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Ariane Web: Conseil d'État 431146, lecture du 7 novembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:431146.20191107

Décision n° 431146
7 novembre 2019
Conseil d'État

N° 431146
ECLI:FR:CECHR:2019:431146.20191107
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Vincent Daumas, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP JEAN-PHILIPPE CASTON, avocats


Lecture du jeudi 7 novembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Le syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux (SMITVAD) a demandé au tribunal administratif de Rouen de suspendre l'exécution de la décision du 22 février 2019 par laquelle le président de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " a rejeté sa demande tendant à ce que la communauté urbaine exécute certaines des obligations découlant de contrats passés par le syndicat dans l'exercice de sa compétence. Par une ordonnance n° 1901425 du 13 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à cette demande et prononcé plusieurs injonctions à l'encontre de la communauté urbaine.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 mai, 12 juin et 2 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), venant aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande du SMITVAD ;

3°) de mettre à la charge du SMITVAD la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la communauté de l'agglomération Havraise et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat du syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la communauté de communes du canton de Criquetôt-l'Esneval était membre du syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux (SMITVAD) auquel elle avait transféré ses compétences relatives à la maîtrise d'ouvrage et à l'exploitation de plateformes de valorisation et de traitement, d'usines de valorisation énergétique et de centres de stockage des déchets. Le SMITVAD a conclu en 2010 avec la société Valor'Caux un bail emphytéotique administratif et une délégation de service public ayant pour objet la conception, la réalisation, le financement et l'exploitation d'une unité de traitement des déchets ménagers et de deux installations de stockage de déchets. En vue d'assurer le financement des installations nouvelles prévues par ces contrats, le SMITVAD a également conclu avec la banque Dexia Crédit local un " accord direct de financement " par lequel il s'engageait à verser directement à la banque, à chacune de ses échéances, l'une des redevances dues au délégataire en exécution du contrat de délégation de service public. Par un arrêté du préfet de l'Eure du 19 octobre 2018, la communauté de communes du canton de Criquetôt-l'Esneval a été regroupée au 1er janvier 2019, par fusion, avec la communauté d'agglomération du Havre et avec une autre communauté de communes, toutes deux extérieures au SMITVAD, pour constituer une communauté urbaine dénommée " Le Havre Seine Métropole ". La communauté urbaine étant compétente de plein droit, en vertu des dispositions de l'article L. 5215-20 du code général des collectivités territoriales, en matière de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés, la communauté de communes du canton de Criquetôt-l'Esneval a été retirée du SMITVAD, en conséquence de cette fusion, par l'effet des dispositions de l'article L. 5215-22 du code général des collectivités territoriales.

2. Par une ordonnance du 13 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, d'une part, a prononcé la suspension de la décision du 22 février 2019 par laquelle le président de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " a refusé d'exécuter certaines des obligations découlant des contrats passés par le SMITVAD dans l'exercice de sa compétence, d'autre part, a enjoint à la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole ", sous astreinte, d'exécuter ces obligations, notamment d'apporter à la société Valor'Caux, en vue de leur traitement, les déchets ménagers issus des communes membres de l'ancienne communauté de communes du canton de Criquetôt-l'Esneval et de verser à la banque Dexia Crédit local une quote-part de la redevance due au titre des deux premières échéances trimestrielles de l'année 2019, déterminée conformément aux stipulations financières de la délégation de service public. Le syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire (SEVEDE), qui indique venir aux droits de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " à la suite de l'adhésion de cette communauté urbaine à ce syndicat pour la compétence relative au traitement des déchets, demande l'annulation de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 522-11 du code de justice administrative : " L'ordonnance du juge des référés porte les mentions définies au chapitre 2 du titre IV du livre VII (...) ". Les dispositions de ce chapitre prévoient seulement, à l'article R. 742-2, que les ordonnances mentionnent la date à laquelle elles ont été signées, mais, par dérogation à l'article R. 741-2, ne rangent pas la date de l'audience, lorsqu'elle a eu lieu, au nombre des mentions obligatoires de la décision. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée serait irrégulière faute de faire apparaître la date à laquelle s'est tenue l'audience de référé ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 213-5 du code de justice administrative : " Lorsque le juge estime que le litige dont il est saisi est susceptible de trouver une issue amiable, il peut à tout moment proposer une médiation. Il fixe aux parties un délai pour répondre à cette proposition ". La proposition d'une médiation par le juge, quelle que soit la date à laquelle elle intervient, est étrangère à l'instruction du litige qui lui est soumis. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure serait irrégulière au motif qu'en proposant une médiation, le juge des référés aurait rouvert l'instruction sans prononcer par la suite sa clôture ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 522-8 du code de justice administrative : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. (...) / L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de clôture différée de l'instruction ou de renvoi à une autre audience, l'instruction a été close à l'issue de l'audience qui s'est tenue, ainsi qu'il ressort des pièces de la procédure devant le juge des référés, le 6 mai 2019. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure serait irrégulière au motif que la date de clôture de l'instruction serait inconnue ne peut qu'être écarté.

