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Ariane Web: Conseil d'État 431115, lecture du 21 juin 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:431115.20190621

Décision n° 431115
21 juin 2019
Conseil d'État

N° 431115
ECLI:FR:CEORD:2019:431115.20190621
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du vendredi 21 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. E...A..., M. B...C..., l'association L'Auberge des migrants, l'association La Cimade, l'association DROP Solidarité, la Fondation AbbéD..., l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), l'association la Ligue des droits de l'homme, l'association Médecins du monde, l'association Refugee women's centre et l'association Salam ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Nord de :
- mettre en place sur la commune de Grande-Synthe un dispositif d'hébergement d'urgence adapté à la population en détresse résidant sur son territoire, et permettant de couvrir les besoins fondamentaux de ces personnes dans un délai de trente jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- suspendre les expulsions des personnes sans abri dans l'attente de la mise en place de solutions de relogement adaptées et mettre fin aux destructions et confiscations de biens dans un délai de deux jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- communiquer aux associations requérantes l'ensemble des décisions de justice ou administratives ayant fondé les expulsions survenues à Grande-Synthe depuis le début de l'année 2018 dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- installer des points d'eau, des cabines de douches et des sanitaires en nombre suffisant sur les sites identifiés comme lieux de vie des migrants, dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- mettre en oeuvre une distribution de repas au bénéfice de l'ensemble des personnes qui n'ont pas accès aux lieux d'hébergement provisoires, dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- mettre en place des maraudes d'information à l'occasion desquelles des documents dans les langues principales des personnes sans abri présentes à Grande-Synthe seront remis aux intéressés, aux fins de porter à leur connaissance la disponibilité du service et les modalités d'organisation de celui-ci dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 1903679 du 9 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Par une requête, enregistrée le 27 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...et les associations précitées demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- l'ordonnance contestée a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que des pièces ont été produites le 7 mai 2019 sans qu'elles ne soient portées à la connaissance des requérants ni que le juge n'ait rouvert l'instruction afin de mettre les exposants à même d'en discuter ;
- l'ordonnance contestée est, d'une part, entachée d'une erreur de faits dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a considéré qu'il avait été décidé de fermer le gymnase à brève échéance et, d'autre part, entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il a estimé que l'installation de sanitaires, de points d'eau ou de douches demanderait un délai important ;
- la situation de carence relative au gymnase s'est aggravée dès lors que le centre de culture populaire de Grande-Synthe a été fermé le 17 mai et que les familles qui s'y trouvaient ont été invitées à rejoindre le site du gymnase ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a méconnu son office en considérant que la circonstance, à la supposer établie, de la fermeture du gymnase faisait obstacle à ce qu'il prescrive les mesures sollicitées ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur d'appréciation en ce qu'il a retenu que les requérants ne fournissaient pas de précisions suffisantes quant au nombre de personnes vivant sur le site du Puythouck et en se fondant sur un document produit par l'autorité préfectorale recensant uniquement les ressortissants pakistanais vivant sur le site ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, à tort, considéré qu'une carence de l'Etat n'était pas caractérisée alors que les distributions alimentaires reposent seulement sur les actions de solidarité d'associations ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, à tort, considéré que les informations délivrées aux migrants relatives à la mise en oeuvre du droit à l'hébergement d'urgence sont suffisantes et que l'absence d'un interprète en langue sorani à l'occasion des maraudes ne caractérisait pas une carence ;
- une atteinte grave et manifestement illégale est portée au droit à l'hébergement d'urgence pour l'ensemble des personnes, et notamment les plus précaires, présentes sur le territoire de la commune de Grande-Synthe dès lors que le dispositif d'accueil et d'hébergement d'urgence est inadapté ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a méconnu son office en s'abstenant d'opérer un contrôle de proportionnalité et de vérifier que les instructions délivrées aux forces de police à Grande-Synthe quant au déroulement des opérations d'expulsion - dont le caractère est expéditif et répétitif - ne portaient pas, par elles-mêmes, atteinte aux libertés fondamentales des occupants ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle a retenu le défaut d'actualité des opérations d'expulsion ;
- les forces de l'ordre ont porté, au cours des opérations d'expulsion ou d'évacuation, une atteinte grave et manifestement illégale au droit des occupants de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants ainsi qu'au respect de leurs biens, de leur domicile et de leur vie privée ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a considéré que la société en charge du nettoyage des terrains évacués procédait au remisage des biens restés sur place alors que cela n'est pas établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2019, le ministre de l'intérieur conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que les injonctions soient prononcées à l'encontre de la commune de Grande-Synthe. Il soutient que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est pas remplie et qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Des observations ont été présentées, le 13 juin 2019, par la commune de Grande-Synthe à l'appui de la requête.

