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Ariane Web: Conseil d'État 450122, lecture du 17 mars 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:450122.20210317

Décision n° 450122
17 mars 2021
Conseil d'État

N° 450122
ECLI:FR:CEORD:2021:450122.20210317
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du mercredi 17 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

I. Sous le numéro 450122, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 février et 11 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AC... M..., Mme A... Y..., M. I... G..., M. S... W..., Mme N... T..., M. AB..., Mme AD... X..., M. B... X..., Mme Z..., M. AA..., M. J... V..., M. C... U..., M. K... P..., M. R... D..., Mme E... L..., M. H... Q... et M. F... O... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire n° 6245/SG du 25 janvier 2021 du Premier ministre relative aux mesures frontalières mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour les familles de ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " et qu'elle suspend la délivrance de visas à celles-ci ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre, dans l'attente d'une décision au fond, d'autoriser la délivrance aux familles des requérants des visas et autorisations d'entrer sur le territoire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à venir ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre une nouvelle circulaire mettant fin aux illégalités constatées ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête ;
- leur requête est recevable dès lors que, en premier lieu, un recours au fond a été déposé de manière concomitante, en deuxième lieu, la circulaire contestée, qui fait grief, est de nature règlementaire et, en dernier lieu, elle a été déposée, de même que le recours au fond, dans le délai de recours contentieux ;
- la fin de non-recevoir soulevée en défense devra être écartée, à titre principal, en ce que leur requête en référé n'est pas devenue sans objet dès lors que, en premier lieu, la circulaire contestée a produit des effets juridiques, en deuxième lieu, la circulaire 6248/SG du 22 février 2021, qui l'a abrogé, n'est pas devenue définitive, en troisième lieu, la décision attaquée est la décision générale et absolue d'exclure les familles de scientifiques chercheurs algériens de la possibilité d'entrer en France, laquelle n'est pas mentionnée dans la circulaire contestée mais révélée par cette dernière, et, en quatrième lieu, la circulaire du 22 février 2021 ne change rien sur leur situation, cette dernière étant purement confirmative et, à titre subsidiaire, leurs conclusions devront être requalifiées comme contestant la circulaire du 22 février 2021 ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux troubles dans les conditions d'existence qu'ils subissent dès lors qu'ils sont privés de la possibilité d'être avec leurs familles en France depuis près d'un an, alors même, d'une part, que l'admission au séjour est en principe de plein droit pour les familles des scientifiques chercheurs algériens en France pour effectuer des travaux de recherche ou d'enseignement, et d'autre part, que tous les scientifiques d'autres nationalités peuvent être rejoints par leurs familles, ainsi que tous les bénéficiaires du regroupement familial et de la réunification, en deuxième lieu, à la situation de grande fragilité économique, administrative et psychologique dans laquelle se trouve leurs familles, dont certains conjoints souffrent d'un état dépressif sévère avec un risque de passage à l'acte suicidaire, en troisième lieu, à leurs enfants qui grandissent en Algérie sans leurs deux parents et sans savoir quand ils pourront les revoir, et, en quatrième lieu, à l'atteinte portée au principe d'égalité et de non-discrimination, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et à son droit à entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec leurs parents dont l'intérêt public commande qu'il y soit mis un terme immédiatement ;
- aucun intérêt public ne s'oppose à la suspension de la circulaire contestée dès lors que, en premier lieu, ils sont en France afin de travailler, d'enseigner et d'effectuer des travaux de recherches pour le compte de la France et donc de contribuer à son rayonnement, en deuxième lieu, les motifs sanitaires ne peuvent justifier l'exclusion d'une catégorie infime de ressortissants étrangers, exclusivement algériens, scientifiques et chercheurs, tandis que d'autres ressortissants algériens, notamment bénéficiaires du regroupement familial, peuvent être autorisés à entrer sur le territoire, en troisième lieu, le flux de population concerné est minime, et, en quatrième lieu, l'entrée sur le territoire peut être conditionnée à des mesures sanitaires strictes comme l'exigence d'un test négatif ou une mesure d'isolement ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle est entachée d'un vice d'illégalité externe dès lors qu'elle n'a pas été régulièrement publiée, en méconnaissance des articles L. 312-2 et R. 312-3-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que, en premier lieu, les requérants sont séparés de leurs familles depuis de nombreux mois en raison de la fermeture des frontières extérieures et de l'absence de dérogation pour les familles de scientifiques chercheurs algériens, en deuxième lieu, les chercheurs scientifiques de toutes les autres nationalités sont autorisés à faire venir leurs familles, quelle que soit la situation sanitaire de leur pays d'origine, en troisième lieu, les requérants et leurs familles se trouvent dans une situation de précarité économique, administrative et affective, et, en quatrième lieu, la possibilité d'obtenir un laisser-passer en cas de motif impérieux est insuffisante dès lors qu'elle implique d'effectuer un recours contentieux auprès du juge des référés de Nantes ;
- elle méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant, dès lors qu'ils ont des enfants en bas-âge qui grandissent sans un de leur parent à un âge où la présence de leurs parents est essentielle ;
- elle instaure une discrimination injustifiée entre, d'une part, les ressortissants algériens scientifiques chercheurs, et, d'autre part, les chercheurs de toutes les autres nationalités, en ce qu'elle exclue uniquement les familles de scientifiques algériens, tout en autorisant les familles de scientifiques de toutes les autres nationalités à entrer sur le territoire ;
- cette discrimination persiste après l'adoption de la circulaire 6248/SG du 22 février 2021 ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors, d'une part, qu'elle fixe, dans le silence des textes, une règle nouvelle illégale, et, d'autre part, qu'elle n'est pas conforme à la recommandation (UE) 2020/912 du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et la possible levée de cette restriction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable en ce qu'elle est dépourvue d'objet du fait de l'adoption de la circulaire du 22 février 2021 n° 6248/SG relative aux mesures frontalières mises en oeuvre dans l'état d'urgence sanitaire, laquelle a eu pour effet d'abroger la circulaire attaquée, et, à titre subsidiaire, à supposer que les conclusions de la requêtes soient regardées comme étant dirigées contre la circulaire susvisée du 22 février 2021, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.

