Base de jurisprudence

Decision n° 447878
Conseil d'État

N° 447878
ECLI:FR:CEORD:2021:447878.20210121
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MELKA - PRIGENT, avocats


Lecture du jeudi 21 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

I. Sous le n°447878, par une requête, enregistrée le 16 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Cimade, service oecuménique d'entraide, l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), le Groupe d'information et de soutien aux immigré·e·s (Gisti), l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-France), l'association JRS France, la Ligue des Droits de L'Homme, le Groupe accueil et solidarité (GAS), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), Mme E..., Mme C... A..., M. G..., M. F..., demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du pouvoir réglementaire, révélée par le site France Visas, de demander aux consuls de ne pas enregistrer ou instruire les demandes de visas longs séjour de réunification familiale au titre de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de faire application des prescriptions de l'instruction du 15 août 2020 et de ses actes consécutifs ;

2°) d'enjoindre aux ministres de prendre les mesures réglementaires ou d'organisation nécessaires pour l'enregistrement et la délivrance de visas de ce type, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, en premier lieu, à la situation individuelle de MM. Brhane, A..., Bigirimana et Shahfahi dont les demandes de réunification familiale ne peuvent aboutir, en deuxième lieu, aux intérêts défendus par les huit associations requérantes et, en troisième lieu, à l'intérêt public qui s'attache à l'application de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- il n'existe pas de dispositions réglementaire publiée prévoyant une interdiction générale de déplacement ou d'entrée sur le territoire, sauf motif personnel ou familial impérieux permettant d'y déroger ;
- les prescriptions que le gouvernement entend appliquer n'ont pas été publiées, n'ont pas été révisées ainsi que l'engagement en avait été pris et sont réputées abrogées en application de l'article R. 312-7 du code des relations du public avec l'administration ;
- ces prescriptions, en tant qu'elles prévoient une interdiction d'accès au territoire national en provenance des Etats tiers à l'exception de certaines dérogations et de l'existence de motifs personnels ou familiaux impérieux, sont contraires aux dispositions de l'article 11 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui se bornent à exiger un test de dépistage virologique négatif de moins de 72 heures avec la possibilité à défaut, pour les personnes en provenance de la plupart des pays, que ce test soit réalisé à l'arrivée à l'aéroport ;
- ces prescriptions ne sont, en tout état de cause, pas conformes au paragraphe 5 b de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et la possible levée de cette restriction, qui prévoient que lorsque des restrictions temporaires de déplacements continuent de s'appliquer à un pays tiers, devraient en être exemptées, indépendamment de l'objet du déplacement, les personnes qui tirent leur droit de séjour de directives de l'Union européenne ou du droit national, ou qui sont titulaires d'un visa national de longue durée, ainsi que les membres de leur famille ;
- ces prescriptions font obstacle aux dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont prises pour la transposition de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 et qui n'excluent du droit à bénéficier de la réunification familiale que les membres de la famille des réfugiés qui constituent une menace pour l'ordre public ;
- ces prescriptions ne sont ni nécessaires ni proportionnées au regard de l'atteinte qu'elles portent au principe même du droit d'asile, au droit à une vie familiale normale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

La Défenseure des droits a présenté des observations, en application de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, enregistrées le 26 décembre 2020.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient, à titre principal, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, à titre subsidiaire, qu'aucun moyen de la requête n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.


II. Sous le n° 447893, par une requête, enregistrée le 16 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), la Cimade, service oecuménique d'entraide, le Groupe d'information et de soutien aux immigré·e·s (Gisti), la Ligue des Droits de L'Homme et le Syndicat des avocats de France demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du pouvoir réglementaire, révélée par le site France Visas, demandant aux consuls de ne pas enregistrer ou d'instruire les demandes de visas longs séjour des bénéficiaires du regroupement familial et de faire application de l'instruction du 15 août 2020 et des actes consécutifs ;

