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Ariane Web: Conseil d'État 384395, lecture du 12 janvier 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:384395.20180112

Décision n° 384395
12 janvier 2018
Conseil d'État

N° 384395
ECLI:FR:CECHR:2018:384395.20180112
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Déborah Coricon, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats


Lecture du vendredi 12 janvier 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 20 mai 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi présenté par la société Solar Electric Martinique tendant à l'annulation de l'arrêt n° 12BX02010 du 10 juillet 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 ainsi que des pénalités correspondantes, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si la vente et l'installation de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eau solaires sur des immeubles ou en vue d'alimenter des immeubles en électricité ou en eau chaude constituent une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers au sens de l'article 5, paragraphe 5, et de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, devenus l'article 14, paragraphe 3, et l'article 24, paragraphe 1, de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée.

Par un arrêt n° C-303/16 du 19 octobre 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'elle n'était pas compétente pour répondre à la question.



Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du 20 mai 2016 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;

Vu :
- la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Solar Electric Martinique ;



1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Solar Electric Martinique a vendu et installé des panneaux photovoltaïques en vue de la production d'électricité et des chauffe-eau solaires. Elle n'a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée que le coût de l'installation des équipements. A la suite d'une vérification ponctuelle portant sur la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007, l'administration a estimé que la société avait procédé à des travaux immobiliers et a rectifié l'assiette imposable de ces opérations en y incluant le coût des équipements. Par un jugement du 26 juin 2012, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge à la suite de ce contrôle. La société s'est pourvue en cassation contre l'arrêt du 10 juillet 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement. Par une décision du 19 octobre 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est déclarée incompétente pour répondre à la question préjudicielle visant à déterminer si la vente et l'installation de ces équipements constituaient une opération unique ayant le caractère de travaux immobiliers ou si elles étaient dissociables pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

2. D'une part, aux termes de l'article 295 du code général des impôts : " 1. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 5° Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion : / a. Les importations de matières premières et produits dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre de l'économie et des finances et du ministre (...) chargé des départements d'outre-mer (...) ". L'article 50 duodecies de l'annexe IV à ce code, pris pour l'application de ces dispositions, mentionne les " dispositifs photosensibles à semi-conducteur, y compris les cellules photovoltaïques même assemblées en modules ou constituées en panneaux ; diodes émettrices de lumière ".

3. D'autre part, en vertu du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, les travaux immobiliers ont le caractère de prestations de services. Aux termes de l'article 266 du même code : " 1. La base d'imposition est constituée : / (...) f. Pour les travaux immobiliers, par le montant des marchés, mémoires ou factures (...) ". Aux termes de l'article 268 bis du même code : " Lorsqu'une personne effectue concurremment des opérations se rapportant à plusieurs des catégories prévues aux articles du présent chapitre, son chiffre d'affaires est déterminé en appliquant à chacun des groupes d'opérations les règles fixées par ces articles ".

4. Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces dispositions que les opérations d'installation par leur importateur d'équipements mentionnés à l'article 295 du code général des impôts doivent être imposées à la taxe sur la valeur ajoutée de manière distincte de la vente de ces appareils sauf lorsque les opérations de vente et d'installation présentent le caractère de travaux immobiliers, caractéristiques d'une opération unique. Doivent être regardées comme des travaux immobiliers, pour l'application des articles 256 et 266 du code général des impôts, les opérations qui concourent directement à l'édification d'un bâtiment, laquelle doit s'entendre non seulement de la construction du bâtiment lui-même, mais aussi de la réalisation des équipements généraux qui l'accompagnent normalement dès lors qu'ils ne sont pas destinés à être déplacés et qu'ils s'incorporent à l'immeuble. En conséquence, les travaux immobiliers ne comprennent pas la réalisation d'installations particulières répondant à une utilisation spéciale du bâtiment édifié.

5. Si l'édification d'un bâtiment d'habitation s'accompagne normalement du raccordement au réseau de transport d'électricité de ses installations d'électricité et de chauffage électrique, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la livraison et la pose sur des toitures de panneaux photovoltaïques, destinés à produire de l'électricité, et éventuellement raccordés à des chauffe-eau solaires, constituaient des opérations concourant directement à l'édification d'un bâtiment et correspondaient en conséquence à un travail immobilier dont le prix comprenait à la fois celui des matériaux fournis et celui des travaux de pose, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que ces équipements, d'une part, avaient été installés postérieurement à la construction de l'immeuble, dans le cadre de contrats de location de toitures, sans appartenir nécessairement au propriétaire de l'immeuble, et, d'autre part, constituaient un système alternatif de production d'énergie électrique et de chauffage de l'eau. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Solar Electric Martinique est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les équipements vendus et installés en Martinique par la société requérante ne sont pas des équipements concourant directement à l'édification du bâtiment mais des installations particulières répondant à une utilisation spéciale des immeubles et ne peuvent, en conséquence, être qualifiés de travaux immobiliers au sens des articles 256 et 266 du code général des impôts précités. L'opération de vente de ces installations particulières doit, dès lors, bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions des a. et b. du 5° du 1 de l'article 295 du code général des impôts, combinées avec celles de l'article 50 duodecies de l'annexe IV au même code. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque et la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la société Solar Electric Martinique au titre des frais exposés par elle tant en appel qu'en cassation et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 10 juillet 2014 et le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 26 juin 2012 sont annulés.
Article 2 : La société Solar Electric Martinique est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007.
Article 3 : L'Etat versera à la société Solar Electric Martinique la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Solar Electric Martinique et au ministre de l'action et des comptes publics.


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