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Ariane Web: Conseil d'État 434129, lecture du 24 février 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:434129.20210224

Décision n° 434129
24 février 2021
Conseil d'État

N° 434129
ECLI:FR:CECHR:2021:434129.20210224
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Jean-Luc Prévoteau, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 24 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société France Citévision a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des retenues à la source mises à sa charge au titre des années 2009 à 2011 et de la majoration de 40 % appliquée aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2011. Par un jugement nos 1402774, 1403756 du 3 novembre 2016, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 17DA00045 du 1er juillet 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société France Citévision contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 septembre et 2 décembre 2019 et le 15 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société France Citévision demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... D..., maître des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de Mme C... A..., rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société France Citévision ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société France Citévision, opérateur de télécommunications exploitant un réseau de câbles et fibres optiques dans la ville d'Amiens, était détenue à 100 % par la société FCV BV, domiciliée aux Pays-Bas, elle-même détenue, à hauteur de 34,05 % par la société Weststar domiciliée aux îles Caïman et à hauteur de 25,74 % par la société CHV (York) et de 13,04 % par la société Citévision (York), toutes deux domiciliées aux Iles Vierges britanniques. La société a comptabilisé en charges, en 2009 et 2010, des intérêts alloués tant à la société Weststar qu'à la société FCV BV, en rémunération des avances en compte courant que ces sociétés lui avaient apportées. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2009 et 2010, étendue jusqu'au 31 décembre 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la société France Citévision a été assujettie à des rappels de prélèvements libératoires sur le fondement du III de l'article 125 A du code général des impôts ainsi qu'à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er juillet 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 3 novembre 2016, qui avait rejeté sa demande de décharge du prélèvement libératoire de l'article 125 A III du code général des impôts et de la pénalité de 40% de l'article 1729 du code général des impôts dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur les intérêts alloués à la société Weststar :

En ce qui concerne l'exonération des produits des emprunts contractés hors de France :

2. Aux termes de l'article 125 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - (...) les personnes physiques qui bénéficient d'intérêts, arrérages et produits de toute nature de fonds d'Etat, obligations, titres participatifs, bons et autres titres de créances, dépôts, cautionnements et comptes courants, peuvent opter pour leur assujettissement à un prélèvement qui libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu, lorsque la personne qui assure le paiement de ces revenus est établie en France, qu'il s'agisse ou non du débiteur, ce dernier étant établi dans un Etat membre de la Communauté européenne, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale. / La retenue à la source éventuellement opérée sur les revenus dont le débiteur est établi en France est imputée sur le prélèvement. / Celui-ci est effectué par le débiteur ou par la personne qui assure le paiement des revenus. / (...) III. - Le prélèvement est obligatoirement applicable aux revenus visés ci-dessus, dont le débiteur est établi ou domicilié en France, qui sont encaissés par des personnes n'ayant pas en France leur domicile fiscal ou leur siège social. / (...) ".

3. Aux termes de l'article 131 quater du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les produits des emprunts contractés hors de France par des personnes morales françaises (...) sont exonérés du prélèvement prévu au paragraphe III de l'article 125 A ". Il résulte de ces dispositions que des intérêts acquittés en rémunération de sommes inscrites au crédit de comptes courants d'associés domiciliés hors de France ne sont exonérés du prélèvement prévu au III de l'article 125 A qu'à la condition que ces sommes proviennent de versements effectués depuis l'étranger par ces associés, en exécution d'un contrat de prêt qui garantit à la société la disposition des sommes durant la période au titre de laquelle les intérêts sont dus.

4. La société requérante soutenait devant la cour que les intérêts versés sur le compte courant de la société Weststar venaient en rémunération d'un prêt qu'elle avait contracté avec cette société. Toutefois, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a jugé que les documents produits par la requérante n'établissaient pas l'existence d'un contrat de prêt. La cour a pu, sans erreur de droit, déduire de cette circonstance que la société requérante ne pouvait prétendre au bénéfice de l'exonération, prévue à l'article 131 quater du code général des impôts, du prélèvement forfaitaire prévu par l'article 125 A du code général des impôts.

En ce qui concerne l'invocation de la situation de trésorerie de la société France Citévision :

5. Aux termes de l'article 125 du code général des impôts : " L'impôt est dû par le seul fait, soit du paiement des intérêts, de quelque manière qu'il soit effectué, soit de leur inscription au débit ou au crédit d'un compte ". La société France Citévision soutenait devant la cour qu'au 31 décembre des années 2009 et 2010 sa situation de sa trésorerie était telle que la société Weststar ne pouvait, en fait, disposer des intérêts dont son compte courant était crédité, de sorte que cette seule inscription n'entraînait pas qu'elle dût acquitter le prélèvement prévu à l'article 125 A du code général des impôts.

6. La cour administrative d'appel a retenu que le financement des activités de la société France Citévision était principalement assuré au moyen des sommes avancées par sa mère, la société néerlandaise FCV BV, à hauteur de 20 000 000 euros pour l'exercice clos en 2009 et 23 000 000 euros pour l'exercice clos en 2010, que les capitaux propres de la société France Citévision étaient constamment négatifs sur cette période et que la société Weststar était l'actionnaire principal de la société FCV BV. La cour a pu, sans erreur de droit, déduire de ces circonstances, qu'elle a souverainement appréciées sans dénaturer les pièces du dossier, que la société requérante n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, que l'impossibilité de verser effectivement tout ou partie des intérêts dus à la société Weststar devait être regardée comme un fait indépendant de la volonté de celle-ci. En jugeant en conséquence que la somme litigieuse devait être retenue, au titre des années 2009 et 2010, pour l'assiette du prélèvement prévu à l'article 125 A du code général des impôts, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne le calcul du prélèvement :

7. Lorsque la personne qui assure le paiement des intérêts visés à l'article 125 A du code général des impôts n'a pas opéré le prélèvement prévu par cet article ou ne l'a pas versé au Trésor, le montant brut des revenus mis en paiement sur lequel doit être appliqué le prélèvement comprend, en plus des produits effectivement versés au bénéficiaire, un montant égal à l'avantage résultant pour ce dernier de ce que la somme perçue n'a pas supporté le prélèvement. Par suite et conformément à ce qui a été dit aux points 5 et 6, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a pu déduire de la circonstance que les sommes portées sur le compte courant de la société Weststar devaient être considérées comme étant à la disposition de cette société, qu'il pouvait être fait application de ces modalités de calcul du prélèvement.

