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Ariane Web: Conseil d'État 407715, lecture du 5 octobre 2018, ECLI:FR:CESEC:2018:407715.20181005
Decision n° 407715
Conseil d'État

N° 407715
ECLI:FR:CESEC:2018:407715.20181005
Publié au recueil Lebon
Section
M. Jean-Baptiste de Froment, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du vendredi 5 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés le 6 février 2017, le 27 octobre 2017 et le 19 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Saint-Hubert demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 30 août 2016 tendant à l'abrogation des dispositions :
- d'une part, de l'article R. 422-53 du code de l'environnement en tant qu'il exclut toute possibilité pour des propriétaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire dépassant le seuil d'opposition après la constitution d'une association communale de chasse agréée (ACCA) afin d'obtenir le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA ;
- d'autre part, du même article R. 422-53 en tant qu'il ne prévoit pas la dissolution d'une ACCA dès lors que n'est plus remplie la condition de l'accord amiable de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune ;
- enfin, de l'article R. 422-63 du même code, en tant qu'il ne garantit pas à tous les propriétaires membres d'une ACCA le même nombre de droits de vote ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de modifier les articles litigieux dans le sens demandé.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000.

Une audience d'instruction a été tenue par la 6ème chambre le 2 juillet 2018. Son procès verbal a été versé au dossier.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 septembre 2018, présentée par le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. Par lettre du 30 août 2016, l'association Saint-Hubert a demandé au Premier ministre d'abroger, d'une part, l'article R. 422-53 du code de l'environnement en tant qu'il exclut toute possibilité pour des propriétaires de terrains de se regrouper pour constituer un territoire dépassant le seuil d'opposition après la constitution d'une association communale de chasse agréée (ACCA) afin d'obtenir le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA et en tant qu'il ne prévoit pas la dissolution d'une ACCA dès lors que n'est plus remplie la condition de l'accord amiable de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune et, d'autre part, l'article R. 422-63 du même code en tant qu'il ne garantit pas à tous les propriétaires membres d'une ACCA le même nombre de droits de vote. L'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à cette demande résultant du silence gardé par le Premier ministre et demande, en outre, qu'il soit enjoint au Premier ministre de modifier, dans le sens indiqué, les articles R. 422-53 et R. 422-63 du code de l'environnement.

Sur l'intervention de la Fédération nationale des chasseurs et l'association communale de chasse agréée de Condal :

2. La Fédération nationale des chasseurs et l'association communale de chasse agréée de Condal justifient d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Ainsi, leur intervention est recevable.

Sur les conclusions de la requête dirigées contre l'article R. 422-53 du code de l'environnement :

En ce qui concerne le retrait d'une association communale de chasse agréée :

3. D'une part, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. " Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

4. Aux termes de l'article L. 422-10 du code de l'environnement, applicable à la création d'une association communale de chasse agréée (ACCA) : " L'association communale est constituée sur les terrains autres que ceux : (...) / 3° Ayant fait l'objet de l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse sur des superficies d'un seul tenant supérieures aux superficies minimales mentionnées à l'article L. 422-13 ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 422-18 du même code, applicable à la modification du territoire d'une ACCA existante : " L'opposition formulée en application du 3° (...) de l'article L. 422-10 prend effet à l'expiration de la période de cinq ans en cours, sous réserve d'avoir été notifiée six mois avant le terme de cette période. " Il résulte de ces dispositions que l'opposition à l'incorporation de terrains dans le territoire de chasse de l'ACCA peut également être formée après la constitution de cette association et qu'elle conduit au retrait des terrains en cause, à l'expiration de la période de cinq ans en cours, dès lors que les conditions fixées par le 3° de l'article L. 422-10 sont satisfaites à la date de la demande et que cette dernière respecte le préavis fixé par l'article L. 422-18. Le législateur ayant prévu que cette opposition est ouverte aux détenteurs de droits de chasse aussi bien qu'aux propriétaires, le moyen tiré de ce que la loi instituerait, en méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées à celles de l'article 14 de cette même convention, une discrimination entre ces deux catégories de personne, ne peut qu'être écarté.

5. D'autre part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

6. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 422-53 du code de l'environnement : " Lorsque le propriétaire d'un terrain acquiert d'autres terrains constituant avec le premier un ensemble d'un seul tenant et dont la superficie dépasse le minimum fixé dans la commune pour ouvrir le droit à opposition, il peut exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de l'association. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le pouvoir réglementaire a défini les conditions dans lesquelles une personne propriétaire unique peut bénéficier du droit de retrait de ses terrains du territoire de l'ACCA lorsqu'il a acquis des terrains supplémentaires lui permettant de remplir la condition de superficie minimale, il n'a en revanche pas précisé les conditions dans lesquelles le même droit de retrait est exercé, comme le permet pourtant l'article L. 422-18 du même code, par les propriétaires qui, postérieurement à la constitution de l'ACCA, se regroupent pour constituer un ensemble de terrains d'une superficie totale supérieure au seuil minimal en vue d'exercer en commun leurs droits de chasse. Ce faisant, il a exclu la possibilité pour ces derniers d'exiger un tel retrait.

