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Ariane Web: Conseil d'État 437259, lecture du 10 juillet 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:437259.20200710

Décision n° 437259
10 juillet 2020
Conseil d'État

N° 437259
ECLI:FR:CECHS:2020:437259.20200710
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP ORTSCHEIDT ; LE PRADO, avocats


Lecture du vendredi 10 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 27 novembre 2019 par laquelle le maire de la commune d'Aix-en-Provence l'a affecté sur un poste de conseiller technique " emploi développement économique " à compter du 1er décembre 2019 et d'enjoindre à la commune d'Aix-en-Provence de le réintégrer en qualité de directeur administratif en charge de la politique de la ville et du logement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Par une ordonnance n° 1910172 du 18 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2019, le 13 janvier et le 29 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de M. A... et à Me Le Prado, avocat de la commune d'Aix-en-Provence ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que M. B..., recruté en 1998 par la commune d'Aix-en-Provence, a occupé le poste de directeur administratif en charge de la politique de la ville et du logement à compter de 2009, avant d'être affecté, par une décision du maire de cette commune du 17 juin 2017, sur un poste de conseiller technique " emploi développement économique " auprès de la directrice générale adjointe des services en charge des ressources humaines et des services au publics. Par un jugement du 17 septembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision pour défaut de saisine de la commission administration paritaire et a enjoint à la commune de réexaminer la situation du requérant. Par une décision du 27 novembre 2019, le maire d'Aix-en-Provence a de nouveau affecté M. A... sur le poste de conseiller technique " emploi développement économique ". M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 27 novembre 2019 par laquelle le maire d'Aix-en-Provence l'a affecté sur un poste de conseiller technique " emploi développement économique " à compter du 1er décembre 2019, et d'enjoindre à la commune d'Aix-en-Provence de le réintégrer en qualité de directeur administratif en charge de la politique de la ville et du logement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance du 18 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. M. A... se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". Aux termes de l'article R. 522-4 du même code : " Notification de la requête est faite aux défendeurs / Les délais les plus brefs sont donnés aux parties afin de fournir leurs observations (...) ". Aux termes de l'article R. 522-7 du même code : " L'affaire est réputée en état d'être jugée dès lors qu'a été accomplie la formalité prévue au premier alinéa de l'article R. 522-4 et que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique pour y présenter leurs observations ".

3. Il résulte de ces dispositions que, sauf dans le cas où il est fait application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, elles font obligation au juge des référés, afin que soit respecté le caractère contradictoire de la procédure, de communiquer au demandeur, par tous moyens, les observations écrites de la partie adverse, y compris lors de l'audience pendant laquelle se poursuit l'instruction de la demande de suspension. Il lui revient, lorsque ces observations sont produites au cours de l'audience ou peu de temps avant, d'apprécier au cas par cas, en tenant compte notamment de ce que lui demande l'autre partie, qui peut souhaiter faire valoir des éléments nouveaux qu'elle n'était pas en mesure d'invoquer précédemment, s'il y a lieu soit de suspendre l'audience ou de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure à celle-ci, soit au contraire de ne pas le faire.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que le mémoire en défense produit par la commune d'Aix-en-Provence en réponse à la communication de la demande de M. A..., enregistré sur l'application Télérecours le 16 décembre 2019 à 11h23, n'a été communiqué à M. A..., par le biais de cette application, que le 17 décembre à 15h25. Aucune des énonciations de l'ordonnance attaquée, ni aucune des pièces du dossier ne permettent d'établir que M. A... a été informé de l'existence de ce mémoire et a pu en prendre connaissance avant ou au cours de l'audience publique, qui s'est déroulée le 17 décembre 2019 de 15h à 16h30, alors pourtant que la commune y produisait des éléments dont il n'avait pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. Dans ces conditions, l'ordonnance attaquée est intervenue en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

5. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de cette ordonnance.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

7. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

8. En l'absence de circonstances particulières, la mutation prononcée dans l'intérêt du service d'un agent public d'un poste à un autre n'a pas de conséquences telles sur la situation ou les intérêts de cet agent qu'elle constitue une situation d'urgence.

9. Si, pour établir l'urgence à suspendre l'exécution de la décision du 27 novembre 2019 l'affectant sur le poste de conseiller technique " emploi développement économique ", M. A... soutient en premier lieu que son affectation dans ses nouvelles fonctions aboutit à le priver de responsabilités et à remettre en cause ses capacités professionnelles, et constitue une sanction déguisée, il résulte de l'instruction, d'une part, que la création du poste de conseiller technique " emploi développement économique " a été motivée par la réorganisation des services de la commune d'Aix-en-Provence engagée en juillet 2017 et, d'autre part, que la mission confiée à M. A..., chargé de " mettre en oeuvre une dynamique de l'emploi public et privé dans le cadre du développement économique de l'emploi sur le territoire d'Aix-en-Provence ", correspond à une activité réelle et conforme aux responsabilités susceptibles d'être confiées à un agent de son grade. Si M. A... soutient en deuxième lieu que cette décision entraînerait une perte de rémunération et d'avantages en nature d'un montant de 628 euros par mois, d'une part, la perte de la place de parking qui lui était réservée ne porte atteinte à aucun droit acquis, d'autre part, il résulte de l'instruction que la réduction de sa rémunération se limite à la perte de la nouvelle bonification indiciaire, d'un montant de 117 euros, soit environ 3 % de sa rémunération brute mensuelle. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des certificats médicaux produits, que la dégradation qu'il invoque de son état de santé serait la conséquence du changement d'affectation litigieux ou que ce dernier compromettrait l'exercice de ses responsabilités familiales.

10. Ainsi, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'urgence justifie la suspension de l'exécution la décision du maire de la commune d'Aix-en-Provence en date du 27 novembre 2019. L'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la demande de suspension présentée par M. A... ne peut qu'être rejetée.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Aix-en-Provence au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune d'Aix-en-Provence qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 18 décembre 2019 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Aix-en-Provence présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Aix-en-Provence et à M. B....