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Ariane Web: Conseil d'État 441661, lecture du 17 juillet 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:441661.20200717

Décision n° 441661
17 juillet 2020
Conseil d'État

N° 441661
ECLI:FR:CEORD:2020:441661.20200717
Inédit au recueil Lebon

SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 17 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et l'association Consommation logement cadre de vie (CLCV) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée " Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances ' ", de la " Foire aux questions " du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée " Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme " et de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître du recours contre l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020, celle-ci n'ayant pas encore été ratifiée, et du recours contre les communications des 31 mars, 7 avril et 9 avril 2020, celles-ci émanant d'autorités à compétence nationale, étant de portée générale et étant susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'en premier lieu les dispositions litigieuses portent directement atteinte aux intérêts des consommateurs qu'elles représentent et dont elles défendent les intérêts en les privant, de manière irréversible, du droit qui leur est reconnu par le droit de l'Union européenne d'obtenir dans un délai de quatorze jours le remboursement de l'intégralité des paiements effectués au titre de contrats de voyages touristiques et de séjours, qu'il existe en deuxième lieu un intérêt public manifeste à faire cesser l'atteinte portée aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne et à maintenir la concurrence sur le marché des voyages au sein de l'Union européenne et qu'en troisième lieu, ces dispositions apportent des modifications importantes à l'ordre juridique pour la période de mars à septembre 2020 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article 12 de la directive (UE) n° 2015-2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) n°2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil en ce qu'elles ouvrent la possibilité aux opérateurs ou détaillants de voyages à forfait de proposer un simple avoir ou un voyage à forfait de substitution lors de la notification de la résiliation du contrat pour circonstances exceptionnelles et imprévisibles, en lieu et place du remboursement intégral exigé par la directive, et en ce qu'elles font obstacle à ce que le consommateur soit remboursé de l'intégralité des paiements effectués pendant une durée minimale de 18 mois, alors que la directive prévoit que ce paiement doit intervenir dans un délai maximal de 14 jours après la notification de la résiliation du contrat ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que, premièrement, elles portent sur une durée excessive, qui va au-delà de la période de confinement, deuxièmement, elles introduisent un délai excessivement long pour que les clients bénéficient du remboursement intégral des paiements effectués, troisièmement, elles portent atteinte à la libre concurrence au sein du marché unique et à l'objectif d'harmonisation de la directive dès lors qu'elles ne s'appliquent qu'aux contrats de droit français et, quatrièmement, la durée de la dérogation ou de ses effets sur les consommateurs et le marché du voyage à forfait ne sont ni nécessaires, ni justifiés, ni proportionnés aux objectifs de la mesure ;
- subsidiairement, l'ordonnance du 25 mars 2020 a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle porte la mention " le Conseil d'Etat entendu " sans qu'il soit établi que le Conseil d'Etat a été régulièrement saisi et que le texte retenu est le texte adopté par le Conseil d'Etat ou le texte qui lui avait été soumis.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive (UE) n° 2015/2302 du 25 novembre 2015 ;
- le code du tourisme ;
- le code civil ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- le code de justice administrative ;




Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'ordonnance dont la suspension est demandée en référé a été prise sur le fondement de l'habilitation conférée au Gouvernement par l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence " afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi ". Elle prévoit que lorsqu'un contrat de vente de voyages et de séjours fait l'objet d'une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, " l'organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l'intégralité des paiements effectués, un avoir ", d'un montant égal à celui de l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition est formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution du contrat. Elle est valable pendant une durée de dix-huit mois, au terme de laquelle la personne qui a conclu le contrat procède au remboursement de l'intégralité des paiements effectués, à moins que le client n'ait accepté une nouvelle prestation, identique ou équivalente à celle que prévoyait le contrat résolu.

3. Les associations requérantes demandent également la suspension de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée " Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances ' ", de la " Foire aux questions " du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée " Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du Tourisme " et de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics, lesquelles rendent compte du contenu de l'ordonnance du 25 mars 2020.

4. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.

5. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, les associations requérantes soutiennent en premier lieu que les dispositions de l'ordonnance portent directement atteinte aux intérêts des consommateurs dont elles défendent les intérêts en les privant du droit qui leur est reconnu par le droit de l'Union européenne, et notamment l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, d'obtenir dans un délai de quatorze jours le remboursement de l'intégralité des paiements effectués au titre de contrats de voyages et de séjours résolus par le prestataire. Elles font valoir en second lieu l'intérêt public à faire cesser l'atteinte portée aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne ainsi qu'à préserver la concurrence sur le marché des voyages au sein de l'Union européenne.

6. D'une part, si les droits des consommateurs sont temporairement restreints par les dispositions de l'ordonnance contestée, analysées au point 2 ci-dessus, il ressort du rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance que ces mesures ont été prises afin de sauvegarder la trésorerie des prestataires, dans un contexte où plus de 7 100 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France, confrontés à un volume d'annulations d'ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles, se trouvaient en grande difficulté. Il en ressort également que les modalités du dispositif adopté ont été définies après des échanges avec les services de la Commission européenne, les principales organisations professionnelles et les associations de consommateurs. Ce dispositif, qui ne s'applique pas à la vente de titres de transport, modifie les obligations des professionnels du tourisme pour leur permettre de proposer à leurs clients, pendant une période strictement déterminée et limitée dans le temps, un remboursement sous la forme d'une proposition de prestation identique ou équivalente ou d'un avoir valable sur une longue période, de dix-huit mois, dans le but de concilier le soutien aux entreprises du secteur avec le respect du droit des consommateurs. Dans ces conditions, alors que les associations requérantes n'apportent aucun élément précis sur la gravité des conséquences que ce dispositif entraînerait pour les consommateurs dont ils défendent les intérêts, il n'apparaît pas que les effets de l'ordonnance contestée soient de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, son exécution soit suspendue.

7. D'autre part, si les associations requérantes soutiennent que l'urgence est caractérisée en raison de la violation, par l'ordonnance contestée, des dispositions de l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, une telle méconnaissance du droit de l'Union européenne, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même, la suspension de l'ordonnance contestée.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'ordonnance contestée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de cette ordonnance ainsi que, par voie de conséquence et en tout état de cause, les conclusions tendant à la suspension de l'exécution des documents d'information mentionnés dans la requête, sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'UFC - Que Choisir et de l'association CLCV est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Union fédérale des consommateurs - Que Choisir, première requérante dénommée.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.