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Ariane Web: Conseil d'État 401997, lecture du 12 juillet 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:401997.20170712

Décision n° 401997
12 juillet 2017
Conseil d'État

N° 401997
ECLI:FR:CECHR:2017:401997.20170712
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Uher, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du mercredi 12 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er août et 29 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le paragraphe 170 des commentaires administratifs publiés par le ministre des finances et des comptes publics au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts le 4 mars 2016 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 et, d'autre part, la fiche n° 20 intitulée " Echange de titres avec soulte " de la " carte des pratiques et montages abusifs " publiée en mars 2016 par la direction générale des finances publiques sur le portail du ministère de l'économie et des finances ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent.soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus) (... ". Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (...) ".

Sur les conclusions dirigées contre les commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 :

2. Les commentaires administratifs de l'article 150-0 B ter du code général des impôts publiés par le ministre des finances et des comptes publics au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts le 4 mars 2016 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60, rappellent, dans leur paragraphe 150, qu'en cas d'échange avec soulte, l'article 150-0 B ter du code général des impôts limite l'application du report d'imposition aux opérations pour lesquelles le montant de la soulte reçue par le contribuable n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus et qu'en revanche, lorsque la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus, la totalité de la plus-value réalisée à l'occasion de l'opération d'apport concernée est immédiatement imposable, puis, dans leur paragraphe 160, que lorsque la soulte est inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, la plus-value constatée lors de l'opération d'apport est placée en report d'imposition, y compris en ce qui concerne le montant de la soulte reçue, qui n'est donc pas imposé immédiatement. Ils précisent, dans leur paragraphe 170, que : " Toutefois, l'administration a toujours la possibilité, dans le cadre de la procédure de l'abus de droit fiscal, prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, notamment d'imposer la soulte reçue, s'il s'avère que cette opération ne présente pas d'intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport, et est uniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'appréhender une somme d'argent en franchise immédiate d'impôt et d'échapper ainsi notamment à l'imposition de distributions du fait de ce désinvestissement ".

3. Il ne résulte pas des dispositions citées au point 1 de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, en l'absence de toute mention explicite en ce sens, que le législateur ait entendu exclure la possibilité pour l'administration fiscale de faire application aux opérations d'apport entrant dans leurs prévisions, notamment aux opérations d'apports avec soulte lorsque le montant de celle-ci est inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales lorsque les conditions de mise en oeuvre de cette procédure sont réunies. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les commentaires administratifs en litige seraient entachés d'erreur de droit au motif qu'ils rappellent la possibilité pour l'administration de recourir à cette procédure pour restituer leur véritable caractère de distributions aux versements de soultes réalisés, à l'occasion d'apports placés sous le régime de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter, au bénéfice d'une application littérale de ces dispositions allant à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but de percevoir ces sommes en franchise d'imposition.

Sur les conclusions dirigées contre la fiche intitulée " Echange de titres avec soulte " de la " carte des pratiques et montages abusifs " :

4. Le directeur général des finances publiques a publié en mars 2016 sur le portail du ministère de l'économie et des finances un document intitulé " Carte des pratiques et montages abusifs " qui a pour objet de recenser, dans un but d'information des contribuables, des exemples de montages révélés lors de contrôles fiscaux et que l'administration fiscale estime contraires à la loi. Ce document comporte des fiches décrivant, dans leur principe, ces différents dispositifs, qualifiés de " pratiques et montages abusifs ".

5. La fiche n° 20 de ce document, intitulée " Echange de titres avec soulte ", rappelle que les mécanismes de sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts ou, si la société bénéficiaire de l'apport est contrôlée par l'apporteur, de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du même code, sont applicables aux opérations d'échange de droits sociaux avec soulte, pour lesquelles le montant des liquidités reçues à ce titre par l'apporteur n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus. Elle expose ensuite la pratique, qu'elle qualifie de " procédé de fraude ", consistant pour un particulier à réaliser un apport de droits sociaux, avec soulte, à une société relevant de l'impôt sur les sociétés, la soulte d'un montant inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus faisant l'objet d'une inscription au crédit du compte courant de l'apporteur et les dividendes perçus par la société bénéficiaire de l'apport permettant ensuite de rembourser le montant de la soulte dû à l'apporteur. L'administration fiscale indique dans cette fiche que ce procédé vise selon elle, sous couvert d'une opération d'échange de droits sociaux avec soulte, à appréhender en réalité des liquidités en franchise d'impôt dès lors qu'en l'absence d'interposition de la société bénéficiaire de l'apport, les dividendes attachés aux titres apportés auraient été soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains de l'apporteur. La fiche précise enfin que " lorsque la stipulation d'une soulte est uniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'appréhender des dividendes en franchise d'impôt, la procédure de l'abus de droit fiscal, prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales est mise en oeuvre (cf. BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20150702 n° 170) ".

6. D'une part, la " Carte des pratiques et montages abusifs ", dans laquelle la fiche en litige s'insère, ne constitue pas une circulaire administrative adressée aux services fiscaux mais un document destiné à informer les contribuables, dans un but de prévention et de sécurité juridique, de l'existence de montages regardés par l'administration comme destinés à réduire indûment l'impôt et susceptibles pour ce motif, si les conditions de mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit sont réunies, d'être remis en cause par application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. La fiche n° 20 en litige se borne à décrire en termes très généraux les principes d'une pratique d'apport de titres avec soulte ayant pour effet de permettre à l'apporteur d'appréhender en franchise d'impôt des sommes correspondant au montant des dividendes qui auraient été taxés entre ses mains s'ils lui avaient été directement distribués, sans préciser à quelles conditions une telle pratique peut être regardée comme constitutive d'un abus de droit. Au demeurant, comme le rappelle le document d'ensemble qui regroupe les différentes fiches, l'administration aura en tout état de cause à examiner les faits propres à chaque situation pour décider, en fonction des circonstances du dossier, d'éventuels rehaussements d'impositions. D'autre part, la fiche litigieuse, qui se borne à renvoyer, sans s'y substituer, aux commentaires administratifs encadrant l'action de l'administration fiscale pour l'application de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, ne peut être regardée comme constituant une prise de position de l'administration fiscale, susceptible de lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, et elle ne contient aucune disposition impérative à caractère général.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que la fiche litigieuse ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. En conséquence, les conclusions de la requête de M. B...dirigées contre cette fiche sont irrecevables. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie et des finances, la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M.A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.


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