2°) d'enjoindre aux ministres de prendre les mesures réglementaires ou d'organisation nécessaires pour l'enregistrement et la délivrance de visas de ce type, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de demander un avis à la Cour européenne des droits de l'Homme en application de l'article 1er 1 du protocole n° 16 de la convention, sur l'interprétation de l'article 15 de la convention ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, d'une part, à la situation individuelle de centaines de familles, telles celles de MM. Karadogan, Mabrouk, Diagouraga, Boudia, Fay et Mouansie ainsi que Mmes D... et B... dont les regroupements familiaux ne peuvent être mis en oeuvre depuis de nombreux mois ou bien dont les autorisations sont devenues caduques lorsque le visa délivré n'a pas été utilisé, et d'autre part, à l'intérêt public qui s'attache à l'application de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- cette décision est irrégulière dès lors que ni le Premier ministre ni le ministre de l'intérieur n'étaient compétents pour interdire, par voie d'instruction, aux ressortissants disposant d'une autorisation de regroupement familial d'entrer sur le territoire français en l'absence de toute disposition réglementaire du droit de l'Union ou du droit national en ce sens ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'elle interdit aux bénéficiaires d'une décision d'autorisation de regroupement familial de rejoindre les membres de leur famille installés régulièrement en France sans qu'il soit procédé à un examen au cas par cas des situations individuelles, particulièrement celles des enfants ;
- elle méconnaît le principe d'égalité, eu égard, d'une part, au droit dont disposent les ressortissants français et communautaires de continuer à faire venir les membres de leurs familles qui vivent dans les pays tiers, et d'autre part, au fait que les familles de ces personnes ainsi que les étudiants peuvent venir en France en se soumettant seulement aux obligations de test de dépistage imposées par l'article 11 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;
- elle méconnaît le principe général du droit à la vie familiale normale, le principe constitutionnel correspondant, le droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le droit au regroupement familial protégé par l'article 13 de la directive 2003/86/CE ;
- il n'existe pas de disposition réglementaire publiée prévoyant une interdiction générale de déplacement ou d'entrée sur le territoire, sauf motif personnel ou familial impérieux permettant d'y déroger ;
- les prescriptions que le gouvernement entend appliquer n'ont pas été publiées, n'ont pas été révisées ainsi que l'engagement en avait été pris et sont réputées abrogées en application de l'article R. 312-7 du code des relations du public avec l'administration ;
- ces prescriptions, en tant qu'elles prévoient, une interdiction d'accès au territoire national en provenance des Etats tiers à l'exception de certaines dérogations et de l'existence de motifs personnels ou familiaux impérieux, sont contraires aux dispositions de l'article 11 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui se bornent à exiger un test de dépistage virologique négatif de moins de 72 heures avec la possibilité à défaut, pour les personnes en provenance de la plupart des pays, que ce test soit réalisé à l'arrivée à l'aéroport ;
- ces prescriptions ne sont, en tout état de cause, pas conformes au paragraphe 5 b de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et la possible levée de cette restriction, qui prévoient que lorsque des restrictions temporaires de déplacements continuent de s'appliquer à un pays tiers, devraient en être exemptées, indépendamment de l'objet du déplacement, les personnes qui tirent leur droit de séjour de directives de l'Union européenne ou du droit national, ou qui sont titulaires d'un visa national de longue durée, ainsi que les membres de leur famille ;
- ces prescriptions ne sont ni nécessaires ni proportionnées au regard de l'atteinte qu'elles portent au principe même du droit d'asile, au droit à une vie familiale normale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

La Défenseure des droits a produit des observations, en application de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, enregistrées le 4 janvier 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 et 16 janvier 2021 sous le n° 447878, la Cimade, service oecuménique d'entraide et autres reprennent les conclusions de leur requête par les mêmes moyens.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 et 19 janvier 2021, sous le n° 447893, l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers et autres reprennent les conclusions de leur requête par les mêmes moyens.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12 et 20 janvier 2021 sous les n° 447878 et 447893, le ministre de l'intérieur persiste dans ses conclusions, par les mêmes moyens.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 janvier 2021, présentée par la Cimade, service oecuménique d'entraide et autres ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n°2021-31 du 15 janvier 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Cimade, service oecuménique d'entraide, l'association des Avocats pour la défense du droit des étrangers et les autres requérants ainsi que la Défenseure des droits et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et le Premier ministre ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 janvier 2021 à 11 heures :

- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Cimade, service oecuménique d'entraide, de l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers et des autres requérants ;

- le représentant de la Cimade, service oecuménique d'entraide ;

- la représentante de l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers et du Syndicat des avocats de France ;

- la représentante du Groupe d'information et de soutien aux immigré·e·s (Gisti) ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 12 janvier 2021 à 17 heures puis au 20 janvier 2021 à 12 heures.


Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-1 du même code : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La Cimade, service oecuménique d'entraide, et autres, sous le n° 447878, et l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE) et autres, sous le n 447893, doivent être regardées, à la lumière notamment des précisions apportées lors de l'audience, comme demandant, d'une part, la suspension de l'exécution, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, non seulement de la décision du ministre de l'intérieur, révélée par le site FranceVisa, de demander aux consuls de ne pas enregistrer puis instruire les demandes de visas longs séjour présentées respectivement, dans le cadre des procédures de réunification familiale et de regroupement familial, mais également de la circulaire du Premier ministre n° 6239/SG du 29 décembre 2020 relative aux mesures frontalières mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'elle ne prévoit pas, en la matière, de dérogations, et d'autre part, qu'il soit enjoint sous astreinte au Premier ministre et au ministre de l'intérieur, au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre les mesures réglementaires ou d'organisation nécessaires pour assurer l'enregistrement et la délivrance de tels visas. Ces requêtes présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. (...) / (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19. " Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code : " I - Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) / .../ 3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ; / 4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté, des personnes affectées ;/ (...)/ II - Les mesures prévues aux 3° et 4° du I du présent article ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire hexagonal, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. La liste des zones de circulation de l'infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. (...). ". Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu " et " qu'il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d'état d'urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020.

5. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus. Un projet de loi prévoyant une nouvelle prorogation jusqu'au 1er juin 2021 est en cours d'examen au Parlement.

6. Avant même que ne soient édictées les dispositions précitées du 1° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, par la loi du 11 mai 2020 précitée, le Premier ministre a décidé de limiter la circulation sur le territoire national des personnes voulant y entrer depuis l'étranger, d'une part, par l'instruction n° 6149/SG du 18 mars 2020 qui, s'agissant des frontière extérieures, a demandé aux autorités compétentes d'opposer, sur le fondement des dispositions combinées des articles 6 et 14 du Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, dit code frontières Schengen, des refus d'entrée à l'égard de toutes les personnes étrangères, sauf dérogations limitativement énumérées, et d'autre part, par l'instruction n° 6156/ SG du 15 avril 2020, qui prescrit à toute personne susceptible d'être admise à entrer en France de produire, lors des opérations d'embarquement et de contrôle aux frontières, une attestation de déplacement international, disponible sur internet, en y indiquant la dérogation applicable.

7. Après l'entrée en vigueur des dispositions précitées du 1° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique et avant le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, le dispositif mentionné au point précédent a été reconduit, s'agissant des frontières extérieures, à trois reprises. La circulaire n° 6167/SG du 12 mai 2020, tout d'abord, a précisé que les personnes admises sur le territoire national pourraient faire l'objet de mesure de " quatorzaine " lorsque le cadre réglementaire correspondant aurait été pris. Puis, l'instruction n° 6187/SG du 1er juillet 2020 a exempté des restrictions d'entrée en France les personnes en provenance d'une liste de treize pays dont l'actualisation tous les quinze jours était prévue en lien avec celle qui figure à l'annexe I de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020. Enfin, l'instruction n° 6204/SG du 15 août 2020 a renvoyé, en premier lieu, la liste des pays de provenance exemptés des restrictions à celle de vingt-deux puis vingt pays qui avait été fixée entre temps par l'article 1er de l'arrêté du 10 juillet 2020 identifiant les zones de circulation de l'infection du virus SARS-CoV-2, a prévu, en deuxième lieu, de nouvelles dérogations en faveur notamment des étudiants et des bénéficiaires du visa dits " passeport talent " ainsi que la possibilité d'obtenir des laissez-passer pour faciliter l'exercice d'une activité économique, pour permettre le rapprochement de conjoint ou pour raison médicale, et a rappelé, en troisième et dernier lieu, les dispositions du décret du 10 juillet 2020 prises entre temps en application de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, et relatives, d'une part, à la mise en quarantaine ou, le cas échéant, au placement et au maintien en isolement des personnes présentant des symptômes d'infection et, d'autre part, aux obligations de dépistage s'imposant avant embarquement ou à l'arrivée, selon plusieurs catégories de pays de provenance.

