compris en l'absence de réponse formelle de l'administration dans un délai de trois mois, à un redevable de bonne foi qui lui a demandé, dans les conditions prévues par ces dispositions, s'il était en droit de bénéficier de certaines mesures fiscales ou s'il se trouvait dans une situation fiscale qu'elles déterminent. Enfin, l'article L. 80 C du même livre prévoit qu'un organisme qui, dans les mêmes conditions, a demandé si les dons en sa faveur sont éligibles aux réductions d'impôt prévues aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts et à qui l'administration n'a pas répondu dans un délai de six mois ne peut faire l'objet de l'amende applicable en cas de délivrance irrégulière d'une attestation d'éligibilité à ces réductions d'impôt.

5. L'article L. 80 CB du même livre a institué une procédure spéciale de recours administratif en faveur des contribuables insatisfaits du sens de la réponse de l'administration. Il dispose : " Lorsque l'administration a pris formellement position à la suite d'une demande écrite, précise et complète déposée au titre des 1° à 6° ou du 8° de l'article L. 80 B ou de l'article L. 80 C par un redevable de bonne foi, ce dernier peut saisir l'administration, dans un délai de deux mois, pour solliciter un second examen de cette demande, à la condition qu'il n'invoque pas d'éléments nouveaux. / (...) Lorsqu'elle est saisie d'une demande de second examen, auquel elle procède de manière collégiale, l'administration répond selon les mêmes règles et délais que ceux applicables à la demande initiale, décomptés à partir de la nouvelle saisine. / A sa demande, le contribuable ou son représentant est entendu par le collège. (...) ".

6. Une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal en réponse à une demande présentée par un contribuable dans les conditions prévues par les dispositions mentionnées au point 4 a, eu égard aux effets qu'elle est susceptible d'avoir pour le contribuable et, le cas échéant, pour les tiers intéressés, le caractère d'une décision.

7. En principe, une telle décision ne peut, compte tenu de la possibilité d'un recours de plein contentieux devant le juge de l'impôt, pas être contestée par le contribuable par la voie du recours pour excès de pouvoir. Toutefois, cette voie de droit est ouverte lorsque la prise de position de l'administration, à supposer que le contribuable s'y conforme, entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu'ainsi, la voie du recours de plein contentieux devant le juge de l'impôt ne lui permettrait pas d'obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l'administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l'amener à modifier substantiellement un tel projet.

8. Les prises de position défavorables sur des demandes des contribuables relevant des 2° à 6° ou du 8° de l'article L. 80 B et de l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales sont, eu égard aux enjeux économiques qui motivent ces demandes, d'ailleurs régies par les modalités procédurales spéciales exposées au point 4, réputées remplir les conditions mentionnées au point 7 et, par suite, pouvoir être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir.

9. Lorsqu'une prise de position en réponse à une demande relevant de l'article L. 80 B ou de l'article L. 80 C du livre des procédures fiscales présente le caractère d'une décision susceptible d'un recours pour excès de pouvoir, le contribuable auteur de la demande qui entend la contester doit saisir préalablement l'administration dans les conditions prévues à l'article L. 80 CB du même livre cité au point 5. La décision par laquelle l'administration fiscale prend position à l'issue de ce second examen se substitue à sa prise de position initiale. Seule cette seconde prise de position peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, auquel il appartient également, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, de faire usage des pouvoirs d'injonction qu'il tient du titre Ier du livre IX du code de justice administrative.

10. L'irrecevabilité qui découlerait de la règle énoncée au point 9 ne peut être opposée pour la première fois à des contribuables dont il est raisonnable de penser qu'ils ont pu ne pas appréhender son caractère obligatoire. Il y a lieu, en conséquence, de prévoir qu'elle ne s'appliquera qu'aux demandes présentées postérieurement à la présente décision.

11. En grevant substantiellement leur prix de vente, l'application aux revues éditées par la société Export Press du taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée de 19,60 % était, compte tenu de la structure du marché concerné et de l'écart entre ce taux et le taux réduit de 5,50 %, de nature à pénaliser significativement ses ventes, sans possibilité pour elle, au demeurant, dans le cas où le juge de l'impôt ferait ultérieurement droit à sa thèse, d'obtenir le remboursement de l'excédent de taxe collectée et supportée en définitive par les consommateurs finaux. Eu égard à un tel effet, les lettres par lesquelles l'administration, en réponse aux demandes de la société relevant du 1° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, a pris position négativement sur la possibilité de soumettre les opérations de vente de ces revues au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée de 5,50 % constituent des décisions faisant grief à la société Export Press et qui, compte tenu de ce qui a été dit au point 10, pouvaient être déférées directement au juge de l'excès de pouvoir. Par suite, en jugeant la société Export Press recevable à demander l'annulation des lettres du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris des 14, 18, 19 et 21 juin 2012, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur les arrêts attaqués en tant qu'ils ont statué sur l'application du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts :

12. Pour juger que les exemplaires des huit revues éditées par la société Export Press avaient le caractère de livres au sens du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts, la cour administrative d'appel, après avoir relevé qu'ils constituaient des ensembles imprimés et brochés contenant des articles traitant de manière approfondie de sujets d'ordre historique, géographique, culturel, scientifique et médical en relation, pour chacun d'eux, avec le thème de la revue, c'est-à-dire, selon les cas, le mystère, les mythes et les légendes, le Moyen-âge, l'histoire des religions et des mythes, la seconde guerre mondiale, les religions, les croyances et les énigmes historiques, les extra-terrestres, le sacré et les religions et les énigmes historiques, a estimé qu'ils constituaient chacun un ensemble homogène comportant un apport intellectuel. Ce faisant, la cour administrative d'appel s'est livrée à des appréciations souveraines des faits exemptes de dénaturation et n'a entaché ses arrêts ni d'erreur de droit, ni d'erreur de qualification juridique.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêts attaqués.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Export Press au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois du ministre des finances et des comptes publics sont rejetés.
Article 2 : L'Etat versera à la société Export Press la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société Export Press.



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