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Ariane Web: Conseil d'État 450406, lecture du 24 mars 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:450406.20210324

Décision n° 450406
24 mars 2021
Conseil d'État

N° 450406
ECLI:FR:CEORD:2021:450406.20210324
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 24 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

I. Sous le n° 450406, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le Cercle droit et liberté, M. J... F..., M. I... C..., Mme H... D..., Mme L... K... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret 2021-296 du 19 mars 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les restrictions de déplacement imposées entre 6 heures et 18 heures ainsi que le week-end pour certains départements, préjudicient gravement aux libertés publiques et individuelles dont ils sont titulaires et défendent les intérêts ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux ;
- les dispositions contestées ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux risques encourus dès lors que, d'une part, les interdictions doivent s'apprécier au regard de leurs effets sur le risque sanitaire que le gouvernement cherche à prévenir et qui réside, non pas dans le nombre de contamination, mais dans la saturation hospitalière et le nombre quotidien de décès et, d'autre part, les recommandations prescrites aux résidents des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) d'éviter les sorties ont été jugées disproportionnées à l'objectif de prévention de la diffusion du virus, alors que ces mesures sont juridiquement moins contraignantes que celles qui sont ici contestées et que ces résidents, vaccinés ou non, représentent un risque d'hospitalisation plus important que les personnes actives, qui sont les principaux concernés par les mesures litigieuses ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir dès lors que, en premier lieu, d'autres mesures alternatives, moins liberticides et aussi efficaces, peuvent être envisagées pour éviter la saturation hospitalière, en deuxième lieu, l'instauration d'un couvre-feu à 18 heures en semaine n'a aucun impact positif sur la situation sanitaire selon les affirmations du ministre des solidarités et de la santé, en dernier lieu, cette mesure est même inutile, voire contre-productive, puisqu'elle entraîne une augmentation de la fréquentation des lieux ouverts aux publics avant 18 heures et contribue en conséquence à la dissémination du coronavirus ;
- elles méconnaissent le principe d'égalité en traitant différemment et sans justification les citoyens, d'une part, en ce qu'elles autorisent les déplacements brefs, dans un rayon d'un kilomètre autour du domicile pour les besoins des animaux de compagnie, favorisant ainsi les propriétaires de ces animaux par rapport au reste de la population et, d'autre part, en ce qu'elles imposent aux personnes actives de rester assignées à résidence durant leur temps libre puisqu'elles sont, contrairement aux personnes retraitées ou en recherche d'emploi, contraintes de travailler au lieu imposé par l'employeur durant les heures autorisées de sortie ;
- elles portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et au principe de non-discrimination, en méconnaissance des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que, d'une part, elles limitent les interactions sociales et, d'autre part, elles affectent principalement les personnes actives, soit les personnes âgées de moins de soixante ans et, ce faisant, entraîne une discrimination indirecte en raison de l'âge.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 et 22 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.


II. Sous le n° 450407, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le Cercle droit et liberté, M. J... F..., M. I... C..., Mme H... D..., Mme L... K... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, tel que modifié en dernier lieu par le décret 2021-296 du 19 mars 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, les dispositions contestées imposent une assignation à résidence d'une durée de 12 heures, ainsi qu'un confinement les samedis et dimanches pour une partie de la population, assorties de sanctions en cas de méconnaissance et, d'autre part, l'urgence à statuer a déjà été reconnue s'agissant d'une recommandation faite aux résidents des EHPAD de ne pas sortir de ces établissements alors que cette mesure n'était ni juridiquement contraignante ni destinée à une part importante de la population ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales, pour les mêmes raisons que celles exposées dans la requête n° 450406.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 et 22 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.


III. Sous le n° 450409, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 dans sa version applicable depuis le 21 janvier 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'avis du 8 janvier 2021 du conseil scientifique Covid-19.


