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Ariane Web: Conseil d'État 439804, lecture du 22 décembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:439804.20201222

Décision n° 439804
22 décembre 2020
Conseil d'État

N° 439804
ECLI:FR:CECHR:2020:439804.20201222
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Réda Wadjinny-Green, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public


Lecture du mardi 22 décembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 4 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mmes A... G..., D... F..., C... E... et B... H... et MM. Gilles Guyon et Pierre Boileau demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir :
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 ;
- l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 ;

2°) d'enjoindre à l'Etat, sans délai, de prendre les mesures suivantes :
- test, isolement et mise en quarantaine systématique de tous les nouveaux arrivants sur le territoire ;
- mise en place de dépistages au départ dans les aéroports et les ports internationaux, tout en réduisant au minimum les perturbations du trafic international ;
- fourniture de masques et de matériels de santé nécessaires pour la lutte contre l'épidémie en quantité et en qualité au personnel de santé dans les plus brefs délais ;
- instauration d'un couvre-feu sur l'ensemble du territoire à compter de 22 heures jusqu'à 5 heures du matin, sauf pour des motifs qui devront être précisés, notamment pour la continuité des services publics ;
- réquisition de tous locaux nécessaires à la protection et au confinement de l'ensemble des personnes sans domicile fixe sur tout le territoire ;
- mise en place de points de contrôle dans les grands axes des villes, au besoin en recourant à l'armée ;
- mise en quarantaine systématique des récidivistes contrevenant aux règles de confinement ;
- réquisition des hôtels ou de tout bâtiment pouvant offrir des conditions d'hébergement dignes pour les personnels soignants et l'ensemble des agents publics particulièrement exposés aux personnes contaminées à proximité des hôpitaux privés ou publics, ou des cliniques ;
- confinement strict des personnels soignants ;
- organisation pour le personnel hospitalier de tests généralisés et automatiques en vue de lutter efficacement contre la pandémie à l'hôpital ;
- organisation d'un service d'acheminement de la nourriture et des produits de première nécessité dans les hôpitaux afin de permettre aux personnels soignants de ne pas sortir de l'hôpital pour réaliser ces achats ;
- prise en charge, aux frais de l'Etat, du coût de l'ensemble de ces mesures ;
- mise en place dans chaque hôpital ou clinique d'une télé-cérémonie funéraire pour les proches d'un patient décédé du coronavirus et d'une prise en charge des frais funéraires par l'Etat ;
- interdiction des rassemblements de plus de deux personnes ;
- mise à disposition de tous les hôpitaux du matériel adéquat pour assurer la possibilité des proches de rester en contact visuellement avec leurs proches ;
- instauration de tests sérologiques gratuits pour les personnels soignants ;
- maintien des aides financières à destination des hôpitaux afin de financer les hôtels réquisitionnés pour les personnels soignants qui seraient encore contagieux ou qui n'auraient pas encore été testés et qui désireraient protéger leurs proches ;
- réouverture de tous les marchés y compris non alimentaires avec l'instauration de gestes barrière et mise à disposition de masques ;
- mise en place de mesures permettant aux proches de personnes décédées de pouvoir les revoir avant la mise en bière.

3°) d'assortir ces injonctions d'une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) sur le fondement de l'article 1er du protocole 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme d'une demande d'avis consultatif sur la question suivante : " L'interprétation des articles 2, 16, 17 de la Charte des Droits fondamentaux, de l'article 1er du Protocole Additionnel de la CEDH, de l'article 1er du Protocole n°12, des articles 2, 5, 7et 14 de la CEDH s'oppose-t-elle aux décrets et arrêtés litigieux ' " ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 ;
- l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être arrêtées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

2. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131 15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment édictées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Par un décret du 1er avril 2020, le Premier ministre a complété ce décret en prévoyant notamment que les défunts atteints ou probablement atteints de la maladie dite covid-19 au moment de leur décès devaient faire l'objet d'une mise en bière immédiate et en interdisant pour eux la pratique de la toilette mortuaire. Enfin, par une ordonnance du 25 mars 2020, un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a été mis en place, auxquelles sont éligibles les entreprises de commerce et d'artisanat dans les conditions prévues par un décret du 30 mars 2020.

3. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 14 mars 2020 et des décrets du 16 mars 2020, du 17 mars 2020, du 23 mars 2020, du 30 mars 2020 et du 1er avril 2020.


Sur la compétence :

4. Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, en particulier en cas d'épidémie, comme celle de covid-19 que traversait la France à la date des décisions attaquées. En outre, aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ". Les mesures prises par le Premier ministre ou par le ministre de la santé sur ces fondements, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d'exercer une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 16 mars 2020 auraient été pris par une autorité incompétente, sans qu'ait d'incidence la circonstance que le régime de l'état d'urgence sanitaire, sur lequel ne se fondent pas ces deux textes, ait été inséré dans le code de la santé publique par une loi qui leur est postérieure. En outre, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de ce que des mesures équivalentes à celles qui ont été édictées par l'arrêté du 14 mars et le décret du 16 mars auraient pu être adoptées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ou des articles 16 et 36 de la Constitution.


Sur l'objectif à valeur constitutionnel de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines :

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 16 mars 2020 attaqué, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin de prévenir la propagation du virus covid-19, est interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes : / 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ; / 2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique ; / 3° Déplacements pour motif de santé ; / 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d'enfants ; / 5° Déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie. / Les personnes souhaitant bénéficier de l'une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions ". L'article 1er du décret du 17 mars 2020 attaqué prévoit quant à lui que " La violation des interdictions de se déplacer hors de son domicile définies à l'article 1er du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 susvisé, la méconnaissance de l'obligation prévue au même article de se munir du document justifiant d'un déplacement autorisé, ainsi que la violation des mesures restrictives prises en application de l'article 2 du même décret lorsque des circonstances locales l'exigent, sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe ".

6. Le décret du 23 mars 2020 reprend la liste dressée par celui du 16 mars et la précise pour les déplacements pour motifs de santé, dont sont exclus les " consultations et soins pouvant être assurés à distance " et, " sauf pour les patients atteints d'une affection de longue durée ", " ceux qui peuvent être différés ". Les déplacements brefs sont désormais autorisés " dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile " et incluent " la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile ". Le décret ajoute que les trois motifs suivants sont également susceptibles de justifier une dérogation à l'interdiction de déplacement : " 6° Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ; / 7° Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ; / 8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise ". Par ailleurs, les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, inséré dans le code par la loi du 23 mars 2020, disposent que : " La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l'objet de la procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. / Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général, selon les modalités prévues à l'article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l'infraction a été commise à l'aide d'un véhicule ".

7. L'arrêté du 14 mars 2020 dresse la liste des différentes catégories d'établissements ne pouvant plus accueillir de public jusqu'au 15 avril 2020, en se référant notamment à l'article GN1 de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) et interdit les rassemblements de plus de 100 personnes.

8. D'une part, la circonstance que les textes attaqués aient fait l'objet de nombreuses modifications liées à l'évolution de l'épidémie et des connaissances scientifiques relatives au nouveau coronavirus et qu'ils aient donné lieu à une importante communication du gouvernement visant à en préciser la teneur est, par elle-même, sans incidence sur leur légalité, à la date de leur adoption, et ne révèle pas davantage une méconnaissance du principe de sécurité juridique.

9. D'autre part, si les motifs limitativement énumérés autorisant de déroger à l'interdiction de déplacement définie par le décret du 16 mars 2020 ont été complétés et explicités par le décret du 23 mars 2020, alors que la méconnaissance des interdictions prévues par ces textes était passible de sanctions pénales, il ne s'ensuit pas que leur formulation initiale n'ait pas été suffisamment claire et précise au regard des exigences du principe de légalité des délits et des peines. Par ailleurs, à supposer que des sanctions aient pu être prononcées sur le fondement d'une interprétation inexacte des dérogations mentionnées au point 6, les requérants ne sauraient utilement s'en prévaloir à l'appui de leur requête dirigée contre ces décrets.

10. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décrets des 16, 17 et 23 mars 2020 et l'arrêté du 14 mars 2020 méconnaitraient l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité du droit, le principe de sécurité juridique et celui de légalité des délits et des peines.


