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Ariane Web: Conseil d'État 411263, lecture du 1 juillet 2019, ECLI:FR:CESEC:2019:411263.20190701

Décision n° 411263
1 juillet 2019
Conseil d'État

N° 411263
ECLI:FR:CESEC:2019:411263.20190701
Publié au recueil Lebon
Section
Mme Sophie Baron, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU ; LE PRADO ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du lundi 1 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

M. D...C...a porté plainte contre Mme E...A...devant la chambre disciplinaire de première instance de Lorraine de l'ordre des médecins. Par une décision du 4 décembre 2013, la chambre disciplinaire a infligé à Mme A...la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois, dont deux mois assortis du sursis.

Par une décision n° 12172 du 7 avril 2017, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de MmeA..., infligé à cette dernière la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant un mois, dont quinze jours assortis du sursis.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1°) Sous le numéro 411263, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 juin, 7 septembre et 26 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de MmeA....


2°) Sous le numéro 411302, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 7 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. C...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de M.C..., à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme A...et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeB..., conjointe de M.C..., est décédée lors d'un accouchement, le 20 juin 2012, des suites d'une rachianesthésie pratiquée par MmeA..., médecin spécialiste en anesthésie, pour la réalisation d'une césarienne. Saisie d'une plainte de M.C..., la chambre disciplinaire de première instance de Lorraine de l'ordre des médecins a, par une décision du 4 décembre 2013, infligé à Mme A...la sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois, dont deux mois assortis du sursis, à raison notamment de ce qu'elle avait méconnu les obligations d'information de sa patiente et de recueil de son consentement éclairé, prévues par les articles R. 4127-35 et R. 4127-36 du code de la santé publique, ainsi que l'obligation d'information mutuelle entre médecins soignant un même malade, prévue par l'article R. 4127-64 du même code.

2. Sur appel de MmeA..., la chambre disciplinaire nationale a, par une décision du 7 avril 2017, écarté les griefs tirés de la méconnaissance des articles R. 4127-35, R. 4127-36 et R. 4127-64 du code de la santé publique et, ne retenant que le seul grief de méconnaissance de l'article R. 4127-33 de ce code aux termes duquel : " Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés ", a ramené la sanction prononcée en première instance à une interdiction d'exercer la médecine pendant un mois, dont quinze jours assortis du sursis.

3. Par deux pourvois, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, M. C...et Mme A...demandent l'annulation de cette décision du 7 avril 2017 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.

Sur le pourvoi de M.C... :

En ce qui concerne la recevabilité du pourvoi :

4. L'article L. 4123-2 du code de la santé publique dispose que : " Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mise en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant, le cas échéant. (...) ". Par ailleurs, le VI de l'article L. 4122-3 du même code dispose que : " Peuvent faire appel, outre l'auteur de la plainte et le professionnel sanctionné, le ministre chargé de la santé, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil départemental ou territorial et le Conseil national de l'ordre intéressé ". Ces dispositions confèrent à l'auteur d'une plainte la qualité de partie à l'instance disciplinaire introduite par sa plainte. M.C..., qui avait ainsi qualité de partie en défense devant la chambre disciplinaire nationale a, par suite, qualité pour se pourvoir en cassation contre la décision du 7 avril 2017. Il résulte du dispositif de cette décision et de ce qui a été dit au point 2 qu'il justifie d'un intérêt à en demander l'annulation.

En ce qui concerne les conclusions du pourvoi :

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables (...) ". A ce titre, les dispositions de l'article R. 4127-35 du même code, relatives à la déontologie des médecins, prévoient que : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose " et celles de l'article R. 4127-36 prévoient que : " Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences ".

6. Il résulte des termes de la décision attaquée que, pour écarter le grief tiré de ce que Mme A...avait méconnu les obligations déontologiques, qui lui incombaient en vertu des dispositions du code de la santé publique citées ci-dessus, d'information et de recueil du consentement de sa patiente sur la rachianesthésie pratiquée le jour de l'accouchement, la chambre disciplinaire nationale a jugé que ces obligations avaient été remplies lors de la consultation pré-anesthésique par l'information donnée à Mme B...sur l'anesthésie péridurale qui était alors envisagée pour un accouchement par voie basse, en raison de ce que, selon les termes de sa décision, en dépit des différences entre les deux actes anesthésiques, leurs risques sont identiques. En statuant ainsi, sans rechercher si, pour exprimer son consentement à la césarienne et à la rachianesthésie qui y était associée, Mme B...avait été, soit informée des risques qui s'attachaient à la rachianesthésie, soit informée de ce que cet acte comportait, si tel était le cas, les mêmes risques que ceux qui lui avaient été exposés sur l'anesthésie péridurale, la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d'une erreur de droit.

7. M. C...est, par suite, fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

Sur les conclusions de Mme A...dirigées contre la même décision :

8. La décision du 7 avril 2017 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins étant annulée par la présente décision, les conclusions du pourvoi de Mme A...qui tendent à son annulation sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les conclusions des deux pourvois présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande à ce titre Mme A.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande, au même titre, M.C....


D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 7 avril 2017 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A...dirigées contre la décision du 7 avril 2017 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C...présenté au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les conclusions de Mme A...présentées au même titre, sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D...C...et à Mme E...A....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins et à la ministre des solidarités et de la santé.


Voir aussi