Sur les intérêts alloués à la société FCV BV :

En ce qui concerne la compatibilité du 3 de l'article 119 quater du code général des impôts avec le droit de l'Union :

8. D'une part, aux termes de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Toutefois, ces stipulations relatives à la liberté d'établissement, contrairement à celles de l'article 63 du même traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, ne peuvent être utilement invoquées pour mettre en cause la compatibilité avec le droit de l'Union de dispositions de droit national relatives au paiement d'intérêts.

9. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents : " 1. Les paiements d'intérêts et de redevances échus dans un État membre sont exonérés de toute imposition, retenue à la source ou recouvrée par voie de rôle, dans cet État d'origine, lorsque le bénéficiaire des intérêts ou redevances est une société d'un autre État membre ou un établissement stable, situé dans un autre État membre, d'une société d'un État membre. / (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même directive : " 1. La présente directive ne fait pas obstacle à l'application des dispositions nationales ou des dispositions fondées sur des conventions, qui sont nécessaires pour prévenir les fraudes ou les abus. / 2. Les États membres peuvent, dans le cas d'opérations dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est la fraude ou l'évasion fiscales ou les abus, retirer le bénéfice de la présente directive ou refuser d'appliquer celle-ci ".

10. Selon l'article 119 quater du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. (...) le prélèvement prévu au III de l'article 125 A [n'est] pas applicable[ ] aux intérêts entendus, pour l'application du présent article, comme les revenus des créances de toute nature, à l'exclusion des pénalités pour paiement tardif, payés par (...) une société par actions simplifiée (...) à une personne morale qui est son associée ou à un établissement stable dépendant d'une personne morale qui est son associée. / (...) 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les revenus payés bénéficient à une personne morale ou à un établissement stable d'une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne et si la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 ".

11. Il ressort des termes mêmes des dispositions du 3 de l'article 119 quater du code général des impôts que le législateur n'a pas entendu instaurer une présomption de fraude à l'égard des bénéficiaires contrôlés par des résidents d'Etats tiers. Il appartient à l'administration, si elle estime que la chaîne de participations a comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 de cet article, d'apporter au soutien de ses affirmations des éléments suffisants pour constituer un commencement de preuve de fraude ou d'abus. Il appartient ensuite au contribuable d'opposer à l'administration tout élément qu'il estime pertinent et, enfin, au juge de l'impôt, de se prononcer au vu des éléments produits par les parties. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a jugé que les dispositions du 3 de l'article 119 quater du code général des impôts n'étaient pas incompatibles avec les objectifs de la directive 2003/49/CE.

En ce qui concerne l'application en l'espèce du 3 de l'article 119 quater du code général des impôts :

12. Pour juger que la société requérante ne pouvait prétendre, au titre des intérêts alloués à sa mère, la société néerlandaise FCV BV, au bénéfice de l'exonération du prélèvement libératoire prévu au 1 de l'article 119 quater du code général des impôts, la cour administrative d'appel a seulement relevé que l'administration faisait valoir que la société FCV BV était contrôlée par une société domiciliée aux îles Caïmans et deux sociétés domiciliées aux Iles Vierges britanniques, pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du code général des impôts. En déduisant de cette seule circonstance que l'administration fiscale apportait un commencement de preuve de fraude, alors qu'elle n'apportait, en l'état de l'instruction, aucun autre élément, relatif notamment à l'objet de l'interposition de la société mère néerlandaise dans la chaîne de participations, la cour a fait une inexacte application des règles gouvernant la charge de la preuve et commis une erreur de droit. Son arrêt doit, par suite, être annulé en tant qu'il statue sur les droits et pénalités afférents aux intérêts crédités sur le compte courant de la société FCV BV.

Sur les pénalités assortissant le rappel de taxe sur la valeur ajoutée :

13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

14. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société a été assujettie à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée de 119 578 euros au titre de l'exercice 2011, assorti de la majoration de 40 % pour manquement délibéré. La cour administrative d'appel a relevé, sur la période allant sur 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, une insuffisance déclarative en matière de TVA, représentant près de 11,5 % du chiffre d'affaires soumis à la taxe au taux de 19,6 %, et plus de 8 % du chiffre d'affaires soumis à la taxe au taux de 5,5 %. La cour a également relevé que la société avait procédé, en janvier 2011, à la régularisation d'insuffisances déclaratives de TVA pour 2008, 2009 et 2010, pour un montant total de 694 163 euros. C'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique que la cour a jugé qu'eu égard au caractère important et répété des insuffisances déclaratives relevées, l'administration apportait la preuve, qui lui incombait, du caractère délibéré des manquements en cause, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les déclarations rectificatives auraient été faites spontanément avant toute procédure de contrôle.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société France Citévision n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque qu'en tant qu'il statue sur les droits et pénalités afférents aux intérêts crédités sur le compte courant de la société FCV BV.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 1er juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il statue sur les droits et pénalités afférents aux intérêts crédités sur le compte courant de la société FCV BV.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera à la société France Citévision une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société France Citévision et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


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