La requête a été communiquée à la ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas produit de mémoire.




Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C... et autres et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, la ministre des solidarités et de la santé et la commune de Grande-Synthe ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 17 juin 2019 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... et autres ;

- la représentante de M. C...et autres ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Grande-Synthe ;

- les représentants de la commune de Grande-Synthe ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au mardi 18 juin 2019, à 17 heures, puis au mercredi 19 juin 2019 à 17 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 18 juin 2019, présenté par le ministre de l'intérieur qui reprend les conclusions et moyens de son mémoire en défense ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure civile ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2019 après la clôture de l'instruction, présentée par les requérants ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, depuis plus de dix ans, de très nombreux migrants, désormais essentiellement d'origine irakienne, souhaitant rejoindre l'Angleterre, sont présents sur le territoire de la commune de Grande-Synthe (Nord) qui est située entre le port de Dunkerque et les terminaux de Ferry de Loon Plage, à proximité de l'autoroute A16 desservant le tunnel sous la Manche. En mars 2016, cette commune de 22 000 habitants a créé le camp dit de la Linière, qui a accueilli, avec le soutien de l'Etat, environ 1 800 personnes avant d'être détruit lors d'un incendie en avril 2017, entraînant la dispersion des occupants dans le bois du Puythouck situé à proximité. En décembre 2017, la commune a ouvert, à nouveau avec le soutien de l'Etat, un accueil provisoire autour du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin, lequel a accueilli près de 1 500 personnes jusqu'à sa fermeture, en mai 2018, qui a entraîné son évacuation avec le concours de la force publique et l'acheminement des occupants vers divers lieux d'hébergement de la région. De nombreux migrants se sont, à nouveau, installés et ont occupé successivement des terrains appartenant à la communauté urbaine de Dunkerque et à deux sociétés d'où ils ont été évacués dans le cadre de procédures d'expulsion relevant du juge judiciaire, puis le bois de Puythouck d'où près de 1 300 personnes ont été évacuées en octobre 2018 dans le cadre d'une procédure identique qui avait été introduite par la commune de
Grande-Synthe, en sa qualité de propriétaire du bois, conformément à l'engagement qu'elle avait pris dans le cadre d'un protocole d'accord relatif à une gestion concertée et régulée de la crise migratoire, conclu le 9 octobre 2018 avec l'Etat et la communauté urbaine de Dunkerque. Lors de chacune de ces évacuations, les personnes ont été, à nouveau, orientées vers divers lieux d'hébergement de la région. Toutefois de nombreux migrants ont continué à s'installer dans le bois du Puythouck. En décembre 2018, la commune, qui avait proposé, dans le protocole précité, de mettre à disposition de l'Etat le gymnase de l'Espace jeunes du Moulin ainsi qu'un autre local appelé Centre des cultures populaires, pour accueillir respectivement 150 et 50 personnes selon des modalités à définir par une convention ultérieure, a décidé, contre l'avis de l'Etat et en l'absence d'une telle convention, d'ouvrir ces deux lieux d'accueil. Le 17 mai 2019, la commune a décidé de fermer le centre des cultures populaires à l'accueil des migrants et ceux qui s'y trouvaient se sont regroupées à l'intérieur et autour du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin, pour un total, avec le bois du Puythouk, estimé à environ 700 personnes.

2. MM. A...etC..., qui font partie des migrants installés sur la commune, ainsi que neuf associations venant en aide à ces derniers ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de prononcer à l'encontre du préfet du Nord, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, diverses injonctions portant, en premier lieu, sur le droit des migrants à accéder à un hébergement d'urgence sur la commune de
Grande-Synthe, en deuxième lieu, sur les procédures d'expulsion en cours et, en troisième lieu, sur les conditions de vie des migrants au bois du Puythouck, au gymnase de l'Espace jeunes du Moulin et ses alentours ainsi qu'avant qu'il ne ferme, au Centre des cultures populaires. Par une ordonnance du 9 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande. M. C...et autres relèvent appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 522-8 du code de justice administrative : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. / L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 731-3 du même code : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". Lorsque le juge des référés est saisi, postérieurement à l'audience ou, si
celle-ci a été différée, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'une note en délibéré, il lui appartient d'en prendre connaissance et, s'il estime que cette note n'apporte pas d'éléments nouveaux de nature à justifier la réouverture de l'instruction, de la viser sans l'analyser.

