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Ariane Web: Conseil d'État 426124, lecture du 7 octobre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:426124.20201007

Décision n° 426124
7 octobre 2020
Conseil d'État

N° 426124
ECLI:FR:CECHR:2020:426124.20201007
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Aurélien Caron, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 7 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et des contributions sociales correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1424364 du 7 juin 2016, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé M. et Mme A... d'une partie des suppléments d'impôts en litige et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Par un arrêt n° 16VE02601 du 16 octobre 2018, faisant partiellement droit à l'appel formé par M. et Mme A... contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Versailles les a déchargés de la majoration de 25 % appliquée sur l'assiette des prélèvements sociaux calculés sur les distributions occultes restant en litige et rejeté le surplus de leur requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 décembre 2018 et les 11 mars et 24 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. et Mme A... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2007 et 2008. Estimant que la résidence fiscale des contribuables était située en France et non en Belgique comme ils le soutenaient, l'administration fiscale a mis à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, au titre de ces deux années, à raison de dividendes et de distributions occultes versés par la société française Smartech. M. et Mme A... ont porté le litige devant le tribunal administratif de Montreuil qui, par un jugement du 7 juin 2016, a partiellement fait droit à leur demande tendant à la décharge de ces impositions. M. et Mme A... demandent l'annulation de l'arrêt du 16 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il n'a que partiellement fait droit aux conclusions de leur appel contre ce jugement.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ".

3. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans leurs observations du 18 février 2011 en réponse à la proposition de rectification que leur avait adressée l'administration fiscale le 16 décembre 2010, M. et Mme A... ont contesté avoir appréhendé les sommes qualifiées de distributions occultes par la société Smartech en se référant aux observations formulées par cette dernière en réponse à la proposition de rectification qui lui avait été notifiée par l'administration et en les joignant à leurs propres observations. En jugeant que l'administration fiscale n'était pas tenue de répondre à cette argumentation au motif que les contribuables n'avaient assorti leur contestation d'aucun développement spécifique, la cour a commis une erreur de droit.

4. En revanche, c'est sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier que la cour a jugé que, dans sa réponse du 2 mai 2011, l'administration fiscale avait suffisamment répondu, dans la partie de ses développements portant sur la domiciliation fiscale, aux observations des contribuables contestant le bien-fondé des rectifications relatives à la distribution de dividendes dès lors que l'imposition en litige résultait de la détermination de la résidence fiscale des intéressés en France.

Sur le bien-fondé des impositions assises sur les dividendes :

5. D'une part, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française ". Aux termes de l'article 4 B du même code dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. (...) ". D'autre part, aux termes du paragraphe 2 de l'article 1er de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique le 10 mars 1964 : " Une personne physique est réputée résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer permanent d'habitation. / a. Lorsqu'elle dispose d'un foyer permanent d'habitation dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme un résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits, c'est-à-dire de l'Etat contractant où elle a le centre de ses intérêts vitaux (...) ".

6. En premier lieu, pour juger que M. et Mme A... avaient le centre de leurs intérêts économiques et, par suite, leur domicile fiscal en France, la cour s'est fondée sur la circonstance qu'ils possédaient dans ce pays des sociétés et des biens immobiliers. En se bornant à cette constatation sans rechercher si ce patrimoine était productif de revenus, alors que les intéressés faisaient valoir qu'ils percevaient la majorité de leurs revenus de leurs activités professionnelles en Belgique et que leurs revenus de source française n'étaient qu'exceptionnels en 2007 et inexistants en 2008, la cour a commis une erreur de droit.

7. En second lieu, en se bornant à affirmer que M. et Mme A... disposaient de plusieurs foyers d'habitation permanents notamment en Belgique et en France, alors que les contribuables avaient fait valoir que leurs biens immobiliers en France ne pouvaient être analysés comme tels, la cour a insuffisamment motivé sa décision.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 16 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure définie à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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