8. Depuis le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, la circulaire du Premier ministre n° 6239/SG du 29 décembre 2020 a, postérieurement à l'introduction de la présente instance, abrogé et remplacé l'instruction du 15 août 2020 en reprenant, s'agissant des frontières extérieures, l'essentiel de ses prescriptions. Elle continue de renvoyer, en premier lieu, à la liste fixée par l'article 1er de l'arrêté du 10 juillet 2020 pour les pays de provenance exemptés de restrictions, lesquels ne sont toutefois plus qu'au nombre de sept (Australie, Corée du sud, Japon, Nouvelle-Zélande, Rwanda, Singapour et Thaïlande) et elle précise que les restrictions s'appliquent en cas de séjour depuis moins de trente jours dans un autre pays extérieur à l'espace européen. En deuxième lieu, les dérogations ont été étendues pour inclure notamment, à côté des étudiants, les mineurs scolarisés, et avec les bénéficiaires des visas " passeport talent ", leur conjoint et leurs enfants, tandis que les laissez-passer sont désormais susceptibles d'être accordés pour les ressortissants étrangers qui doivent se déplacer " pour un motif impérieux ". En troisième et dernier lieu, il est fait référence pour les tests devant être réalisés, en cas d'arrivée par transport maritime et aérien, aux obligations fixées respectivement par les articles 6 et 11 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, lesquels prévoyaient, alors, pour une liste des dix-huit pays (annexe II bis), la présentation à l'embarquement d'un test de dépistage négatif réalisé moins de 72 heures avant celui-ci et, pour les autres pays, extérieur à l'espace européen et non exemptés (annexe II ter), la possibilité de réaliser le test de dépistage à l'arrivée.

Sur la condition d'urgence :

9. Pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.

10. Il résulte de l'instruction que, depuis le 18 mars 2020, les conjoints et les enfants des ressortissants de nationalité française ou de l'espace européen peuvent, en vertu des circulaires et instructions successives mentionnées aux points 6 et 8, continuer à entrer sur le territoire national pour les y rejoindre. Il n'en va pas de même, sauf à ce qu'ils proviennent des rares pays exemptés de restrictions ou qu'ils justifient des " motifs impérieux " visés par la circulaire du 29 décembre 2020, des enfants et conjoints des ressortissants d'autres nationalités alors même que ces ressortissants, soit, se sont vu reconnaître la qualité de réfugié ou ont obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire et ont demandé à bénéficier, pour eux, de la réunification familiale, en application de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit ont obtenu une autorisation de regroupement familial et ont sollicité ou même obtenu le visa d'entrée prévu par l'article R. 421-28 du même code. Il résulte, ainsi, de l'instruction que par rapport aux quelques 5 000 et 15 000 personnes qui sont entrées au cours de l'année 2019 sur le territoire national, au titre de chacune des deux procédures précitées, à peine quelques centaine de personnes ont pu y entrer à ce titre pendant les dix derniers mois de l'année 2020, souvent après avoir dû saisir le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'une demande de référé-liberté. Par suite et eu égard aux troubles dans les conditions d'existence subies par les conjoints et les familles qui doivent rester séparées depuis désormais de nombreux mois les neuf associations requérantes et les quatre réfugiés qui se sont joints à elles, dont l'intérêt pour agir n'est, d'ailleurs, pas contesté, sont fondés à soutenir que la condition d'urgence est remplie.

Sur le doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées :

En ce qui concerne le droit de l'Union :

11. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) : " Le présent règlement s'applique à toute personne franchissant les frontières intérieures ou extérieures d'un État membre, sans préjudice: / (...) /b) des droits des réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non-refoulement ". Aux termes de l'article 6 de ce règlement : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: / (...)/ e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l'un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. ". Aux termes de l'article 14 de ce règlement : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. Cette disposition est sans préjudice de l'application des dispositions particulières relatives au droit d'asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour. "

12. Aux termes de l'article 23 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection : " 1. Les États membres veillent à ce que l'unité familiale puisse être maintenue. / 2. Les États membres veillent à ce que les membres de la famille du bénéficiaire d'une protection internationale qui, individuellement, ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir cette protection puissent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille. / (...) 4. Nonobstant les paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent refuser, limiter ou retirer les avantages qui y sont visés pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public ".

13. Aux termes de l'article 6 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres peuvent rejeter une demande d'entrée et de séjour d'un des membres de la famille pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 de la même directive : " Dès que la demande de regroupement familial est acceptée, l'État membre concerné autorise l'entrée du ou des membres de la famille. À cet égard, l'État membre concerné accorde à ces personnes toute facilité pour obtenir les visas exigés ".