5. Il résulte des termes de l'ordonnance attaquée que le juge des référés ne s'est fondé, pour statuer, sur aucun des éléments produits à l'appui de la note en délibéré présentée par le ministre de l'intérieur après la clôture de l'instruction qui avait été fixée à l'issue de l'audience. Par suite, et alors même que ces éléments ont été présentés par le ministre comme ayant été demandés à l'audience, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'ordonnance attaquée serait entachée d'une irrégularité.

Sur le cadre juridique du litige :

6. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

7. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

8. En l'absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur la condition d'urgence :

9. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la circonstance que les requérants ont attendu le dernier jour du délai de quinze jours dont ils disposaient pour faire appel de l'ordonnance attaquée et celle, au demeurant non établie, que les migrants installés sur la commune de Grande-Synthe n'auraient choisi ni de bénéficier des dispositifs d'hébergement d'urgence ni de demander l'asile, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à faire regarder comme n'étant pas remplie la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sur le droit d'accéder à un hébergement d'urgence :

10. Aux termes de l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles : "Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d'accueil et d'orientation (...)". Aux termes de l'article L. 345-2-2 dudit code : "Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...)". Aux termes de l'article L. 345-2-3 du même code : "'Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation.'". Enfin, aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

11. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Enfin, les demandeurs d'asile doivent pouvoir bénéficier, en application des articles L. 744-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de conditions matérielles décentes, lesquelles doivent comprendre outre le logement, la nourriture, l'habillement ainsi qu'une allocation journalière.

12. Les requérants soutiennent que les migrants présents sur le territoire de la commune de Grande-Synthe ne sont pas en mesure de faire valoir leur droit à bénéficier d'un hébergement d'urgence tel que prévu par les dispositions rappelées ci-dessus eu égard, d'une part, à l'insuffisance et à l'éloignement des structures d'hébergement mises en place par l'Etat, et d'autre part, à l'inadaptation des maraudes destinées à informer les intéressés de leurs droits.

En ce qui concerne les structures d'hébergement d'urgence :

13. Il ne relève pas de l'office du juge des référés de remettre en cause le choix de l'Etat de traiter la situation des migrants présents à Grande-Synthe en les prenant en charge, sous réserve de la mise en oeuvre des procédures d'éloignement du territoire français, dans des structures adaptées à leur situation et situées en dehors du territoire de la commune dans le but d'éviter que ne s'y reconstitue un afflux incontrôlé de migrants. Par ailleurs, les mesures qu'il peut prononcer, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne peuvent excéder celles qui sont mentionnées aux points 7 et 8.

14. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer comme l'a fait le juge des référés du tribunal administratif de Lille ni sur l'absence de saturation des capacités d'hébergement d'urgence proposées à l'ensemble des migrants de la commune de
Grande-Synthe, selon le ministre de l'intérieur, ni sur l'existence de refus de prises en charge opposés à certains migrants, selon les requérants, ces derniers ne sont pas fondés à se plaindre du rejet, par l'ordonnance attaquée, de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de mettre en place sur le territoire de cette commune des structures d'hébergement d'urgence destinées aux migrants qui y sont installés.

En ce qui concerne les maraudes :

15. Il résulte de l'instruction et en particulier des échanges intervenus lors de l'audience que s'il n'est pas sérieusement contesté que, grâce notamment à l'appui de l'association AFEJI mandatée par l'Etat, les maraudes ont lieu de manière régulière dans le bois du Puythouck aux fins notamment d'éviter, suite à la dernière évacuation d'octobre 2018, l'installation de nouveaux migrants, elles ne portent que marginalement sur le gymnase de l'Espace jeunes du Moulin et ses alentours où sont désormais concentrés les quelque 700 migrants présents dans la commune dont une centaine de migrants non accompagnés. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, une telle situation est constitutive d'une carence d'autant plus caractérisée qu'il ne fait valoir aucune saturation, ainsi qu'il a été dit, des structures d'hébergement d'urgence ou, s'agissant des mineurs non accompagnés, du dispositif mis en place conjointement par l'Etat et le service d'aide sociale à l'enfance du département du Nord.

16. Par suite, les requérants, aux conclusions desquelles la commune de Grande-Synthe s'est associée, sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de mettre en place, dans un délai de huit jours, des maraudes d'information à l'intérieur et autour du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin à l'occasion desquelles des documents dans les langues principales, dont le Sorani, seront remis aux migrants pour les informer de leurs droits en tant que demandeurs d'asile, mineurs non accompagnés ou bénéficiaires d'un hébergement d'urgence.

