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Ariane Web: Conseil d'État 433697, lecture du 29 juin 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:433697.20200629

Décision n° 433697
29 juin 2020
Conseil d'État

N° 433697
ECLI:FR:CECHR:2020:433697.20200629
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du lundi 29 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La société civile immobilière (SCI) Les Mouettes du Bois Marin, la SCI la Tourmentine, M. B... A... et la société Les Essarts Property Limited ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 février 2015 par lequel le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage des piétons le long du littoral sur le territoire de la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Par un jugement n° 1501551 du 15 décembre 2017, ce tribunal a annulé cet arrêté en tant qu'il concerne les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 18NT00695 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur l'appel de la société Les Mouettes du Bois Marin, la société la Tourmentine et la société Les Essarts Property Limited, annulé l'arrêté du 4 février 2015 en tant qu'il concerne également les parcelles cadastrées section BA n° 96 et 97 et réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire, puis rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi enregistré le 19 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2, 3 et 4 de cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société Les Mouettes du Bois Marin ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme, dont les dispositions ont depuis lors été transférées aux articles L. 121-31 à L. 121-33 du même code : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. / L'autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d'une enquête publique effectuée comme en matière d'expropriation : / a) Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants ; le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; / b) A titre exceptionnel, la suspendre. / Sauf dans le cas où l'institution de la servitude est le seul moyen d'assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, la servitude instituée aux alinéas 1 et 2 ci-dessus ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d'habitation édifiés avant le 1er janvier 1976, ni grever des terrains attenants à des maisons d'habitation et clos de murs au 1er janvier 1976. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 4 février 2015, le préfet de la région Bretagne, préfet d'Ille-et-Vilaine, a approuvé l'établissement de la servitude de passage longitudinale instituée au bénéfice des piétons le long du littoral dans la commune de Saint-Briac-sur-Mer. Accueillant partiellement la demande que lui avaient soumise plusieurs propriétaires riverains, le tribunal administratif de Rennes a, par l'article 2, devenu définitif, d'un jugement n° 1501551 du 15 décembre 2017, annulé cet arrêté pour excès de pouvoir en tant seulement qu'il approuve l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 121, 122, 129 et 130. Sur l'appel de certains des mêmes propriétaires, dont la SCI Les Mouettes du Bois Marin, la cour administrative d'appel de Nantes a, par les articles 2, 3 et 4 d'un arrêt n° 18NT00695 du 18 juin 2019, d'une part, annulé cet arrêté également en tant qu'il approuve ce tracé sur les parcelles cadastrées section BA n° 96 et 97 et réformé en ce sens le jugement, d'autre part, mis à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit en cassation contre les articles 2, 3 et 4 de cet arrêt.

3. L'article L. 160-6 du code de l'urbanisme institue de plein droit, au profit des piétons, une servitude de passage de trois mètres de largeur sur les propriétés riveraines du littoral. L'article R. 160-8 du même code, dont les dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 121-9, prévoit que cette bande de trois mètres de largeur doit en principe être calculée à compter de la limite du domaine public maritime. Ouverte à l'autorité administrative par le a) de l'article L. 160-6, la faculté de modifier le tracé et les caractéristiques de cette servitude sur les propriétés riveraines du domaine public maritime voire d'en grever, exceptionnellement, des propriétés qui n'en sont pas riveraines, ne l'est que dans la stricte mesure nécessaire au respect des objectifs fixés par la loi. Prises sur le fondement des dispositions du b) du même article, celles de l'article R. 160-12 du même code, désormais codifiées à l'article R. 121-13, prévoient que : " A titre exceptionnel, la servitude instituée par l'article L. 160-6 peut être suspendue, notamment dans les cas suivants : / (...) e) Si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols ". Le dernier alinéa du même article précise que cette suspension est prononcée " dans les conditions définies par les articles R. 160-14, R. 160-15 et R. 160-17 à R. 160-22 ", c'est-à-dire, comme en cas de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude, après enquête publique et consultation des conseils municipaux des communes intéressées.

4. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, les dispositions de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme instituent un droit de passage le long du littoral au profit des piétons. Dès lors, ainsi qu'il résulte d'ailleurs des termes mêmes du b) de cet article, la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu'exceptionnelle. Dans l'hypothèse prévue par les dispositions précitées du e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, l'administration ne peut légalement décider de suspendre, jusqu'à nouvel ordre, la servitude, que si elle justifie que ni la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, ne peuvent, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code, garantir la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols.

5. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'arrêté du 4 février 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant qu'il avait approuvé l'établissement de la servitude sur les parcelles cadastrées section BA n° 96 et 97 au motif que l'autorité administrative n'aurait eu légalement d'autre choix, compte tenu de la menace que faisait peser son maintien sur la stabilité des sols, que de faire usage de la possibilité, prévue par le e) de l'article R. 160-12 du code de l'urbanisme, de suspendre cette servitude. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu'en se fondant sur la seule instabilité du terrain d'assiette du tracé retenu pour la servitude litigieuse pour juger que le préfet était tenu de suspendre celle-ci, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre est fondée à demander l'annulation des articles 2, 3 et 4 de l'arrêt attaqué.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3, et 4 de l'arrêt du 18 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la SCI Les Mouettes du Bois Marin sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, à la société civile immobilière Les Mouettes du Bois Marin, à la société civile immobilière la Tourmentine et à la société Les Essarts Property Limited.