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Ariane Web: Conseil d'État 399678, lecture du 2 décembre 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:399678.20161202

Décision n° 399678
2 décembre 2016
Conseil d'État

N° 399678
ECLI:FR:CECHR:2016:399678.20161202
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Anton, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


Lecture du vendredi 2 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée Messer Eutectic Castolin a demandé au tribunal administratif de Versailles la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie dans les rôles de la commune de Villebon-sur-Yvette (Essonne) au titre des années 2008 à 2010. Par un jugement n° 1404680 du 11 mars 2016, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mai et 11 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Messer Eutectic Castolin demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Messer Eutectic Castolin demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi en cassation, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I de l'article 1404 du code général des impôts.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment son article 1404, et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Messer Eutectic Castolin ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 novembre 2016, présentée par la société Messer Eutectic Castolin ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que dans le cadre d'une opération de fusion réalisée au cours de l'année 2006, la société Castolin France a apporté à la société Messer Eutectic Castolin des terrains et immeubles dont elle était propriétaire à Villebon-sur-Yvette (Essonne). Saisie d'une réclamation de la société Messer Eutectic Castolin, venant aux droits de la société Castolin France, l'administration fiscale a dégrevé cette dernière, en septembre 2012, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie dans les rôles de cette commune au titre des années 2008 à 2010 à raison de ces immeubles et terrains et les a mises, le 31 octobre 2012, à la charge de la société Messer Eutectic Castolin, qu'elle a regardée comme leur redevable légal. Par un jugement du 11 mars 2016 contre lequel la société Messer Eutectic Castolin se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 1404 du code général des impôts : " I. Lorsque au titre d'une année une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d'une personne autre que le redevable légal, le dégrèvement de cette cotisation est prononcé à condition que les obligations prévues à l'article 1402 aient été respectées. L'imposition du redevable légal au titre de la même année est établie au profit de l'Etat dans la limite de ce dégrèvement. / II. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées comme les demandes en décharge ou réduction de la taxe foncière. / S'il y a contestation sur le droit à la propriété, l'application du I ci-dessus peut intervenir jusqu'au 31 décembre de l'année qui suit le jugement définitif portant sur ce droit ".

4. La société Messer Eutectic Castolin soutient que le I de ces dispositions est entaché d'incompétence négative, faute de prévoir un délai à l'issue duquel l'administration ne peut plus mettre la cotisation de taxe foncière à la charge de son redevable légal, dont il résulterait une atteinte au droit au recours effectif, à l'équilibre des droits des parties et à la séparation des pouvoirs que garantissent les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 173 du livre des procédures fiscales : " (...) le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de l'année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due ".

6. Lorsque le dégrèvement d'une cotisation de taxe foncière est prononcé en application du I de l'article 1404 du code général des impôts à la suite de cette réclamation, l'administration peut, en conséquence, établir l'imposition à l'égard du redevable légal au-delà du délai de reprise prévu par l'article L. 173 du livre des procédures fiscales, nonobstant les dispositions précitées du II de l'article 1404 du code général des impôts, qui se bornent à prévoir un délai spécial applicable aux seuls cas de contestation des droits de propriété. Toutefois, elle ne peut, sans méconnaître l'article L. 173 du livre des procédures fiscales, établir une telle imposition après la fin de l'année suivant celle durant laquelle le dégrèvement de la personne imposée à tort a été prononcé. Ces règles d'interruption de la prescription découlent d'une lecture combinée des dispositions de l'article 1404 du code général des impôts et de l'article L. 173 du livre des procédures fiscales. Par ailleurs, ces dispositions ne privent pas le redevable légal des voies de recours dont il dispose sur le fondement de l'article R. 196-2 du livre des procédures fiscales pour contester son imposition. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence et ainsi méconnu le droit au recours effectif, l'équilibre des droits des parties et la séparation des pouvoirs que garantissent les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne présente pas un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux et qu'ainsi, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur l'admission du pourvoi en cassation :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux " ;

9. Pour demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, la société Messer Eutectic Castolin soutient que le tribunal administratif de Versailles a commis :
- une erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale avait pu mettre à sa charge les impositions litigieuses au titre du I de l'article 1404 du code général des impôts, alors que ces dispositions sont contraires au principe de sécurité juridique ;
- une erreur de droit en jugeant que l'administration, après avoir prononcé un dégrèvement en application de ces dispositions, pouvait établir l'imposition à l'égard du redevable légal au-delà du délai de reprise prévu par l'article L. 173 du livre des procédures fiscales ;
- une contradiction de motifs et une erreur de droit en jugeant, d'une part, que l'article L. 173 du livre des procédures fiscales n'était pas applicable et, d'autre part, que le délai qu'il prévoit avait été interrompu par la réclamation prévue à l'article 1404 du code général des impôts.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Messer Eutectic Castolin.
Article 2 : Le pourvoi de la société Messer Eutectic Castolin n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Messer Eutectic Castolin, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Voir aussi