14. Aux termes, enfin, de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et la possible levée de cette restriction : " 1. Les États membres devraient lever progressivement la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE à compter du 1er juillet 2020, de manière coordonnée et à l'égard des résidents des pays tiers dont la liste figure à l'annexe I. / (...) / 5. Lorsque des restrictions temporaires de déplacements continuent de s'appliquer à un pays tiers, les catégories de personnes ci-après devraient être exemptées de la restriction de déplacement, indépendamment de l'objet du déplacement: / (...)/ a) les citoyens de l'Union au sens de l'article 20, paragraphe 1, du TFUE et les ressortissants de pays tiers qui, en vertu des accords conclus entre l'Union et ses États membres, d'une part, et ces pays tiers, d'autre part, jouissent d'un droit à la libre circulation équivalent à celui des citoyens de l'Union, ainsi que les membres de leur famille ; / b) les ressortissants de pays tiers qui sont résidents de longue durée en vertu de la directive relative aux résidents de longue durée et les personnes qui tirent leur droit de séjour d'autres directives de l'UE ou du droit national, ou qui sont titulaires d'un visa national de longue durée, ainsi que les membres de leur famille ". Aux termes du paragraphe 2 du II de la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au conseil Covid-19 du 28 octobre 2020 (2020) 686 - Orientations relatives aux personnes exemptées de la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE en ce qui concerne la mise en oeuvre de la recommandation (UE) 2020/912 du Conseil du 30 juin 2020 : " Entrée de ressortissants de pays tiers et des membres de leur famille [point 5 b) de la recommandation] : / Le point 5 b) de la recommandation du Conseil devrait s'entendre comme visant les ressortissants de pays tiers qui: / - sont titulaires d'un visa ou d'un titre de séjour délivré par un État membre en vertu de l'acquis de l'Union en matière de migration légale, à savoir la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, la directive 2003/109/CE relative aux résidents de longue durée, la directive 2009/50/CE relative à la carte bleue européenne, la directive 2014/36/UE relative aux travailleurs saisonniers, la directive 2014/66/UE relative aux personnes faisant l'objet d'un transfert temporaire intragroupe et la directive (UE) 2016/801 relative aux étudiants, chercheurs, stagiaires, volontaires, élèves et jeunes au pair. / Cela implique également que les ressortissants de pays tiers - et, le cas échéant, les membres de leur famille - qui remplissent les conditions d'admission fixées dans ces directives devraient pouvoir présenter une demande afin d'obtenir un tel visa ou un tel titre de séjour, puis être exemptés de la restriction de déplacements; / ou / -sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour délivré par un État membre en vertu de son droit national ".

En ce qui concerne le droit interne :

15. Aux termes de l'article L. 213-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction actuelle : " L'accès au territoire français peut être refusé à tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l'ordre public (...) ".

16. Aux termes de l'article L. 411-1 du code précité : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-6 de ce code : " Peut être exclu du regroupement familial : / 1° Un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ". Aux termes de l'article R. 421-28 du même code : " Pour être admis sur le territoire français, les membres de la famille du ressortissant étranger doivent être munis du visa d'entrée délivré par l'autorité diplomatique et consulaire. L'autorisation du regroupement familial est réputée caduque si l'entrée de la famille sur le territoire français n'est pas intervenue dans un délai de trois mois à compter de la délivrance du visa ".

17. Aux termes de l'article L. 752-1 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale. 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais./ (...) La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 ; elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident les membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ".

En ce qui concerne les moyens invoqués à l'encontre de la circulaire du Premier ministre n° 6239/SG du 29 décembre 2020 :

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le nombre des personnes bénéficiant du regroupement familial et de la réunification familiale équivaut, si l'on se rapporte aux données de 2019 mentionnées au point 10 sans tenir compte de la réduction des dessertes aériennes, à une moyenne inférieure à 400 personnes par semaine ou encore 60 personnes par jour, sans commune mesure avec les millions de personnes qui sont exclues des dérogations, notamment en matière de tourisme. L'administration, à qui il serait loisible d'étaler dans le temps la délivrance des visas qui n'ont pas été accordés ces derniers mois, n'apporte pas d'élément permettant de regarder le flux en cause, minime au regard de la population du pays, comme étant de nature à contribuer de manière significative à une augmentation du risque de brassage et à un risque de " contamination exponentielle " aux alentours des aéroports internationaux, notamment en région Ile de France, y compris dans le contexte actuel de maintien d'une forte tension sur le système hospitalier.