Sur les procédures d'expulsion en cours :

17. Les requérants soutiennent que les procédures d'expulsion, dont il n'est pas contesté que, contrairement à ce qu'a relevé l'ordonnance attaquée, elles sont toujours en cours, sont constitutives d'atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales des personnes qui en font l'objet, en particulier dans le bois de Puythouck, eu égard, d'une part, à leur caractère expéditif et répétitif et, d'autre part, aux dégradations et aux confiscations de biens auxquelles elles donnent lieu.

En ce qui concerne le caractère " expéditif et répétitif " des expulsions :

18. Aux termes de l'article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux ". En vertu de l'article R. 411-3 du même code, si l'expulsion vise des personnes non dénommées, l'acte d'huissier portant commandement d'avoir à libérer les locaux est remis au parquet à toutes fins. Aux termes de l'article R. 441-1 du même code : " La réinstallation sans titre de la personne expulsée dans les mêmes locaux est constitutive d'une voie de fait. / Le commandement d'avoir à libérer les locaux signifié auparavant continue de produire ses effets (...). ". Il ne résulte d'aucune disposition qu'il appartienne au préfet, saisi d'une demande d'octroi du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement d'expulsion, d'apprécier la validité du commandement de quitter les lieux délivré par l'huissier de justice.

19. D'une part, il résulte de l'instruction diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille que, par des ordonnances des 7 et 20 juin 2018 rendues à la demande de la communauté urbaine de Dunkerque, par une ordonnance du 12 septembre 2018 rendue à la demande des sociétés Ceetrus France et Auchan Flandre littoral et par une ordonnance du 11 octobre 2018 rendue à la demande de la commune de Grande-Synthe, le président du tribunal de grande instance de Dunkerque a ordonné aux personnes occupant diverses parcelles situées sur le territoire de la commune de Grande-Synthe et appartenant aux différents demandeurs précités, de les libérer sous peine de se voir expulser avec le concours de la force publique si besoin. Il n'est pas contesté par les requérants que les opérations d'expulsion litigieuses ont porté sur l'une ou l'autre des parcelles mentionnées dans les ordonnances rendues par le président du tribunal de grande instance de Dunkerque et que leur répétition est justifiée par l'installation à nouveau des personnes expulsées ou de nouveaux migrants.

20. D'autre part, si des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion telles que l'exécution de celle-ci serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique, il ne résulte pas de l'instruction qu'eu égard aux conditions matérielles dans lesquelles les migrants s'installent sur les parcelles mentionnées au point précédent et à la possibilité qui leur est ouverte de bénéficier, dans les conditions rappelées au point 11, d'un hébergement d'urgence, le préfet du Nord ait commis une illégalité manifeste en prêtant le concours de la force publique, sans que son accord n'ait à être renouvelé avant chaque opération, pour assurer l'exécution des ordonnances d'expulsion.

21. Par suite, les requérants, qui n'invoquent en appel aucun moyen à l'encontre du rejet par l'ordonnance attaquée de leurs conclusions tendant à ce que leur soient communiquées toutes les décisions de justice ou administratives ayant fondé les expulsions survenues à Grande-Synthe depuis le début de l'année 2018, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de suspendre les expulsions dans l'attente de la mise en place de solutions de relogement adaptées.

En ce qui concerne les dégradations ou la confiscation de biens :

22. Aux termes de l'article L. 122-2 du code des procédures civiles d'exécution : " L'huissier de justice chargé de l'exécution a la responsabilité de la conduite des opérations d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 423-1 du même code : " Les meubles se trouvant sur les lieux sont remis, aux frais de la personne expulsée, en un lieu que celle-ci désigne. A défaut, ils sont laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier de justice chargé de l'exécution avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai fixé par voie réglementaire ".

23. Il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation rédigée le 17 juin 2009 par l'huissier en charge des opérations d'expulsion, en premier lieu, qu'au cours de
celles-ci, après avoir informé les occupants de l'existence de l'ordonnance d'expulsion et des bus mis à leur disposition pour rejoindre des structures d'hébergement, il les invite à prendre leurs effets personnels, en deuxième lieu, que certains occupants prennent la fuite avec leurs sacs et sont parfois retrouvés plus tard sur la même zone, en troisième lieu, que les effets ainsi abandonnés par les occupants ou laissés par d'autres migrants non présents lors des opérations sont ramassés par une société de nettoyage, la nourriture étant laissée sur place faute de pouvoir être conservée et transportée et, en quatrième lieu, que chaque intervention donne lieu à la rédaction d'un procès-verbal qui est susceptible de permettre, même s'il n'est pas signifié faute d'identité connue des personnes en cause, la restitution des biens.

