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Ariane Web: Conseil d'État 445083, lecture du 22 mars 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:445083.20210322

Décision n° 445083
22 mars 2021
Conseil d'État

N° 445083
ECLI:FR:CECHR:2021:445083.20210322
Inédit au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Edouard Solier, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP MELKA - PRIGENT, avocats


Lecture du lundi 22 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune de La Balme de Sillingy. Par un jugement n° 2001840 du 15 septembre 2020, le tribunal administratif a annulé ces opérations électorales.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 octobre et 26 novembre 2020 et le 1er février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner la production du registre des procurations établies entre le mois de janvier et le 14 mars 2020 ;

2°) d'annuler ce jugement ;

3°) de rejeter la protestation de M. A....




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;
- la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka - Prigent, avocat de M. A... ;


Considérant ce qui suit :

1. À l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de La Balme de Sillingy (Haute-Savoie), les vingt-neuf sièges de conseillers municipaux et les neuf sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. Vingt-deux des sièges de conseillers municipaux et sept des sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Un coeur qui Balme " conduite par Mme B..., qui a obtenu 723 voix, soit 52,2% des suffrages exprimés, tandis que les sept autres sièges de conseillers municipaux ainsi que les deux autres sièges de conseillers communautaires ont été attribués à des candidats de la liste " Vivre et agir à Balme " conduite par M. A..., maire sortant, qui a obtenu 662 voix, soit 47,8 % des suffrages exprimés. Mme B... relève appel du jugement du 15 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces opérations électorales.

2. D'une part, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de coronavirus covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.

3. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

4. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ". Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. (...) ".

5. Ni par ces dispositions ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal et au conseil communautaire à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 72 du code électoral : " Sur le territoire national, les procurations sont établies au moyen de l'un des formulaires administratifs prévus à cet effet, présenté par le mandant au juge du tribunal judiciaire de sa résidence ou de son lieu de travail, ou au juge qui en exerce les fonctions ou au directeur de greffe de ce tribunal, ou à tout officier ou agent de police judiciaire, autre que les maires et leurs adjoints, tout réserviste au titre de la réserve civile de la police nationale ou au titre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, ayant la qualité d'agent de police judiciaire, que ce juge aura désigné. A la demande de ce magistrat, le premier président de la cour d'appel peut désigner, en outre, d'autres magistrats ou d'autres directeurs des services de greffe judiciaires, en activité ou à la retraite. / Les officiers et agents de police judiciaire compétents pour établir les procurations, ou les délégués des officiers de police judiciaire, se déplacent à la demande des personnes qui, en raison de maladies ou d'infirmités graves, ne peuvent manifestement comparaître devant eux. (...) ".

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des éléments produits devant le Conseil d'Etat en appel, que, contrairement à ce que soutient M. A..., la situation sanitaire n'a pas fait obstacle à l'établissement de procurations au bénéfice des électeurs de la Balme de Sillingy, et qu'en particulier, d'une part, la gendarmerie de La Balme de Sillingy a été ouverte au public aux horaires habituels pendant la première quinzaine du mois de mars, à l'exception de trois jours de fermeture pour les besoins du service, d'autre part, au moins onze procurations ont été établies en d'autres lieux que la gendarmerie, dont cinq au domicile des électeurs, deux dans l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Sillingy et quatre au centre hospitalier d'Annecy-Genevois.

8. En second lieu, si le taux d'abstention s'est élevé à 60,37 % dans la commune de La Balme de Sillingy et si M. A... fait valoir les circonstances particulières, en termes de contaminations par le virus de covid-19, ayant affecté la commune dans la période précédant le scrutin, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats lors du scrutin. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constaté ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la production du registre des procurations établies entre le mois de janvier et le 14 mars 2020, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions du code électoral relatives à l'établissement des procurations et le niveau élevé de l'abstention pour annuler les opérations électorales qui se sont déroulées dans la commune de La Balme de Sillingy.

10. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres griefs soulevés par M. A... dans sa protestation devant le tribunal administratif de Grenoble.

11. Il résulte de l'instruction qu'après la découverte d'un premier cas de contamination par le virus de covid-19 dans la commune de La Balme de Sillingy à la fin du mois de février 2020, le maire de La Balme de Sillingy a décidé, par arrêté du 28 février, la fermeture de l'ensemble des services municipaux et du marché dominical. M. A..., également contaminé, a été hospitalisé du 29 février au 6 mars puis a observé une quarantaine à son domicile jusqu'au 14 mars. Huit autres de ses colistiers ont également, après avoir été hospitalisés, observé une quarantaine pour les mêmes motifs. D'autres colistiers ont attesté, sans avoir contracté le virus, avoir observé une quarantaine par précaution.

12. En premier lieu, M. A... soutient que ces circonstances ont empêché la liste " Vivre et agir à Balme " de mener campagne dans des conditions normales pendant les deux semaines précédant le scrutin, et qu'il a ainsi été porté atteinte à l'égalité des candidats. Toutefois, il ne peut être déduit de ces circonstances fortuites une rupture d'égalité de nature à altérer la sincérité du scrutin. Ce grief doit, par suite, être écarté. Il résulte, au surplus, de l'instruction que M. A... et les membres de la liste " Vivre et agir à La Balme " ont lancé leur campagne, le 1er février 2020, avant l'entrée en campagne de Mme B... et ont ainsi disposé d'au moins un mois pour faire valoir leurs arguments. En outre, dans un message publié le 3 mars 2020 sur sa page personnelle du réseau social " Facebook ", M. A... a indiqué sa volonté ainsi que celle des membres de sa liste de reprendre leur campagne et annoncé la distribution de deux tracts, l'un dressant un bilan de son action à la mairie, l'autre présentant le programme de sa liste pour la prochaine mandature.

13. En second lieu, si M. A... fait valoir que son état de santé et celui des membres de sa liste a fait l'objet de commentaires déplacés sur le réseau social " Facebook ", dans le cadre d'échanges entre des soutiens de la liste " Un coeur qui Balme ", et que sur ce même réseau social, un électeur a critiqué " la communication alarmiste " sur la situation sanitaire de la commune, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... ou ses colistiers auraient été dans l'incapacité de répondre en temps utile à ces propos, dont l'ampleur de la diffusion et le caractère diffamatoire ne sont d'ailleurs pas établis. Dans ces circonstances, ces publications, qui n'excèdent pas les limites de la polémique électorale, n'ont pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

14. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la protestation, opposée par Mme B..., celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de La Balme de Sillingy.

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... la somme demandée en première instance par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 septembre 2020 est annulé.
Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune de La Balme de Sillingy sont validées.
Article 3 : La protestation de M. A... est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme B... et par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme D... B..., à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.