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Ariane Web: Conseil d'État 403332, lecture du 28 janvier 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:403332.20190128

Décision n° 403332
28 janvier 2019
Conseil d'État

N° 403332
ECLI:FR:CECHR:2019:403332.20190128
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Séverine Larere, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
CABINET BRIARD, avocats


Lecture du lundi 28 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a sursis à statuer sur le pourvoi de la société CIC, dirigé contre l'arrêt nos 13PA04428, 13PA04433 du 8 juillet 2016 de la cour administrative d'appel de Paris jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait statué sur le recours dont elle a été saisie dans l'affaire C-416/17.

Par un mémoire, enregistré le 3 janvier 2019, la société CIC maintient les conclusions de son pourvoi et demande, à titre subsidiaire, au Conseil d'Etat de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le traité sur l'Union européenne, notamment son article 4 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les arrêts C-310/09 du 15 septembre 2011 et C-416/17 du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat du Credit Industriel et Commercial.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Crédit industriel et commercial (CIC) Est, filiale du groupe intégré CIC et anciennement société CIAL, a perçu, au titre des exercices clos en 2000 et 2001, des dividendes, versés par ses filiales établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui ne relevaient pas du régime fiscal des sociétés mères. Elle n'a pas pu bénéficier, à l'occasion de ces distributions, de l'avoir fiscal prévu par les dispositions alors applicables de l'article 158 bis du code général des impôts qui réservaient le bénéfice de ce crédit d'impôt aux seuls dividendes de source française. Par des réclamations du 22 décembre 2005, la société CIC, en sa qualité de société tête du groupe fiscalement intégré, a sollicité la restitution de l'impôt sur les sociétés acquitté à raison de ces dividendes. L'administration fiscale lui ayant opposé un refus implicite, elle a saisi le tribunal administratif de Paris de deux demandes tendant à la restitution, pour la première, de la somme de 2 145 236,86 euros au titre de l'exercice clos en 2001 et, pour la seconde, des sommes de 624 809 et 1 049 948 euros au titre, respectivement, des exercices clos en 2000 et 2001. Par des ordonnances du 4 octobre 2013, le président de la 2ème chambre de la 1ère section de ce tribunal a rejeté ses demandes. Par l'arrêt attaqué du 8 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé ces ordonnances, a rejeté les demandes présentées par la société CIC devant le tribunal administratif de Paris ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.

2. Par l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les principes d'équivalence et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société des sommes de nature à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d'autres Etats membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres Etats membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son Etat membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices.

3. La Cour de justice a précisé que la production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres Etats membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces Etats se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs. Tout en indiquant qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour a précisé que les justificatifs requis ne devraient pas revêtir une forme particulière, l'appréciation ne devant pas être effectuée de manière trop formaliste. Elle a également souligné que l'administration fiscale n'a pas à répondre des difficultés rencontrées par la société mère pour fournir les informations requises relatives à l'impôt acquitté par sa filiale distributrice de dividendes, difficultés liées non pas à la complexité intrinsèque de celles-ci, mais au défaut de coopération éventuel de la part de la filiale concernée, et qu'en outre, la seule existence de mécanismes d'assistance mutuelle ne dispense pas la société mère bénéficiaire de dividendes d'apporter la preuve de l'impôt acquitté par la société distributrice dans un autre Etat membre.

4. Les principes rappelés aux points 2 et 3 ci-dessus, dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés, établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d'impôt dont elle réclame le bénéfice a vocation à s'imputer, non sur le précompte mobilier mais sur l'impôt sur les sociétés. Dans l'un et l'autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne.

5. Le caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres Etats membres s'apprécie pour chaque dividende en litige et, le cas échéant, en fonction de circonstances exceptionnelles invoquées par le redevable, de nature à justifier l'impossibilité matérielle de produire les éléments requis. Lorsque le redevable produit des éléments ou se prévaut de l'impossibilité matérielle de les produire, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour le dividende en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société CIC a produit, sur un support cd-rom, de nombreux documents tels que des attestations établies par une cinquantaine de sociétés distributrices et des données provenant de la base d'informations financières Bloomberg ainsi qu'un rapport d'expertise, réalisé en février 2015 par le cabinet Deloitte, analysant les données disponibles sur les impositions subies par les sociétés distributrices et faisant notamment état, pour certaines d'entre elles, d'un taux effectif d'imposition établi sur la base de données consolidées. La société CIC soutenait, par ailleurs, que son statut d'actionnaire minoritaire dans des sociétés étrangères cotées rendait extrêmement difficile l'obtention d'informations sur le taux d'imposition effectivement appliqué. Au soutien de cette affirmation, elle a produit des attestations selon lesquelles le montant d'impôt effectivement acquitté ne devait pas être dévoilé pour des raisons de confidentialité ou n'était pas connu. En outre, le rapport du cabinet Deloitte confirme que les déclarations fiscales des sociétés distributrices ne sont pas portées à la connaissance des actionnaires minoritaires. En estimant de façon globale, en dépit de la production de ces éléments, et alors que l'administration fiscale n'apportait pas d'élément en sens contraire, que la société ne pouvait être regardée, pour aucun des dividendes en litige, comme apportant les premiers éléments de vraisemblance quant au caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres Etats membres, la cour a méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve énoncées au point 5 ci-dessus et ainsi commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que la société CIC est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a rejeté les demandes qu'elle avait présentées devant le tribunal administratif de Paris ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt nos 13PA04428, 13PA04433 de la cour administrative d'appel de Paris du 8 juillet 2016 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 500 euros à la société CIC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Crédit industriel et commercial et au ministre de l'action et des comptes publics.


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