La Défenseure des droits a produit des observations, enregistrées le 10 mars 2021.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 12 mars 2021, l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), le Groupe d'information et de soutien des immigrées (GISTI), la Ligue des Droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France concluent à ce qu'il soit fait droit à la requête des requérants. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas formulé d'observations.


II. Sous le numéro 450523, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 mars 2021, M. AC... M..., Mme A... Y..., M. I... G..., M. S... W..., Mme N... T..., M. AB..., Mme AD... X..., M. B... X..., Mme Z..., M. AA..., M. J... V..., M. C... U..., M. K... P..., M. R... D..., Mme E... L..., M. H... Q... et M. F... O... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre la décision de maintien d'exclusion des familles des ressortissants algériens " scientifiques chercheurs " du dispositif de dérogations d'entrée sur le territoire français révélée par la circulaire 6248/SG du 22 février 2021 du Premier ministre ayant pour objet les mesures frontalières mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'autoriser la délivrance aux familles des requérants des visas et autorisations d'entrer sur le territoire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à venir, ou, à tout le moins, de prévoir des dérogations d'entrée pour cette catégorie de population ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de leur requête eu égard au caractère réglementaire de la circulaire contestée ;
- ils justifient d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, aux troubles dans les conditions d'existence subis par leurs conjoints et familles qui doivent rester séparés depuis plus d'un an, et, d'autre part, à la situation de grande précarité économique, administrative et psychologique qui en résulte, certains conjoints souffrant d'un état dépressif sévère avec un risque de passage à l'acte suicidaire, ce qui risque d'avoir des conséquences grave sur le développement et l'épanouissement de leur enfant ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de mener une vie familiale normale, à l'intérêt supérieur de l'enfant et à la liberté d'aller et venir ;
- la circulaire contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales en ce qu'elle a restreint la liste des personnes autorisées à entrer sur le territoire, en supprimant notamment la possibilité pour les familles titulaires de " Passeport Talent ", tout en maintenant le refus sur le territoire aux familles de ressortissants algériens scientifiques chercheurs ;
- la circulaire contestée méconnaît le droit à mener une vie familiale normale dès lors que les requérants sont séparés de leurs familles depuis de nombreux mois en raison de la fermeture des frontières extérieures et de l'absence de dérogation pour les familles des scientifiques chercheurs algériens ;
- la circulaire contestée méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors que les requérants sont séparés de leurs enfants et ne peuvent participer à leur éducation ;
- la mesure contestée est disproportionnée au regard du but poursuivi de limitation de la propagation du virus dès lors que, en premier lieu, le flux de personnes concernées, bien inférieur au nombre de bénéficiaires du regroupement familial et de la réunification familiale, est minime, en deuxième lieu, le nombre de cas de contamination diminue en Algérie et reste moindre par rapport à la France, l'Algérie ne faisant pas parties des Etats les plus touchés par le nouveau variant de Covid-19, et, en troisième lieu, des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales invoquées peuvent être prises telles que l'obligation de présenter un test PCR négatif de moins de 72h, de respecter une quarantaine et un isolement à l'arrivée sur le territoire français et de présenter un test négatif à l'issue de cette période d'isolement ;
- la circulaire contestée méconnaît le droit de l'Union européenne dès lors qu'elle n'est pas conforme à la recommandation (UE) 2020/912 du 30 juin 2020 concernant la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE et la possible levée de cette restriction.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas formulé d'observations.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;
- la loi n°°2021-160 du 15 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les requérants, l'ADDE, l'ANAFE, le GISTI, la Ligue des Droits de l'Homme, le Syndicat des avocats de France, la Défenseure des droits, et, d'autre part, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus à l'audience publique du 12 mars 2021, à 15 heures :