24. Par suite, et nonobstant la circonstance que l'intervention des forces de l'ordre pour assister l'huissier ou de la société de ramassage puisse se traduire, ponctuellement, par la dégradation de certains des biens, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions des requérants tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de mettre fin aux destructions et confiscations de biens.

Sur les conditions de vie au bois du Puythouck ainsi qu'au gymnase de l'Espace jeunes du Moulin et ses alentours :

25. Les requérants soutiennent, enfin, en invoquant le principe rappelé au
point 8, qu'il revient à l'Etat, d'une part, d'assurer la distribution de repas aux migrants installés dans le bois du Puythouck, et surtout depuis la fermeture du centre des cultures populaires, à l'intérieur et autour du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin et, d'autre part, de mettre en place en ces lieux des points d'eau, des cabines de douches et des sanitaires en nombre suffisant pour les personnes en cause.

26. En premier lieu, il n'est pas contesté par les requérants que ceux des migrants installés sur le territoire de la commune de Grande-Synthe qui ne pourvoient pas par eux-mêmes à leurs besoins alimentaires sont en mesure de le faire grâce à l'aide que plusieurs associations leur apportent avec le concours des services de la commune. Ainsi la situation de fait actuelle ne justifie pas qu'il soit fait droit à leurs conclusions tendant à enjoindre au préfet du Nord d'assurer la distribution de repas.

27. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que si les migrants installés dans le bois du Puythouck n'ont accès qu'à une rampe de quelques robinets en mauvais état, les intéressés sont, compte tenu des opérations d'expulsion évoquées au point 17, peu nombreux et bénéficient grâce aux bus mis à leur disposition et aux maraudes, de l'accès aux structures d'hébergement d'urgence, dans les conditions rappelées au point 8. C'est donc également à bon droit que, par l'ordonnance attaquée, les conclusions aux fins d'injonctions présentées en la matière ont été rejetées.

28. En troisième et dernier lieu, il est constant que les équipements sanitaires du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin sont manifestement insuffisants pour permettre un accès à l'eau, notamment potable, et aux toilettes aux quelque 700 personnes installées à l'intérieur du gymnase ou à proximité.

29. Eu égard à son office, il n'appartient au juge des référés, statuant en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de se prononcer ni sur le refus implicite du maire de Grande-Synthe, confirmé lors de l'audience, de donner suite à l'invitation qui lui a été adressée par le préfet du Nord, en dernier lieu le 14 mai 2019, de demander, comme la commune l'avait fait pour le bois du Puythouck, l'expulsion des migrants qui sont installés dans les locaux et terrains lui appartenant, ni sur la répartition finale des charges financière liées à l'accueil des migrants sur la commune entre celle-ci et l'Etat.

30. Par suite, et dès lors que les mesures sollicitées, qui sont destinées à faire face à l'afflux massif de migrants en provenance de l'ensemble du territoire, excèdent les pouvoirs de police générale du maire de la commune, les requérants, aux conclusions desquelles la commune s'est associée, sont fondés à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'installer, dans un délai de huit jours, des points d'eau, des cabines de douches et des sanitaires en nombre suffisant à proximité du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin.

31. Il résulte de toute ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, leur demande a été rejetée en tant seulement qu'elle porte sur les injonctions mentionnées aux points 16 et 30. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir ces injonctions d'astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : Il est enjoint au préfet du Nord, d'une part, de mettre en place, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, des maraudes d'information à l'intérieur et autour du gymnase de l'Espace jeunes du Moulin à l'occasion desquelles des documents dans les langues principales, dont le Sorani, seront remis aux migrants pour les informer de leurs droits, en tant que demandeurs d'asile, de mineurs non accompagnés ou de bénéficiaires d'un hébergement d'urgence et, d'autre part, d'installer, dans le même délai, des points d'eau, des cabines de douches et des sanitaires en nombre suffisant à proximité de ce gymnase.
Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille n° 1903679 du 9 mai 2019 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête ainsi que les conclusions du ministre de l'intérieur dirigées contre la commune de Grande-Synthe sont rejetés.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...C..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, ainsi qu'au ministre de l'intérieur, à la commune de Grande-Synthe et au préfet du Nord.