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Ariane Web: Conseil d'État 419855, lecture du 30 septembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:419855.20190930

Décision n° 419855
30 septembre 2019
Conseil d'État

N° 419855
ECLI:FR:CECHR:2019:419855.20190930
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 30 septembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société Hôtel Restaurant Luccotel a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009. Par un jugement n° 1502490 du 23 février 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16NT01325 du 15 février 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hôtel Restaurant Luccotel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts, l'annexe III à ce code et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la Société Hôtel Restaurant Luccotel ;


Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par acte sous seing privé du 28 décembre 2009, la SCI LBA a cédé à la société Hôtel Restaurant Luccotel, détenue indirectement par les associés de la SCI, l'usufruit de la totalité de ses parts sociales pour une durée de vingt ans et un montant total de 460 euros. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause l'évaluation de la valeur de cet usufruit qu'elle a estimée, en application de la méthode d'actualisation des flux de revenus attendus, à la somme de 949 000 euros, par la suite ramenée à 632 993 euros. En conséquence, l'administration a procédé au rehaussement de l'actif net de la société Hôtel Restaurant Luccotel à hauteur de la différence entre la valeur réelle de l'usufruit et celle inscrite à l'actif de cette société. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 février 2018 de la cour administrative de Nantes qui a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 23 février 2016 par lequel le tribunal administratif d'Orléans avait rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités résultant de cette rectification.

2. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. " Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III à ce code : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies. / (...) ; / b. Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale ; / (...). "

3. D'une part, la valeur vénale des titres d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.

4. D'autre part, en cas de démembrement de droits sociaux, l'usufruitier, conformément à l'article 582 du code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n'a droit qu'aux dividendes distribués.

5. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que l'administration a déterminé la valeur attendue de l'usufruit provisoire des parts de la SCI LBA sur la base de la capitalisation, avec taux d'actualisation de 5%, des résultats nets d'activité de la société avec un abattement de 33,33% correspondant à une imposition théorique à l'impôt sur les sociétés. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que l'évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d'emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d'investissements futurs, lorsqu'elles sont justifiées par la société. Par suite, en jugeant que la méthode d'évaluation de la valeur de l'usufruit acquis par la société Hôtel Restaurant Luccotel, retenue par l'administration et fondée sur les résultats imposables prévisionnels de la société, était régulière alors qu'il convenait de déterminer cette valeur sur la base des distributions prévisionnelles, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Hôtel Restaurant Luccotel est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 février 2018 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : L'Etat versera à la société Hôtel Restaurant Luccotel la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Hôtel Restaurant Luccotel et au ministre de l'action et des comptes publics.


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