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;

- le représentant des requérants ;

- M. X... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été différée au lundi 15 mars à 18 heures.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 mars 2020, après la clôture de l'instruction, présentée par le ministre de l'intérieur ;


Considérant ce qui suit :

1. Par la première requête, présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, M. M... et autres demandent la suspension de l'exécution de la circulaire du Premier ministre n° 6245/SG du 25 janvier 2021 ayant pour objet les mesures frontalières mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire puis de la circulaire n° 6248/SG du 22 février 2021 qui l'a remplacée en tant qu'elles font obstacle à ce que les membres de la famille des ressortissants algériens résidant en France titulaires d'un certificat de résidence " scientifique " puissent, à ce titre, venir les rejoindre en France. Par la seconde requête, les mêmes requérants demandent la suspension de l'exécution de la circulaire du 22 février 2021 pour les mêmes raisons, sur le fondement cette fois de l'article L. 521-2 du même code. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

Sur le référé suspension :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

En ce qui concerne les interventions :

3. L'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), l'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), le Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s (GISTI), la Ligue des Droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France justifient d'un intérêt suffisant au soutien de la requête. Leurs interventions sont donc recevables.

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...). / II.- (...) La liste des zones de circulation de l'infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. / (...) ". Ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. "

5. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit les autorités compétentes à prendre diverses mesures destinées à réduire les risques de contagion. Une nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire modifié par la loi du 15 février 2021 a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire et le ministre chargé de la santé a pris, le 10 juillet 2020, en application de ces dispositions, un arrêté identifiant les zones de circulation de l'infection du virus SARS-CoV-2 dont l'article 1er dispose que " Pour l'application du II de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, (...) constituent une zone de circulation de l'infection du virus SARS-CoV-2 l'ensemble des pays du monde à l'exception, pour la France, des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution. "

6. Par la circulaire du 25 janvier 2021, abrogeant celle du 29 décembre 2020, le Premier ministre a fixé les catégories de personnes qui, par exception, bien que provenant d'un pays dans lequel le virus est regardé comme circulant, peuvent être admises à entrer en France, parmi lesquelles " le ressortissant de pays tiers disposant d'un visa de long séjour (VLS) " passeport Talent " ou d'un VLS " salarié détaché ICT " ainsi que son conjoint et ses enfants " institué par l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par la circulaire du 22 février 2021, abrogeant et remplaçant celle du 25 janvier 2021, les mots " ainsi que son conjoint et ses enfants " ont été supprimés.

En ce qui concerne la demande en référé :

7. Les requérants, ressortissants algériens bénéficiant d'un certificat de résidence en France portant la mention " scientifique " délivré conformément aux stipulations du f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ont vu l'accès au territoire français de leurs conjoint et enfants être refusé faute d'être titulaires d'un " passeport Talent ", alors que les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France, font obstacle à ce qu'ils puissent être titulaires d'un " passeport Talent " puisque les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment celles de l'article L. 313-20 relatives au " passeport Talent ", ne leur sont pas applicables. Ils soutiennent que, faute d'avoir prévu spécifiquement leur situation, la circulaire du 25 janvier 2021, comme celles qui l'avaient précédée, ainsi que la circulaire du 22 février 2021 sont entachées d'une illégalité.

