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Ariane Web: Conseil d'État 411474, lecture du 10 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:411474.20190710

Décision n° 411474
10 juillet 2019
Conseil d'État

N° 411474
ECLI:FR:CECHR:2019:411474.20190710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 10 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B...ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2006 et 2007 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1304806 du 15 avril 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15MA02553 du 13 avril 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. et Mme B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juin et 13 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur la remise en cause du sursis d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport de titres à la société Valmer en 2006 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de L'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme B...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile Valmer, qui a opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, a été créée le 20 septembre 2006. M. B... a apporté au capital de cette société les cent trente-deux actions qu'il détenait dans la société Alpes Assainissement, pour un montant total évalué à 3 771 240 euros. M. et Mme B... ont placé la plus-value réalisée à l'occasion de cette opération d'apport en sursis d'imposition sur le fondement des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts. Par acte du 2 novembre 2006, la société Valmer a cédé l'ensemble des actions de la société Alpes Assainissement à la société Sud-Est Assainissement, pour un montant de 3 771 430 euros. A l'occasion d'un examen contradictoire d'ensemble de leur situation fiscale personnelle, l'administration fiscale a notamment remis en cause le bénéfice du sursis d'imposition de la plus-value d'apport et réintégré le montant de celle-ci dans les revenus imposables des contribuables au titre de l'année 2006. M. et Mme B...se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 13 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté leur appel contre le jugement du 15 avril 2015 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté leur demande tendant notamment à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2006 en conséquence de cette rectification.

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

3. En vertu de l'article 150-0 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'année 2006, les dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts relatives à l'imposition des plus-values de cession, " (...) ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés (...) ".

4. Il résulte des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable. L'acquisition par la société de biens appartenant au contribuable ne peut être regardée comme un réinvestissement à caractère économique dès lors qu'elle permet à celui-ci d'appréhender tout ou partie du produit de cession des titres ayant fait l'objet de l'opération d'apport.

5. En premier lieu, en jugeant que l'acquisition par la société Valmer, le 20 avril 2009, des parts que M. et Mme B...détenaient dans trois sociétés ne pouvait être regardée comme un réinvestissement à caractère économique au motif que cette opération avait permis aux contribuables d'appréhender la trésorerie de la société Valmer constituée à la suite de la cession, par celle-ci, des parts de la société Alpes Assainissement ayant fait l'objet de l'apport initial, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En deuxième lieu, en jugeant qu'en l'absence de circonstances particulières de nature à lui retirer son caractère patrimonial, un prêt ne pouvait, par principe, constituer un investissement à caractère économique, alors qu'un prêt peut, au regard notamment de la qualité de l'emprunteur, de son objet et de ses modalités, s'analyser comme un investissement à caractère économique, la cour a commis une erreur de droit.

7. En troisième lieu, en se fondant, pour dénier le caractère de réinvestissement économique à l'acquisition par la société Valmer d'un terrain en juin 2007, sur la seule circonstance que cette acquisition n'avait été suivie d'aucun investissement économique, sans rechercher quel était l'objectif poursuivi par cette acquisition, la cour a commis une seconde erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, en tant qu'il s'est prononcé sur la remise en cause du sursis d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport de titres à la société Valmer en 2006 et sur les pénalités correspondantes.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 avril 2017 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la remise en cause du sursis d'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport de titres à la société Valmer en 2006 et sur les pénalités correspondantes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.




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