19. En deuxième lieu, si l'apparition de nouveaux variants plus contagieux du virus, en provenance de certaines zones géographiques comme le Royaume-Uni ou l'Afrique du Sud, est de nature à justifier, notamment, un renforcement des obligations en matière de tests de dépistage ainsi que de quarantaine ou d'isolement des personnes entrant sur le territoire national, tel celui qui a été décidé par le décret du 15 janvier modifiant les dispositions mentionnées au point 8 des articles 6 et 11 du décret du 29 octobre 2020, il n'est établi ni que de telles mesures ne pourraient matériellement être appliquées aux personnes qui viennent en France pour se rapprocher de leur famille ni qu'elles seraient insuffisantes les concernant, alors qu'elles sont regardées comme telles pour l'ensemble des dérogations déjà prévues.

20. En troisième et dernier lieu, l'atteinte portée au droit à la vie familiale normale de l'ensemble des intéressés et à l'intérêt supérieur des enfants en cause perdure de manière continue depuis plus de dix mois. Même si la condition posée par la circulaire n° 6239/SG du 29 décembre 2009 pour obtenir un laissez-passer, qui tient à l'existence, sans autre précision, de " motifs impérieux " peut, à cet égard, être regardée comme remplie dans de très nombreux cas, l'absence de dérogation expresse impose aux intéressés de présenter, au cas par cas, des demandes à l'administration, laquelle attend souvent, ainsi que cela résulte de l'instruction, que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes soit saisi pour régulariser leur situation.

21. Par suite, et alors même que les dispositions du droit de l'Union citées aux points 11 à 13 ne font pas obstacle à ce que, face à une situation de pandémie, le Premier ministre restreigne provisoirement, par des mesures réglementaires justifiées par des considérations sanitaires, les entrées sur le territoire national, en particulier en provenance de pays à risque, y compris en ce qui concerne les personnes bénéficiant d'un regroupement familial ou d'une réunification familiale, le moyen tiré de ce que les prescriptions contestées ne sont pas proportionnées en tant qu'elles ne prévoient pas de dérogations pour les bénéficiaires de ces deux procédures est, en l'espèce et en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur leur légalité.

En ce qui concerne les moyens invoqués à l'encontre de l'instruction donnée par le ministre de l'intérieur de ne pas enregistrer et instruire certaines demandes de visas :

22. S'il ne résulte pas de l'instruction qu'à la différence de la situation qui a prévalu de la mi-mars à la fin novembre 2020, il serait impossible, à la date de la présente ordonnance, de procéder au pré-enregistrement en ligne, sur le site France-visas.gouv.fr, des demandes de visas au titre des procédures de réunification familiale et de regroupement familial, il ressort des écritures du ministre de l'intérieur lui-même qu'il a demandé, pour la plupart des pays, aux services compétents de ne pas délivrer, sauf dérogation accordée par l'administration centrale, de tels visas. Cette instruction, qui est susceptible de dissuader, en amont, les postes consulaires d'enregistrer les demandes, n'est justifiée, d'après ces mêmes écritures, que par le souci de ne pas exposer les demandeurs à une éventuelle caducité de leur autorisation de regroupement familial s'ils ne disposent pas d'un motif impérieux leur permettant d'entrer sur le territoire national dans un délai de trois mois. Outre que cette justification ne tient pas compte de la possibilité déjà ouverte par voie de circulaire de solliciter un nouveau visa par demande motivée, après expiration de ce délai de trois mois en cas de force majeure, le moyen tiré de ce que l'instruction précitée n'est pas proportionnée est, par voie de conséquence de ce qui a été dit aux points 18 à 21, également propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'ils invoquent, que les requérants sont fondés à demander la suspension de l'exécution, d'une part, de la circulaire du Premier ministre n° 6239/SG du 29 décembre 2020 en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations pour le regroupement familial et la réunification familiale, et d'autre part, de l'instruction donnée par le ministre de l'intérieur de ne pas délivrer les visas demandés dans le cadre de ces deux procédures. La présente décision implique seulement qu'il soit enjoint, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des personnes bénéficiant de ces mêmes procédures.

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 500 euros à verser à l'ensemble des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
------------------

Article 1er : L'exécution de la circulaire n° 6239/SG du Premier ministre du 29 décembre 2020 en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations pour les bénéficiaires d'un visa au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale ainsi que de l'instruction donnée par le ministre de l'intérieur de ne pas délivrer les visas demandés dans le cadre de ces procédures est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des personnes bénéficiant des procédures de regroupement familial et de réunification familiale.
Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 500 euros à l'ensemble des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Cimade, service oecuménique d'entraide, première requérante dénommée sous le n° 447878, à l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, première requérante dénommée sous le n°447893, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à la Défenseure des droits.