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Ariane Web: Conseil d'État 424229, lecture du 3 juillet 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:424229.20200703

Décision n° 424229
3 juillet 2020
Conseil d'État

N° 424229
ECLI:FR:CECHS:2020:424229.20200703
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 3 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, d'une part, d'enjoindre au maire de la commune de Royat de reconstituer sa carrière, de procéder à la liquidation de ses droits et de lui proposer un contrat à durée indéterminée, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et, d'autre part, de condamner la commune à lui verser une indemnité de 40 000 euros avec intérêts et capitalisation en réparation des préjudices subis. Par un jugement n° 1401219 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 15LY01927 du 19 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 septembre et 17 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ;

2°) de renvoyer, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. B..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- le décret n° 2012-437 du 29 mars 2012 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la commune de Royat ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a été recruté le 11 octobre 1996 par contrat à durée déterminée comme assistant territorial d'enseignement artistique pour enseigner la guitare à l'école de musique de la commune de Royat au cours de l'année scolaire 1996-1997. Son contrat a ensuite été renouvelé chaque année scolaire jusqu'en juin 2013. M. B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, d'une part, d'enjoindre au maire de la commune de Royat, sous astreinte, de reconstituer sa carrière à compter de l'entrée en vigueur du décret du 29 mars 2012 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique, de procéder à la liquidation de ses droits et de lui proposer un contrat à durée indéterminée et, d'autre part, de condamner la commune à lui verser une indemnité de 40 000 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation des préjudices subis. Par un jugement du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Par un arrêt du 19 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement. M. B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

2. Il résulte des dispositions de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version résultant de l'article 4 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, que les collectivités territoriales peuvent recruter par contrat à durée déterminée des agents non titulaires, d'une part, au titre des premier et deuxième alinéas de cet article, en vue d'assurer des remplacements momentanés ou d'effectuer des tâches à caractère temporaire ou saisonnier définies à ces alinéas et, d'autre part, au titre des quatrième, cinquième et sixième alinéas du même article, lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer certaines fonctions, lorsque, pour des emplois de catégorie A, la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient et, dans les communes de moins de 1 000 habitants, lorsque la durée de travail de certains emplois n'excède pas la moitié de celle des agents publics à temps complet. Si ces dispositions offrent ainsi la possibilité à ces collectivités territoriales de recourir, le cas échéant, à une succession de contrats à durée déterminée, elles ne font cependant pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

3. Pour rejeter les conclusions de M. B... tendant à la réparation des préjudices qu'il imputait au recours abusif, par la commune de Royat, à une succession de contrats à durée déterminée, la cour administrative d'appel de Lyon s'est fondée sur la seule circonstance qu'il n'alléguait ni n'établissait remplir les conditions pour se voir proposer un contrat à durée indéterminée sur le fondement des dispositions de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait M. B..., le renouvellement de contrats à durée déterminée présentait un caractère abusif ouvrant droit à l'indemnisation du préjudice subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

5. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la commune de Royat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 décembre 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de M. B....
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : La commune de Royat versera à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Royat sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la commune de Royat.