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Ariane Web: Conseil d'État 430986, lecture du 29 juillet 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:430986.20200729

Décision n° 430986
29 juillet 2020
Conseil d'État

N° 430986
ECLI:FR:CECHS:2020:430986.20200729
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Damien Pons, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 29 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 13 novembre 2018 par laquelle le président du conseil départemental de la Gironde a refusé de renouveler son " contrat jeune majeur " et d'enjoindre à cette autorité de lui accorder ce renouvellement ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation. Par une ordonnance n° 1805277 du 14 février 2019, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 mai et 21 août 2019 et le 14 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, son avocat, en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., ressortissant guinéen né le 24 avril 2000, a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde par une ordonnance de placement provisoire rendue le 29 décembre 2017 par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Bordeaux. Après sa majorité, le 24 avril 2018, il a bénéficié jusqu'au 23 octobre 2018 de la poursuite de sa prise en charge par ce service dans le cadre du dispositif de " contrat jeune majeur ", sur le fondement des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Le 13 novembre 2018, un nouveau " contrat jeune majeur " a été signé par le président du conseil départemental et par M. A..., portant sur la période écoulée depuis le 23 octobre précédent. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 13 novembre 2018 en tant qu'elle mettait fin à sa prise en charge à cette date et d'enjoindre au président du conseil départemental de la Gironde de lui accorder la poursuite de cette prise en charge jusqu'à la fin de sa formation ou, à défaut, de réexaminer sa situation. Il se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 14 février 2019 par laquelle le président de la 5ème chambre du tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'ordonnance du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux :

2. Aux termes de l'article L.511 1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L.521 1 du même code : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais ".

3. Saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce qu'il prononce, à titre provisoire et conservatoire, la suspension d'une décision administrative, le juge des référés procède, dans les plus brefs délais, à une instruction succincte - distincte de celle au vu de laquelle le juge saisi du principal statuera - pour apprécier si les préjudices que l'exécution de cette décision pourrait entraîner sont suffisamment graves et immédiats pour caractériser une situation d'urgence et si les moyens invoqués apparaissent, en cet état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il se prononce par une ordonnance qui n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée et dont il peut lui-même modifier la portée au vu d'un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée.

4. Eu égard à la nature de l'office ainsi attribué au juge des référés, la seule circonstance qu'un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu'il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal. Toutefois, dans le cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l'ordonnance, qu'en statuant comme juge des référés il aurait préjugé le litige au fond, un magistrat ne pourrait, sans méconnaître le principe d'impartialité, se prononcer ultérieurement comme juge du principal.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, successivement les 30 novembre 2018 et 30 janvier 2019, de deux demandes de suspension de l'exécution de la décision du 13 novembre 2018, en tant qu'elle mettait fin à sa prise en charge. Par deux ordonnances des 5 décembre 2018 et 14 février 2019, le président de la 5ème chambre du tribunal, statuant comme juge des référés, a rejeté ces demandes comme manifestement irrecevables, au motif que le " contrat jeune majeur " signé le 13 novembre 2018 pour la période allant du 24 octobre au 13 novembre 2018 n'avait eu par lui-même ni pour objet, ni pour effet de lui refuser une nouvelle admission au dispositif de prise en charge à titre temporaire des majeurs de moins de vingt et un ans défini par les sixième et septième alinéas de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Par l'ordonnance attaquée, prise en application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le même président a rejeté la demande au fond de M. A... comme manifestement irrecevable, également en raison de l'absence de refus de nouvelle admission au dispositif de prise en charge des jeunes majeurs par l'aide sociale à l'enfance.

6. Le juge des référés a, ainsi, statué sur une question de recevabilité se posant dans les mêmes termes pour l'examen de la requête au fond et a préjugé l'issue du litige. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que, le juge du fond étant le même magistrat que le juge des référés, l'ordonnance du 14 février 2019 contestée par le présent pourvoi a été rendue dans des conditions irrégulières. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, M. A... est fondé à en demander l'annulation.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la prise en charge de M. A... par l'aide sociale à l'enfance :

8. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

9. Sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
10. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.

11. Il résulte de l'instruction que M. A... a été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde au-delà de sa majorité dans le cadre d'un premier " contrat jeune majeur ", jusqu'au 23 octobre 2018. Un deuxième " contrat jeune majeur ", signé par le président du conseil départemental de la Gironde le 13 novembre 2018 et ne prévoyant aucun objectif ni aucun engagement, a eu pour effet de mettre fin le même jour à la prise en charge de M. A..., qui suivait depuis septembre 2018 une première année de formation au certificat d'aptitude professionnelle de plâtrier plaquiste au centre de formation par l'apprentissage de Blanquefort. En mettant un terme à sa prise en charge le 13 novembre 2018, sans lui proposer, comme il y était tenu en application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, un accompagnement pour lui permettre de terminer l'année scolaire engagée, le président du conseil départemental de la Gironde a méconnu ces dispositions.

12. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... achève sa formation en deuxième année de certificat d'aptitude professionnelle de plâtrier plaquiste au centre de formation par l'apprentissage de Blanquefort, dans laquelle il obtient de bons résultats, qu'il perçoit de l'entreprise qui l'accueille en contrat d'apprentissage depuis juillet 2018 une rémunération, qu'il dispose d'un logement et d'un soutien associatif. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, à la date de la présente décision, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance.

13. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que M. A... ne peut utilement invoquer les vices propres qui affecteraient la légalité de la décision du 13 novembre 2018.

Sur l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

14. M. A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département de la Gironde une somme de 3 000 euros à verser à cet avocat.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux du 14 février 2019 est annulée.
Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le département de la Gironde versera à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au département de la Gironde.