Sur le droit de propriété, la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre et le caractère disproportionné des dispositions attaquées au regard des risques sanitaires et de la disparité des situations locales :

11. Ainsi qu'il a été rappelé, l'arrêté du 14 mars 2020 et les décrets des 16 et 23 mars 2020 ont procédé à la fermeture d'un grand nombre d'établissements recevant du public et interdit les déplacements, sauf pour des motifs limitativement énumérés. Ces mesures, qui visent à limiter au strict minimum les rassemblements et déplacements, ont été adoptées pour ralentir la propagation exponentielle du virus dans un contexte de saturation des structures hospitalières.

12. Eu égard aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles ont été adoptés l'arrêté et les décrets attaqués, caractérisées par une augmentation rapide de la circulation du virus, une possible saturation, à brève échéance, des structures hospitalières à l'échelle nationale, qui a conduit au transfert de patients entre régions et vers des pays voisins ainsi qu'à la déprogrammation d'hospitalisations non urgentes, des difficultés dans le traitement des chaines de contamination et pour le respect des gestes barrières en raison de l'insuffisance du nombre de tests, qui ne permettait pas d'identifier les personnes asymptomatiques, et de la pénurie de masques chirurgicaux et FFP2, aux dérogations prévues pour les déplacements répondant à des besoins de première nécessité ainsi qu'au caractère circonscrit dans le temps des mesures en cause, l'interdiction de déplacement et la fermeture des établissements recevant du public à l'exception de ceux qui fournissent des biens et services de première nécessité à l'échelle de l'ensemble du territoire national ne présentaient pas, à la date à laquelle elles ont été édictées et au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi, un caractère disproportionné, malgré la gravité de l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre et malgré l'atteinte portée, selon les requérants, au droit de propriété, en dépit des disparités observées entre départements en termes de prévalence de l'épidémie.

13. Par ailleurs, il ressort clairement des dispositions de l'arrêté du 14 mars 2020 et du décret du 23 mars 2020 que l'interdiction de recevoir du public qu'ils édictent pour certaines catégories d'établissements recevant du public a été fixée pour une durée limitée, jusqu'au 15 avril 2020, sans que les requérants puissent utilement se prévaloir à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir de la circonstance que cette échéance ait été plusieurs fois repoussée par la suite.


Sur le droit à la vie :

14. Mme G... et autres soutiennent que les mesures prises par l'Etat étaient insuffisantes pour endiguer de façon efficace et rapide l'épidémie de covid-19. Ils soutiennent notamment que des mesures de confinement additionnelles devaient être définies pour les personnels soignants et que des mesures de dépistage précoce et de grande ampleur étaient nécessaires et recommandées par l'organisation mondiale de la santé dès le mois de janvier.

15. Outre qu'il ressort de l'instruction que la mise en place d'un dépistage systématique était rendue difficile dans un contexte de pénurie de tests, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions attaquées, qui instaurent des mesures strictes de confinement et de limitation des rassemblements afin de juguler la propagation du virus en même temps qu'elles organisent la réquisition des masques de protection et leur distribution prioritaire aux personnels soignants, ont méconnu le droit à la vie.


Sur le principe d'égalité :

En ce qui concerne l'arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 23 mars 2020 :

16. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

17. En premier lieu, si les marchés alimentaires, dont l'activité est autorisée par l'arrêté du 14 mars et interdite par le décret du 23 mars sauf dans le cas où le représentant de l'Etat dans le département, après avis du maire, accorde une autorisation d'ouverture de ceux qui répondent à un besoin d'approvisionnement de la population et dans le respect des règles sanitaires et les 48 secteurs d'activité listés en annexe de l'arrêté du 14 mars et du décret du 23 mars, au sein desquels les établissements sont susceptibles d'accueillir du public sont dans une situation comparable à celle des marchés non alimentaires au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi, ils ne sont pas dans une situation analogue à ces derniers au regard de la nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation, notamment de permettre l'approvisionnement en produits de première nécessité et la fourniture de services essentiels à la population. Eu égard aux circonstances exceptionnelles justifiant les mesures de confinement rappelées au point 12 et à la nécessité de permettre l'accès des personnes concernées par les règles de confinement aux produits de base, notamment aux denrées alimentaires, la dérogation à l'interdiction de recevoir du public accordée aux marchés alimentaires et aux établissements relevant des 48 secteurs d'activité listés en annexe de l'arrêté du 14 mars et du 23 mars, alors qu'aucune dérogation n'était prévue pour les marchés non alimentaires n'était pas, à la date où elle a été édictée, manifestement disproportionnée et les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'elle serait constitutive d'une atteinte aux principes d'égalité et de non-discrimination qu'ils invoquent.