6. En quatrième lieu, le juge des référés a énoncé les éléments qui l'ont conduit à estimer que l'urgence justifiait de suspendre l'exécution de la décision contestée. Il a pu, sans entacher son ordonnance d'insuffisance de motivation, s'abstenir de faire apparaître, dans les visas et les motifs de cette ordonnance, la totalité des arguments par lesquels la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " contestait les éléments mis en avant par le SMITVAD pour établir une telle urgence.

7. En cinquième lieu, le juge des référés a désigné avec une précision suffisante le moyen qui lui a paru propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Il a pu, sans entacher son ordonnance d'insuffisance de motivation, ne pas mentionner, dans les visas et les motifs de cette ordonnance, la totalité des arguments par lesquels la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " faisait valoir que ce moyen n'était pas de nature à créer un tel doute.

8. En sixième lieu, il résulte des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés n'a pas fait application d'autres dispositions que celles du code général des collectivités territoriales. Il a visé ce code dans son ordonnance. Par suite, le moyen tiré de ce que le juge des référés n'aurait pas visé la totalité des dispositions dont il a fait application ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

En ce qui concerne l'urgence :

9. C'est par une appréciation souveraine exempte d'erreur de droit et de dénaturation que le juge des référés a estimé, au vu de la teneur des contrats mentionnés au point 1 liant le SMITVAD à la société Valor'Caux et à la banque Dexia Crédit local, que le refus de la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " d'exécuter les obligations prévues par ces contrats avait pour effet de bouleverser les conditions de financement de la délégation de service public, d'en paralyser à très brève échéance le fonctionnement, voire d'en remettre en cause l'existence et qu'il compromettait ainsi la poursuite de l'objet statutaire du SMITVAD. Sont sans incidence à cet égard les circonstances tirées, d'une part, de ce que le SMITVAD avait, devant le juge des référés, exprimé son accord sur le principe de la mise en oeuvre d'une procédure de médiation susceptible de se dérouler au cours du mois de juillet 2019, d'autre part, de ce que, postérieurement à la date de l'ordonnance attaquée, le SMITVAD s'est acquitté de ses obligations financières envers la banque au titre des deux premières échéances trimestrielles de l'année 2019.

En ce qui concerne le moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée :

10. D'une part, les dispositions de l'article L. 5211-41-3 du code général des collectivités territoriales fixent les conditions dans lesquelles plusieurs établissements publics de coopération intercommunale dont au moins l'un est à fiscalité propre peuvent fusionner. Il résulte des dispositions de son III que les biens, droits et obligations des établissements publics de coopération intercommunale fusionnés sont transférés à l'établissement public issu de la fusion.

11. D'autre part, les dispositions de l'article L. 5215-22 du code général des collectivités territoriales déterminent les conséquences de la création ou de l'extension du périmètre d'une communauté urbaine sur les syndicats de communes et syndicats mixtes dont le ressort se trouverait inclus, en totalité ou en partie, dans le périmètre de la communauté urbaine. Il résulte de la combinaison des dispositions du I, du II et du V de l'article L. 5215-22 que lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale est fusionné pour constituer une communauté urbaine alors qu'il est membre d'un syndicat mixte et que les communes membres de cet établissement public de coopération intercommunale fusionné sont associées, au sein de la communauté urbaine, avec des communes extérieures à ce syndicat, l'établissement public de coopération intercommunale fusionné est retiré du syndicat mixte, pour les compétences de ce syndicat correspondant aux compétences de plein droit de la communauté urbaine, dans les conditions prévues à l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales.

