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Ariane Web: Conseil d'État 440202, lecture du 29 avril 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:440202.20200429

Décision n° 440202
29 avril 2020
Conseil d'État

N° 440202
ECLI:FR:CEORD:2020:440202.20200429
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 29 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 21 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures utiles pour fournir des masques anti-projection et/ou de protection respiratoire ainsi que tous autres matériels de protection (surblouses, charlottes, surchaussures, gels hydroalcooliques) aux gérants et personnels des bureaux de tabac-presse, notamment en les incluant sur la liste des professionnels susceptibles de bénéficier de la distribution des matériels de protection issus du stock national ou provenant des mesures de réquisition de biens prises dans le cadre de sa stratégie de lutte contre l'épidémie de covid-19, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Il soutient que :
- en sa qualité d'exploitant d'un bureau de tabac-presse, il a intérêt et qualité à critiquer le défaut de mesures propres à assurer la protection sanitaire des buralistes, directement exposés au risque de contamination résultant de l'épidémie de covid-19 ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la situation sanitaire actuelle a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé, que l'Etat considère comme de première nécessité la continuation de la diffusion de la presse et le commerce des tabacs manufacturés et qu'aucune mesure spécifique n'a été envisagée pour assurer la protection des personnels en charge de telles missions ;
- le défaut d'inclusion des diffuseurs de presse et des débitants de tabacs dans la liste des personnes susceptibles de bénéficier de la distribution de matériels de protection, notamment de masques provenant du stock national, lesquels ne sont pas davantage disponibles dans le commerce ordinaire, porte une atteinte grave et manifestement illégale, d'une part, au droit au respect de la vie, tel que consacré à l'article 6 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ainsi qu'à l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit à la protection de la santé tel qu'il résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et, d'autre part, au principe de la libre communication des pensées et des opinions, garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 modifié ;
- l'arrêté du 14 mars 2020 ;
- l'arrêté du 25 avril 2000 modifiant l'arrêté du 13 février 2002 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du
25 mars 2020 modifiée ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
Sur l'office du juge des référés :

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

Sur les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020.

4. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

Sur la demande en référé :
5. En vertu de l'article 8 du décret du 23 mars 2020 mentionné au point 4, les établissements ayant une activité de commerce de détail de journaux et de papeterie en magasin spécialisé ainsi que ceux ayant une activité de commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé peuvent durant l'état d'urgence sanitaire continuer à recevoir du public pour ces activités.

6. M. A..., qui exploite un bureau de tabac-presse à Bordeaux (Gironde), demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qu'il enjoigne à l'Etat de fournir des masques anti-projection et/ou de protection respiratoire ainsi que tous autres matériels de protection (surblouses, charlottes, surchaussures, gels hydroalcooliques) aux gérants et personnels des bureaux de tabac-presse comme mesures de protection contre le covid-19, notamment en les incluant sur la liste des professionnels susceptibles de bénéficier de la distribution des matériels de protection issus du stock national ou provenant des mesures de réquisition.

7. En premier lieu, s'agissant des masques, l'Etat a mis en place une stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques de protection à l'échelle nationale et s'est attaché à l'adapter en fonction de l'évolution de l'épidémie. Face à l'insuffisance des stocks, il a décidé d'assurer en priorité, dans un contexte de forte tension, la fourniture des masques disponibles aux professionnels de santé amenés à prendre en charge des patients atteints du covid-19, ainsi qu'aux personnes intervenant auprès des personnes âgées, et d'augmenter le nombre de masques de protection disponibles en déployant une politique d'importation massive à partir des principaux pays fournisseurs, dont la Chine, et en encourageant la production nationale de masques, ainsi également que de masques anti-projection à usage non sanitaire. Pour les autres catégories de professionnels dont les fonctions justifient d'avoir accès à des masques non sanitaires, l'approvisionnement en masques s'est fait, dans un premier temps, par l'intermédiaire des organisations auxquelles ils sont rattachés, qu'elles soient publiques ou associatives, qui disposent, selon le cas, de financements ou de concours financiers publics ainsi que de l'appui des pouvoirs publics pour accéder aux circuits d'approvisionnement lorsque ces organisations n'en disposent pas déjà du fait de leurs activités habituelles, ou éprouvent des difficultés à s'approvisionner par ceux-ci. En outre, depuis le 27 avril 2020, " les masques non sanitaires fabriqués selon un processus industriel et répondant aux spécifications techniques applicables " peuvent être acquis par le public dans les pharmacies ainsi que le prévoit l'article 1er de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 25 avril 2020 modifiant l'arrêté du 15 février 2002 fixant la liste des marchandises dont les pharmaciens peuvent faire le commerce dans leur officine. D'autres points de vente, et notamment, à compter du 30 avril, des buralistes, ainsi que certains sites de commerce électronique permettent ou permettront très prochainement de les acheter. Il s'ensuit que l'absence d'adoption des mesures demandées par M. A... à l'appui de sa requête ne peut manifestement être regardée, à ce jour, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales qu'il invoque et notamment au droit au respect de la vie.

8. En second lieu, s'agissant des autres matériels de protection (surblouses, charlottes, surchaussures, gels hydroalcooliques), la demande de M. A... n'est pas assortie des précisions permettant d'en examiner le bien-fondé.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, qu'il est manifeste que la demande en référé présentée par M. A... n'est pas fondée. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions de la requête, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par application de l'article L. 522-3 de ce code.




O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de la culture.