7. Le régime des associations de chasse agréées répond à un motif d'intérêt général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique, notamment en encourageant la pratique de la chasse sur des territoires d'une superficie suffisamment importante. Ce motif justifie les dispositions de l'article R. 422-55 du code de l'environnement qui prévoit la réintégration d'office dans le territoire de l'ACCA de tout territoire de chasse pour lequel il a été fait opposition en application du 3° de l'article L. 422-10 qui vient, pour quelque cause et dans quelque condition que ce soit, à être morcelé. Si, en complément des dispositions de cet article, le même motif d'intérêt général peut également justifier que le pouvoir réglementaire assortisse le retrait d'une ACCA d'un territoire de chasse formé par un regroupement de propriétaires de certaines conditions permettant de garantir la stabilité de ce territoire après sa sortie de l'ACCA, il ne saurait, en revanche, conduire à instaurer la différence de traitement, manifestement disproportionnée, consistant à réserver par principe aux seules personnes physiques propriétaires d'un terrain de chasse supérieur au seuil minimal le droit de demander le retrait de leur fonds du territoire d'une ACCA déjà constituée et à en exclure les propriétaires qui atteignent ce seuil minimal en se regroupant en vue d'exercer ensemble leurs droits de chasse. Par suite, les dispositions de l'article R. 422-53 du code de l'environnement méconnaissent, dans cette mesure, le principe d'égalité.

En ce qui concerne la dissolution d'une association communale de chasse agréée :

8. L'association requérante soutient que l'article R. 422-53 méconnaît les dispositions de l'article L. 422-7 du code de l'environnement en ne prévoyant pas que dans une commune où une ACCA a été créée après recueil de l'accord amiable de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune, la seule circonstance que cette condition de double majorité ne soit plus remplie à l'échéance de la période d'au moins cinq années mentionnée par cet article devrait entraîner la dissolution de cette ACCA. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'association requérante, les dispositions de l'article L. 422-7 du code de l'environnement n'imposent pas que soit prononcée la dissolution d'une ACCA dès lors que la règle de double majorité nécessaire pour sa création n'est plus remplie. C'est dès lors sans méconnaître ces dispositions que le pouvoir réglementaire a prévu, par les dispositions de l'article R. 422-16 du code de l'environnement que la dissolution d'une ACCA ne pouvait intervenir que dans le cas d'une demande justifiant de l'accord amiable de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune, afin d'assurer, notamment pour le motif d'intérêt général énoncé au point 7, la stabilité de l'ACCA. Il résulte de ce qui précède que le moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

Sur les conclusions de la requête dirigées contre l'article R. 422-63 du code de l'environnement :

9. En vertu de l'article 25-1 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations du 12 avril 2000, " Sans préjudice des conditions spécifiques requises pour la délivrance de chaque agrément, tout agrément, délivré par l'Etat ou ses établissements publics, d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou par le code civil local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, suppose de satisfaire aux trois conditions suivantes : (...) / 2° Présenter un mode de fonctionnement démocratique ; (...) ". Les ACCA sont agréées par le préfet en vertu de l'article L. 422-3 du code de l'environnement.

10. Aux termes de l'article R. 422-63 du code de l'environnement : " Les statuts de l'association communale de chasse agréée doivent comprendre, outre les dispositions déjà prévues par les articles L. 422-21 et L. 422-22, les dispositions ci-après : / (...) / 10° Le nombre de voix supplémentaires à l'assemblée générale susceptibles, dans la limite de six, d'être attribuées aux membres qui ont fait apport de leurs droits de chasse à l'association ; / (...) ". Ces dispositions ont pour objet de permettre de prendre en compte la taille des terrains incorporés au territoire de chasse de l'ACCA par un membre de l'association pour déterminer le nombre de voix dont il dispose à l'assemblée générale, dans la limite qu'elles fixent. Elles ne sauraient être regardées, eu égard à l'objet d'une association de chasse agréée, comme étant contraires aux dispositions de l'article 25-1 de la loi du 12 avril 2000 citées au point précédent.

Sur les conclusions de la requête aux fins d'injonction :

11. Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée en tant que, par cette décision, le Premier Ministre a refusé de faire droit à une demande tendant à la modification des dispositions de l'article R. 422-53 du code de l'environnement. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier Ministre, dans un délai de neuf mois, de prendre les mesures nécessaires pour que soit modifié l'article R. 422-53 du code de l'environnement afin de remédier à l'illégalité relevée au point 7.


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs et l'association communale de chasse agréée de Condal est admise.

Article 2 : La décision du Premier ministre refusant d'abroger l'article R. 422-53 du code de l'environnement est annulée en tant qu'elle porte sur les dispositions qui excluent toute possibilité pour des propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse de se regrouper après la constitution d'une association communale de chasse agréée afin d'exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA.
Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans le délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, les dispositions nécessaires pour modifier l'article R. 422-53 du code de l'environnement afin de remédier à l'illégalité relevée au point 7 de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Saint-Hubert est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Saint-Hubert, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à la Fédération nationale des chasseurs et à l'association communale de chasse agréée de Condal.


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