18. En second lieu, l'interdiction, pour les restaurants, d'accueillir du public, prévue par l'arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 23 mars 2020, doit nécessairement s'interpréter comme s'étendant aux hôtels-restaurants d'altitude, aux hôtels et pensions de famille et aux refuges de montagne lorsqu'ils exercent une activité de restauration. Le moyen tiré de ce que ces établissements auraient été autorisés à recevoir du public par les textes attaqués en méconnaissance du principe d'égalité doit dès lors être écarté.


En ce qui concerne le décret du 30 mars 2020 :

19. Le décret du 30 mars 2020 précise les conditions que doivent remplir les entreprises particulièrement touchées par la crise sanitaire pour bénéficier du fonds de solidarité institué par l'ordonnance du 25 mars 2020. En vertu de ses dispositions, dans leur version applicable au litige, ces entreprises doivent justifier d'une baisse de chiffre d'affaires de 70%, d'un chiffre d'affaires de moins d'un million d'euros au titre du dernier exercice clos ainsi que d'un bénéfice inférieur à 60 000 euros et avoir un nombre de salariés inférieur ou égal à 10. Mme G... et autres ne sont pas fondés à soutenir que ces conditions d'attribution d'une subvention au titre du fonds de solidarité, qui poursuivent un objectif d'intérêt général et reposent sur des critères objectifs et en lien avec l'objet de la norme, lequel est de compenser, pour les entreprises les plus fragiles, les effets de la crise sanitaire, méconnaîtraient les principes d'égalité et de non-discrimination qu'ils invoquent, au motif qu'elles excluraient certaines entreprises du dispositif, lesquelles ne sont pas, dans une situation analogue à celles qui en bénéficient.


Sur le droit à une vie privée et familiale normale :

20. L'article 1er du décret du 1er avril 2020 insère dans le décret du 23 mars 2020 un article 12-5 qui dispose que : " Jusqu'au 30 avril 2020 : / " -les soins de conservation définis à l'article L. 2223-19-1 du code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées ; / " -les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès font l'objet d'une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ". La mise en bière immédiate est susceptible d'entraîner l'impossibilité pour les proches de personnes décédées de voir le défunt.

21. Le haut conseil de la santé publique a estimé, dans un avis du 24 mars 2020, que, dans la prise en charge des personnes décédées par l'infection SARS-Cov-2, il convenait " de respecter la stricte observance des règles d'hygiène et de mesures de distance physique, mais aussi de respecter dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d'une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ". Il a ainsi recommandé à cette fin que, s'agissant des personnes décédées : " le personnel en charge de la toilette (...) (soit) équipé d'une tenue de protection adaptée / les proches (puissent) voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière (...) / Si un impératif rituel nécessite la présence active de personnes désignées par les proches, cela doit être limité à deux personnes au maximum, équipées comme le personnel en charge de la toilette (...) après accord de l'équipe de soins ou du personnel de la chambre mortuaire ou funéraire ". Si le gouvernement n'était pas tenu de suivre l'avis du haut conseil de la santé publique, il n'a apporté, dans le cadre de la présente instance, aucun élément de nature à justifier de la nécessité d'imposer de façon générale et absolue, à la date où elles ont été édictées, les restrictions prévues par les dispositions attaquées. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en raison de leur caractère général et absolu, portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit à une vie privée et familiale normale doit, dès lors, être accueilli.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 1er avril 2020 doit être annulé. En revanche, le surplus des conclusions, y compris à fin d'injonction, de Mme G... et autres doit être rejeté, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif.

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme G... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 1er avril 2020 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à Mme G... et autres la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme G... et autres est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... G..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur


Voir aussi