12. Aux termes de l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales : " En cas de retrait de la compétence transférée à un établissement public de coopération intercommunale : / 1° Les biens meubles et immeubles mis à la disposition de l'établissement bénéficiaire du transfert de compétences sont restitués aux communes antérieurement compétentes et réintégrés dans leur patrimoine pour leur valeur nette comptable, avec les adjonctions effectuées sur ces biens liquidées sur les mêmes bases. Le solde de l'encours de la dette transférée afférente à ces biens est également restituée à la commune propriétaire ; / 2° Les biens meubles et immeubles acquis ou réalisés postérieurement au transfert de compétences sont répartis entre les communes qui reprennent la compétence ou entre la commune qui se retire de l'établissement public de coopération intercommunale et l'établissement ou, dans le cas particulier d'un syndicat dont les statuts le permettent, entre la commune qui reprend la compétence et le syndicat de communes. Il en va de même pour le produit de la réalisation de tels biens, intervenant à cette occasion. Le solde de l'encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétences est réparti dans les mêmes conditions entre les communes qui reprennent la compétence ou entre la commune qui se retire et l'établissement public de coopération intercommunale ou, le cas échéant, entre la commune et le syndicat de communes. A défaut d'accord entre l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale et les conseils municipaux des communes concernés, cette répartition est fixée par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés. Cet arrêté est pris dans un délai de six mois suivant la saisine du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés par l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou de l'une des communes concernées. / Les contrats sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance, sauf accord contraire des parties. La substitution de personne morale aux contrats conclus par les établissements publics de coopération intercommunale n'entraîne aucun droit à résiliation ou à indemnisation pour le cocontractant. L'établissement public de coopération intercommunale qui restitue la compétence informe les cocontractants de cette substitution. " Ces dispositions sont relatives aux conséquences d'un retrait de la compétence transférée à un établissement public de coopération intercommunale par les communes qui en sont membres. Les dispositions du quatrième et dernier alinéa, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale de laquelle elles sont issues, doivent être lues indépendamment de celles des deux alinéas qui précèdent, relatives au partage des biens mis à la disposition de l'établissement public de coopération intercommunale ou dont il est devenu propriétaire. Il résulte des dispositions de ce quatrième et dernier alinéa que, dans l'hypothèse d'un retrait de la compétence transférée à un établissement public de coopération intercommunale, ses communes membres se trouvent de plein droit substituées à l'établissement pour l'ensemble des contrats en cours, quelle que soit leur nature, conclus par cet établissement pour l'exercice de cette compétence. Sauf accord contraire des parties, l'exécution de ces contrats se poursuit sans autre changement jusqu'à leur échéance, y compris durant la période précédant le partage des biens prévu par les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 5211-25-1. Il en va ainsi alors même que les contrats en cause porteraient sur des biens appartenant à l'établissement public de coopération intercommunale, sans qu'y fassent obstacle les règles particulières applicables à certains contrats, tels que les baux emphytéotiques administratifs.

13. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'en application des dispositions, d'une part, de l'article L. 5211-41-3 du code général des collectivités territoriales, d'autre part, de l'article L. 5211-25-1 du même code, auxquelles renvoient les dispositions de l'article L. 5215-22, la communauté urbaine " Le Havre Seine Métropole " s'était trouvée substituée, pour ce qui concerne le territoire des communes de l'ancienne communauté de communes du canton de Criquetôt-l'Esneval, aux droits et obligations du SMITVAD pour l'exécution des contrats en cours conclus par ce dernier pour l'exécution de la compétence relative au traitement des déchets, mentionnés au point 1. Le juge des référés n'a pas davantage méconnu les règles propres aux baux emphytéotiques administratifs ni le caractère indivisible des contrats conclus par le SMITVAD.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du SMITVAD, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SEVEDE la somme de 3 000 euros à verser au SMITVAD, au titre de ces dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire est rejeté.
Article 2 : Le syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire versera au syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'Estuaire et au syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets du pays de Caux.
Copie en sera adressée à la société Valor'Caux.



Voir aussi