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Ariane Web: Conseil d'État 409678, lecture du 21 décembre 2018, ECLI:FR:CESEC:2018:409678.20181221
Decision n° 409678
Conseil d'État

N° 409678
ECLI:FR:CESEC:2018:409678.20181221
Publié au recueil Lebon
Section
M. François Weil, rapporteur
Mme Sophie Roussel, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du vendredi 21 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Eden a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du préfet du Var du 10 avril 2013 refusant de procéder au renouvellement de l'agrément d'établissement de formation à la conduite des navires de plaisance à moteur dont elle était titulaire et d'enjoindre au préfet, à titre principal, de délivrer l'agrément sollicité ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 1302174 du 9 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a annulé cette décision, enjoint au préfet du Var de réexaminer la demande d'agrément du navire de type Sun Odyssey 42DS comme bateau de formation et rejeté les conclusions tendant à ce qu'il lui soit enjoint de délivrer l'agrément sollicité.

Par un arrêt n° 15MA03745 du 9 février 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Eden contre ce jugement en tant qu'il n'avait pas fait droit à ses conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 avril et 10 juillet 2017 et le 1er juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Eden demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 2007-1167 du 2 août 2007 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Weil, conseiller d'État,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Eden ;


Considérant ce qui suit :

1. La société Eden, qui exploite à Hyères une école de conduite de navires de plaisance, a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 avril 2013 par laquelle le préfet du Var a refusé de renouveler son agrément en qualité d'établissement de formation à la conduite des navires de plaisance à moteur avec, comme bateau de formation, un voilier de type Sun Odyssey 42DS et d'enjoindre au préfet, à titre principal, de délivrer l'agrément sollicité ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande. Par un jugement du 9 juillet 2015, le tribunal administratif a jugé que la décision attaquée était insuffisamment motivée, a prononcé, pour ce motif, son annulation pour excès de pouvoir et a enjoint au préfet du Var de réexaminer la demande d'agrément du navire de type Sun Odyssey 42DS comme bateau de formation dans un délai de trois mois. La cour administrative d'appel de Marseille a été saisie par la société Eden d'un appel contre ce jugement, en tant qu'il n'avait pas fait droit à ses conclusions à fin d'injonction formulées à titre principal. La cour administrative d'appel a rejeté cet appel par un arrêt du 9 février 2017, contre lequel la société Eden se pourvoit en cassation.

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, telle que prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

3. Des conclusions à fin d'injonction, présentées sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, ne revêtent pas un caractère accessoire pour l'application des dispositions de l'article R. 711-3. Toutefois, une indication explicite de la proposition du rapporteur public quant au sort à leur réserver n'est requise que dans le cas où il propose de faire droit, au moins partiellement, aux conclusions sur lesquelles elles se greffent.

4. En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure de la cour administrative d'appel de Marseille que le rapporteur public a communiqué aux parties avant l'audience le sens de ses conclusions, en indiquant : " rejet au fond ". Par cette formule, il a indiqué conclure au rejet de l'ensemble des conclusions qui étaient présentées par la société Eden au juge d'appel. Il n'était pas tenu, à peine d'irrégularité de l'arrêt rendu, de faire mention, de façon spécifique et explicite, du sort proposé pour les conclusions à fin d'injonction. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêt aurait été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

5. Pour rejeter l'appel formé par la société Eden contre le jugement du tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement n'avait pas fait droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Var de délivrer l'agrément qu'elle demandait, la cour administrative d'appel de Marseille s'est prononcée sur les moyens de légalité interne que la société soulevait en appel, par lesquels la société faisait valoir que le refus d'agrément pour la formation à la conduite en mer au moyen du navire de type Sun Odyssey 42DS aurait été illégal sur le fond, et les a écartés.

En ce qui concerne l'office du juge de l'excès de pouvoir :

6. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il s'ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé.

7. La portée de la chose jugée et les conséquences qui s'attachent à l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir diffèrent toutefois selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l'annulation. C'est en particulier le cas selon que le motif retenu implique ou non que l'autorité administrative prenne, en exécution de la chose jugée et sous réserve d'un changement des circonstances, une décision dans un sens déterminé. Il est, à cet égard, loisible au requérant d'assortir ses conclusions à fin d'annulation de conclusions à fin d'injonction, tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, ou à ce qu'il lui enjoigne de reprendre une décision dans un délai déterminé, sur le fondement de l'article L. 911-2 du même code.

8. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2.

9. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

10. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

11. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

En ce qui concerne les motifs de l'arrêt attaqué :

12. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit, la cour administrative d'appel de Marseille a été saisie par un appel de la société Eden tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il n'avait pas fait droit à la demande d'injonction qu'elle avait présentée à titre principal, tendant à ce que le tribunal enjoigne au préfet du Var de lui délivrer l'agrément qu'elle sollicitait. La cour a statué sur les moyens, soulevés par la société Eden devant elle, susceptibles de conduire, au delà de l'annulation prononcée par le tribunal administratif pour un vice de légalité externe, au prononcé de l'injonction demandée à titre principal par la société Eden et les a écartés. En statuant ainsi sur l'appel de la société Eden, sans le rejeter comme irrecevable, et en jugeant que le tribunal administratif avait retenu le motif le mieux à même de régler le litige, qu'il n'était pas tenu de se prononcer sur les autres moyens de la requête et qu'il avait à bon droit rejeté les conclusions à fin d'injonction dont il était saisi à titre principal, la cour administrative d'appel n'a pas méconnu l'office du juge de l'excès de pouvoir et n'a pas commis d'erreur de droit.

13. Pour écarter les moyens de la société Eden, la cour s'est fondée sur les dispositions de l'article L. 5271-1 du code des transports, qui dispose que : " Tout conducteur de navire et bateaux de plaisance à moteur doit être titulaire d'un titre de conduite correspondant à sa catégorie, fonction de l'éloignement des côtes lorsqu'il pratique la navigation maritime ou de la longueur du bateaux lorsqu'il circule dans les eaux intérieures ", ainsi que sur l'article L. 5272-1 du même code, selon lequel : " La formation à la conduite en mer et en eaux intérieures des navires et bateaux de plaisance à moteur ne peut être dispensée que dans le cadre d'un établissement de formation agréé à cet effet par l'autorité administrative... (...) / Cette formation doit être conforme aux programmes définis par l'autorité administrative qui en contrôle l'application ". L'article 4 du décret du 2 août 2007 relatif au permis de conduire et à la formation à la conduite des bateaux de plaisance à moteur prévoit, pour sa part, que le permis " est délivré aux candidats qui ont subi avec succès un examen comportant une ou des épreuves théoriques et dont la formation pratique a été effectuée et validée par des établissements agréés ".

14. D'une part, eu égard à l'objet de ces dispositions et aux impératifs de sécurité auxquels répondent le permis de conduire les bateaux de plaisance à moteur et la formation pratique exigée pour sa délivrance, cette formation ne saurait être effectuée que sur des bateaux de plaisance à moteur. Par suite, et alors même que l'arrêté pris pour l'application de ces dispositions qui définit les caractéristiques techniques des bateaux utilisés pour la formation pratique n'a pas explicitement exclu la possibilité d'utiliser d'autres types de bateaux ou engins nautiques, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la formation pratique en cause devait être faite sur des bateaux de plaisance à moteur.

15. D'autre part, selon l'article 1er du décret du 2 août 2007, doit être regardé comme un bateau de plaisance à moteur " tout bateau exclusivement motorisé et tout bateau à propulsion vélique dont le rapport entre la surface de voilure exprimée en mètres carrés et la masse exprimée en kilogrammes est inférieur à un coefficient fixé par un arrêté des ministres chargés de la mer et des transports ". Après avoir souverainement constaté que le navire de type Sun Odyssey 42DS devait être regardé comme un voilier et non comme un bateau de plaisance à moteur au sens de ces dispositions et en déduisant de ses constatations que ce bateau ne pouvait pas être utilisé pour la formation à la conduite des bateaux de plaisance à moteur et que l'agrément sollicité ne pouvait être légalement délivré pour son utilisation, la cour administrative d'appel a suffisamment motivé sa décision et n'a pas commis d'erreur de droit.

16. Il résulte ainsi de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Eden, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut qu'être rejeté.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Eden est rejeté.
Article 2: La présente décision sera notifiée à la société Eden et au ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.


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