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Ariane Web: Conseil d'État 426146, lecture du 3 avril 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:426146.20200403

Décision n° 426146
3 avril 2020
Conseil d'État

N° 426146
ECLI:FR:CECHS:2020:426146.20200403
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
M. Bastien Lignereux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET, avocats


Lecture du vendredi 3 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Bils Deroo Holding, venant aux droits de la société Holding Immobilière Bils, a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008.

Par un jugement n° 1305441 du 26 mai 2016, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande à concurrence d'un dégrèvement de 12 616 euros, en droits, intervenu en cours d'instance, a prononcé la décharge des impositions restant en litige et des pénalités correspondantes et a mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 16DA01010 du 9 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a, sur recours du ministre de l'action et des comptes publics, annulé les articles 2 et 3 de ce jugement, remis à la charge de la société Bils Deroo Holding les impositions dont le tribunal administratif avait prononcé la décharge et rejeté le surplus des conclusions du ministre.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 décembre 2018, 8 mars 2019 et 2 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bils Deroo Holding demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Bils Deroo Holding ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par contrat d'apport du 12 décembre 2007, la société Holding Immobilière Bils, société mère d'un groupe fiscalement intégré, a apporté à la société par actions simplifiée Bils Deroo Holding les titres de participation qu'elle détenait dans 16 sociétés civiles immobilières pour une valeur totale de 12 797 800 euros, en contrepartie desquels elle s'est vu attribuer 20 980 actions de la société Bils Deroo Holding. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause le bénéfice de l'exonération, prévu par l'article 210 A du code général des impôts, de la plus-value réalisée à l'occasion de cet apport partiel d'actifs, à concurrence de la fraction de la valeur des parts de six sociétés civiles immobilières correspondant à la part non libérée de leur capital, soit la somme de 259 260 euros regardée comme un produit exceptionnel taxable au titre de l'exercice clos en 2008. La société Bils Deroo Holding, venant aux droits de la société Holding Immobilière Bils qu'elle a absorbée le 1er janvier 2015, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement du tribunal administratif de Lille du 26 mai 2016 qui, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, avait accordé à la société la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008.

2. Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-239 du 20 février 2012 : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsqu'en application des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts la société mère d'un groupe est amenée à supporter les droits et pénalités résultant d'une procédure de rectification suivie à l'égard d'une ou de plusieurs sociétés du groupe, l'administration adresse à la société mère, préalablement à la notification de l'avis de mise en recouvrement correspondant, un document l'informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle est redevable. L'avis de mise en recouvrement, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document. (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'alors même que la société mère d'un groupe fiscal intégré s'est constituée seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats des différentes sociétés du groupe, celles-ci restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats et que c'est avec ces dernières que l'administration fiscale mène la procédure de vérification de comptabilité et de redressement, dans les conditions prévues aux articles L. 13, L. 47, L. 48 et L. 57 du livre des procédures fiscales. Les redressements ainsi apportés aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe, y compris, le cas échéant, ceux de la société mère prise en en sa seule qualité de société membre du groupe intégré, constituent cependant les éléments d'une procédure unique conduisant d'abord à la correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom. L'information qui doit être donnée à la société mère avant cette mise en recouvrement sur le montant global par impôt des droits, pénalités et intérêts de retard dont elle est redevable en sa qualité de tête de groupe à raison du résultat d'ensemble du groupe peut être réduite à une référence aux procédures de redressement qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de redressement concernés.

4. La cour administrative d'appel de Douai, après avoir relevé que, par courrier du 9 octobre 2012, l'administration avait porté à la connaissance de la société Holding Immobilière Bils les conséquences financières des redressements en sa seule qualité de membre du groupe intégré sans préciser les conséquences que ceux-ci emportaient sur le résultat d'ensemble du groupe, a cependant jugé que cette omission n'entachait pas en l'espèce d'irrégularité la procédure d'imposition dès lors que la société Holding Immobilière Bils avait pu, au vu de ces éléments d'information, identifier les montants retenus par l'administration pour calculer l'assiette des suppléments d'impôts envisagés et contester utilement ceux-ci. En statuant ainsi, alors le droit pour la société mère d'être informée, en vertu de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, du montant global par impôt des droits, pénalités et intérêts de retard dont elle est redevable en cette qualité constitue une garantie qui se distingue de celle dont bénéficie chaque société membre du groupe en vertu de l'article L. 48 du même livre, et s'ajoute ainsi à cette dernière dans l'hypothèse où la société mère fait l'objet d'un redressement en qualité de membre du groupe, la cour a commis une erreur de droit.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la société Bils Deroo Holding est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en s'abstenant d'indiquer dans la lettre du 9 octobre 2012 les conséquences de la vérification de comptabilité de la société Holding Financière Bils sur le résultat d'ensemble du groupe, l'administration fiscale a méconnu la portée de la garantie consistant, pour la société mère d'un groupe fiscalement intégré, à être informée des conséquences, pour le groupe, des redressements dont a fait l'objet sa filiale. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 26 mai 2016, le tribunal administratif de Lille a prononcé pour ce motif la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution additionnelle à cet impôt et de contribution temporaire auxquelles la société Holding Immobilière Bils a été assujettie au titre des exercices clos en 2006, 2007, 2008, ainsi que des pénalités correspondantes.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Bils Deroo Holding au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : Le recours présenté par le ministre des comptes et de l'action publics devant la cour administrative d'appel de Douai est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la société Bils Deroo Holding une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bils Deroo Holding et au ministre de l'action et des comptes publics.