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Ariane Web: Conseil d'État 411005, lecture du 21 juin 2018, ECLI:FR:CECHS:2018:411005.20180621

Décision n° 411005
21 juin 2018
Conseil d'État

N° 411005
ECLI:FR:CECHS:2018:411005.20180621
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Richard Senghor, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public


Lecture du jeudi 21 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 17 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, à titre principal, l'article 4 du décret n° 2017-456 du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables, et, titre subsidiaire, l'intégralité de ce décret ;

2°) de renvoyer, à titre subsidiaire, à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle en interprétation de la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la directive 2006/116/CE du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2006 ;
- le code du patrimoine ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la décision du 25 octobre 2017 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Wikimédia France ;
- la décision n° 2017-687 QPC du Conseil constitutionnel du 2 février 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, conseiller d'Etat ;

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 621-42 du code du patrimoine, devenu article L. 621-38 du même code à compter du 1er janvier 2018, dispose que : " L'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l'autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat, assorti ou non de conditions financières. La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation. / L'autorisation mentionnée au précédent alinéa n'est pas requise lorsque l'image est utilisée dans le cadre de l'exercice de missions de service public, ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d'enseignement, de recherche, d'information et d'illustration de l'actualité. / Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. ". Par sa décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de cet article. L'article 4 du décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables, dont les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net demandent l'annulation pour excès de pouvoir, a créé un article R. 621-99 du code du patrimoine, devenu article R. 621-100 du même code à compter du 4 mai 2017 aux termes duquel, : " Les conditions financières de l'utilisation commerciale de l'image d'éléments des domaines nationaux appartenant à l'Etat et confiés à un établissement public sont fixées par l'autorité compétente de l'établissement. / Dans les autres cas, le préfet fixe les conditions financières des actes unilatéraux ou contrats relatifs à l'utilisation à des fins commerciales de l'image des biens appartenant à l'Etat qui sont inclus dans le périmètre d'un domaine national. " .

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur et de la section des travaux publics du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été versée au dossier par la ministre de la culture, que le décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables ne contient pas de disposition qui diffèrerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section de l'intérieur.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

3. En premier lieu, dès lors que l'utilisation commerciale de l'image d'un domaine national n'est pas, en application de l'article L. 641-42 du code du patrimoine, devenu l'article L 621-38, cité au point 1, soumise à autorisation lorsque sont également poursuivies des fins culturelles, sont inopérants les moyens des associations requérantes tirés de ce que l'article 4 du décret attaqué, pris pour son application, méconnaîtrait la liberté d'expression culturelle et le droit de diffusion de la culture garantis par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le droit d'accès non discriminatoire à la culture protégé par le 13ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et l'article 14 de la même convention.

4. En deuxième lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018, en accordant au gestionnaire d'un domaine national le pouvoir d'autoriser ou de refuser certaines utilisations de l'image de ce domaine, l'article L. 621-42 du code du patrimoine, qui s'applique sans préjudice des dispositions du code de la propriété intellectuelle et de la directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, n'a ni pour objet ni pour effet de rétablir les droits patrimoniaux, éventuellement éteints, afférents aux immeubles qui constituent ce domaine. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 4 du décret attaqué méconnaîtraient un principe d'extinction de l'exclusivité des droits patrimoniaux attachés à une oeuvre intellectuelle au-delà d'un certain temps doit être écarté comme inopérant, sans qu'il soit besoin de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question relative à l'interprétation de la directive 2006/116/CE.

5. En troisième lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018, en soumettant à autorisation préalable et à redevance l'utilisation commerciale des images des domaines nationaux, le législateur a poursuivi deux objectifs d'intérêt général tenant à la protection des biens présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation ainsi qu'à leur valorisation économique. Le Conseil constitutionnel a précisé que " l'autorisation ne peut être refusée par le gestionnaire du domaine national que si l'exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l'image de ce bien présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation. Dans le cas contraire, l'autorisation est accordée dans les conditions, le cas échéant financières, fixées par le gestionnaire du domaine national, sous le contrôle du juge (...)si l'autorisation est délivrée gratuitement ou à titre onéreux, le montant de la redevance devant alors tenir compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation, il appartient aux autorités compétentes d'appliquer ces dispositions dans le respect des exigences constitutionnelles et, en particulier, du principe d'égalité ". Il s'ensuit que doivent être écartés, d'une part, le moyen tiré de ce que l'article 4 du décret attaqué, qui a été pris pour l'application de l'article L. 621-42 du code du patrimoine, méconnaîtrait la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie et le droit de propriété dès lors qu'il n'encadrerait pas la marge d'appréciation laissée aux autorités compétentes pour autoriser l'utilisation commerciale de l'image des domaines nationaux et imposer le paiement d'une redevance, et, d'autre part, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait dû fixer les critères de l'octroi des autorisations et de la détermination du montant des redevances. Enfin, ainsi que l'a jugé aussi le Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article L. 621-42 n'affectent pas les contrats légalement conclus avant leur entrée en vigueur.

6. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'article 4 du décret attaqué, en renvoyant aux notions d'" image des immeubles " et de " fins culturelles " ne méconnait pas l'exigence d'intelligibilité des textes.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête des associations Wikimédia France et La Quadrature du Net est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Wikimédia France, à l'association La Quadrature du Net et à la ministre de la culture.