En ce qui concerne la condition d'urgence :

8. Pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.

9. Il résulte de l'instruction que, depuis le mois de mars 2020, les services consulaires français refusent de délivrer des visas aux conjoints et enfants des ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence " scientifique ", à la différence de ce qui est pratiqué pour les conjoints et enfants des scientifiques d'autres nationalités titulaires d'un visa " passeport Talent ". Par suite et eu égard aux troubles dans les conditions d'existence subies par les conjoints et les familles qui doivent rester séparées depuis désormais de nombreux mois les requérants sont fondés à soutenir que la condition d'urgence est remplie.

En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées :

10. Il résulte de l'instruction, et notamment des déclarations des représentants du ministre de l'intérieur lors de l'audience publique, que si l'administration soutient qu'elle n'a pas eu l'intention d'interdire tout accès au territoire français aux ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence portant la mention " scientifique " en application de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et à leurs conjoint et enfants, l'absence dans la circulaire du 25 janvier 2021, comme dans celles qui l'ont précédée, ainsi que dans celle du 22 février 2021, de toute référence à la situation de ces ressortissants a bien eu cet effet. En outre, il ne résulte pas de l'instruction et n'est même pas soutenu par l'administration ni que l'interdiction d'accéder au territoire français dont ont, en pratique, fait l'objet les ressortissants algériens conjoints ou enfants mineurs d'un Algérien titulaire d'un certificat de résidence " scientifique " serait justifiée par des motifs sanitaires propres à la situation de l'épidémie en Algérie ni qu'elle concernerait des flux importants de personnes. Si la circulaire du 22 février 2021 a supprimé la possibilité pour le conjoint et les enfants d'un ressortissant étranger autre qu'Algérien titulaire d'un visa " passeport Talent " de rejoindre également le territoire français eu égard au contexte sanitaire prévalant dans certains pays, il résulte aussi de l'instruction, et notamment des déclarations des représentants du ministre de l'intérieur lors de l'audience publique, que cette restriction, dont il n'est pas contesté qu'elle ne concerne que moins de 6 000 personnes pour toute l'année 2020, soit une quinzaine de personnes par jour, est temporaire et que la nouvelle circulaire en préparation, dont le principe a été annoncé publiquement le 11 mars dernier, devrait à nouveau permettre au conjoint et enfants d'un titulaire d'un visa " passeport Talent " de rejoindre le territoire français.

11. Dans ces conditions, et alors même que les dispositions applicables ne font pas obstacle à ce que, face à une situation de pandémie, le Premier ministre restreigne provisoirement, par des mesures réglementaires justifiées par des considérations sanitaires, les entrées sur le territoire national, en particulier en provenance de pays à risque, y compris en ce qui concerne les conjoints et les enfants d'étrangers bénéficiant d'un titre de séjour donnant en principe un droit au séjour en France, le moyen tiré de ce que les prescriptions contestées ne sont pas proportionnées en tant qu'elles ne prévoient aucune dérogation pour les ressortissants algériens titulaire d'un certificat de résidence " scientifique " ou membres de la famille d'un de ces titulaires est, en l'espèce et en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur leur légalité. La présente décision implique seulement qu'il soit enjoint, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des ressortissants algériens bénéficiant du certificat de résidence " scientifique " et des membres de leur famille ayant à ce titre le droit de séjourner en France.

Sur le référé liberté :

12. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

13. Compte tenu de la suspension prononcée au point 11 de la présente décision, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées sous le n° 450523 qui présentent le même objet.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous les deux numéros :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 5 000 euros à verser à l'ensemble des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), le Groupe d'information et de soutien des immigrées (GISTI), la Ligue des Droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France sont admises.

Article 2 : L'exécution de la circulaire du Premier ministre n° 6248/SG du 22 février 2021 est suspendue en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogations pour les ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence " scientifique " délivré en application du f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et des membres de leur famille ayant à ce titre droit au séjour sur le territoire français à ce titre est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l'entrée en France des ressortissants algériens bénéficiant du certificat de résidence " scientifique " et des membres de leur famille ayant à ce titre le droit de séjourner en France.

Article 4 : L'Etat versera une somme globale de 5 000 euros aux requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de la requête n° 450122 est rejeté.

Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 450523.
Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à M. AC... M..., Mme A... Y..., M. I... G..., M. S... W..., Mme N... T..., M. AB..., Mme AD... X..., M. B... X..., Mme Z..., M. AA..., M. J... V..., M. C... U..., M. K... P..., M. R... D..., Mme E... L..., M. H... Q... et M. F... O..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la Défenseure des droits, à l'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, au Groupe d'information et de soutien des immigrées, à la Ligue des Droits de L'Homme et au Syndicat des avocats de France.