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Ariane Web: Conseil d'État 428832, lecture du 6 juin 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:428832.20190606

Décision n° 428832
6 juin 2019
Conseil d'État

N° 428832
ECLI:FR:CEORD:2019:428832.20190606
Inédit au recueil Lebon



Lecture du jeudi 6 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Puy-de-Dôme ou, à titre supplétif, au président du conseil départemental du Puy-de-Dôme de lui assurer ainsi qu'à sa famille un hébergement d'urgence dans un cadre adapté et digne sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 1900312 du 16 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 14 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler cette ordonnance ;

3°) de faire droit à ses demandes de première instance.



Il soutient que :
- il est justifié de l'existence d'une situation d'urgence et d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors, en premier lieu, que les conditions dans lesquelles il est hébergé avec sa famille, composée de cinq enfants mineurs, sont précaires et indignes et, en second lieu, que ses conditions d'hébergement affectent la santé de ses enfants.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles;
- le code de justice administrative ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur les conclusions de M. B...dirigées contre l'Etat :

2. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse (...) ". L'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

4. M. B...soutient par les mêmes moyens reproduits en appel qu'il est hébergé dans des conditions précaires et indignes de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à l'état de santé de ses enfants ainsi qu'à la situation de sa famille.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que, d'une part, M. B...et sa famille ont bénéficié sur le territoire de la commune de Riom, et à compter du 20 juillet 2018, d'un appartement de type 4 entièrement équipé et situé à proximité des établissements scolaires. Les intéressés ont néanmoins décidé de quitter ce logement le 15 janvier 2019. Eu égard à l'absence d'élément permettant de considérer que ce logement aurait, par sa localisation ou ses caractéristiques, été incompatible avec l'état de santé des membres de la famille de M. B..., ce dernier doit être regardé comme étant à l'origine de la situation de détresse dont il entend se prévaloir. D'autre part, il est constant que M. B...et sa famille sont hébergés à Clermont-Ferrand depuis le 16 janvier 2019 dans une résidence hôtelière à vocation sociale relevant du dispositif d'hébergement d'urgence mis en place par l'Etat. En outre, il résulte des pièces produites par la préfète du Puy-de-Dôme et notamment des attestations des responsables de la résidence hôtelière, que la famille B...dispose d'une chambre parfaitement chauffée, d'environ trente mètres carrés, comprenant un point d'eau et une armoire de rangement. Il en résulte au surplus que la famille intéressée bénéficie d'un service de restauration et que les enfants jouissent d'activités ludiques et culturelles. Ainsi et contrairement aux allégations de M. B..., il ne résulte pas de l'instruction que la résidence hôtelière, qui a pu connaître de difficultés les plus courantes en matière d'hôtellerie à vocation sociale, constituerait une structure dangereuse pour la santé des enfants. Dès lors, le requérant ne peut, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme justifiant d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative nécessitant l'intervention du juge des référés dans les quarante-huit heures.

Sur les conclusions de M. B...dirigées contre le département du Puy-de-Dôme :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 222-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes. (...) ". Aux termes de l'article L. 222-3 : " L'aide à domicile comporte, ensemble ou séparément : / (...) - le versement d'aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d'allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement, éventuellement délivrés en espèces. ". Aux termes de l'article L. 222-5 : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) ". Il résulte des dispositions de l'article L. 122-1 du même code que les prestations légales versées au titre de l'aide sociale à l'enfance sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours ou, à défaut, dans lequel ils résident au moment de leur demande d'admission à l'aide sociale.

7. La compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence n'exclut pas l'intervention du département par la voie d'aides financières destinées à permettre temporairement l'hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l'exigent, sur le fondement de l'article L. 222-3 précité du code de l'action sociale et des familles. Toutefois, de telles prestations ne sont pas d'une nature différente de celles que l'Etat pourrait fournir en cas de saturation des structures d'hébergement d'urgence. Les besoins des enfants ne sauraient faire l'objet d'une appréciation différente selon la collectivité amenée à prendre en charge, dans l'urgence, l'hébergement de la famille. Ainsi, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d'une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article L. 222-5 du même code, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans mentionnées au 4° du même article, l'intervention du département ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où l'Etat n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d'une procédure d'urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l'autorité principalement compétente, les diligences qui s'avéreraient nécessaires.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 de la présente ordonnance que M. B... ne justifie pas d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et que dès lors, il n'y a pas lieu d'enjoindre au département du Puy-de-Dôme de lui assurer ainsi qu'à sa famille un hébergement d'urgence.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter la requête, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B..., à la ministre des solidarités et de la santé et au département du Puy-de-Dôme.
Copie en sera adressée à la préfete du Puy-de-Dôme.