Il soutient que :
- sa requête est recevable et il justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les dispositions contestées portent une atteinte grave et immédiate à ses intérêts privés ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité, d'une part, de l'avis du conseil scientifique du 8 janvier 2021 lequel légitime la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et, d'autre part, les dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié ;
- l'avis rendu le 8 janvier 2021 est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il méconnaît, d'une part, le principe de publicité mentionné à l'article L. 1451-1-1 du code de la santé publique alors même que le conseil scientifique, chargé d'une mission d'expertise, doit être soumis aux dispositions relatives à la transparence des liens d'intérêts issues de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et, d'autre part les dispositions de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- le décret litigieux est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il prive le public d'une garantie d'information et méconnaît le principe de transparence dès lors qu'il n'a pas été pris sur le rapport du ministre chargé de la santé comme le prévoit l'article L. 3131-13 du code de la santé publique ;
- l'avis du conseil scientifique est entaché d'illégalité dès lors que, en premier lieu, l'analyse scientifique et statistique sur laquelle il se fonde ne permet pas de déterminer un référentiel pertinent pour apprécier l'existence d'une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et, de surcroît, aucune définition technique et scientifique d'une telle catastrophe n'existe, en deuxième lieu, il ne permet pas une mise balance efficace des bénéfices sanitaires escomptés et des risques psychosociaux, en troisième lieu, les mesures contestées ne sont pas strictement proportionnées aux risques encourus ni appropriées aux circonstances de temps et de lieu et, en dernier lieu, des mesures plus adéquates pourraient être envisagées afin de lutter contre la propagation du virus ;
- les dispositions de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 méconnaissent la liberté de réunion, la liberté d'aller et venir ainsi que la liberté individuelle ;
- elles méconnaissent les articles 35 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elles ne sont pas nécessaires, appropriées et proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.


IV. Sous le n° 450412, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 19 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. G... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de prescrire une enquête sur les faits conformément à l'article R. 623-1 du code de justice administrative ;

2°) d'ordonner la suspension de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 dans sa version applicable depuis le 21 janvier 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

3°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'avis du 8 janvier 2021 du conseil scientifique Covid-19.


Il soutient que :
- sa requête est recevable et il justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les dispositions contestées portent une atteinte grave et immédiate à ses intérêts privés ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité, d'une part, de l'avis du conseil scientifique du 8 janvier 2021 lequel légitime la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et, d'autre part, des dispositions de l'article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié ;
- l'avis rendu le 8 janvier 2021 est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il méconnaît, d'une part, le principe de publicité mentionné à l'article L. 1451-1-1 du code de la santé publique alors même que le conseil scientifique, chargé d'une mission d'expertise, doit être soumis aux dispositions relatives à la transparence des liens d'intérêts issues de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et, d'autre part, les dispositions de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- le décret litigieux est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il prive le public d'une garantie d'information et méconnaît le principe de transparence dès lors qu'il n'a pas été pris sur le rapport du ministre chargé de la santé comme le prévoit l'article L. 3131-13 du code de la santé publique ;
- l'avis du conseil scientifique est entaché d'illégalité dès lors que, en premier lieu, l'analyse scientifique et statistique sur laquelle il se fonde ne permet pas de déterminer un référentiel pertinent pour apprécier l'existence d'une catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et, de surcroît, aucune définition technique et scientifique d'une telle catastrophe n'existe, en deuxième lieu, il ne permet pas une mise balance efficace des bénéfices sanitaires escomptés et des risques psychosociaux, en troisième lieu, les mesures contestées ne sont pas strictement proportionnées aux risques encourus ni appropriées aux circonstances de temps et de lieu et, en dernier lieu, des mesures plus adéquates pourraient être envisagées afin de lutter contre la propagation du virus ;
- les dispositions de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 méconnaissent la liberté de réunion, la liberté d'aller et venir ainsi que la liberté individuelle ;
- elles méconnaissent les articles 35 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elles ne sont pas nécessaires, appropriées et proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, modifié ;
- le décret 2021-296 du 19 mars 2021
- le code de justice administrative ;



Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 22 mars 2021 à 12 heures.


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour trois d'entre elles, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, pour l'autre, sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code, tendent à la suspension de l'exécution des mêmes dispositions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'avis du comité de scientifiques du 8 janvier 2021 :

3. Aux termes de l'article L. 3131-19 du code de la santé publique : " En cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du Président de la République. Ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret. Le comité rend périodiquement des avis sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. Dès leur adoption, ces avis sont communiqués simultanément au Premier ministre, au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat par le président du comité. Ils sont rendus publics sans délai. Le comité est dissous lorsque prend fin l'état d'urgence sanitaire. (...) "

4. Il résulte de ces dispositions que les avis formulés par le conseil des scientifiques, qui n'ont pour objet que d'éclairer les autorités qui en sont destinataires sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, sans s'imposer à elles, et qui ne sont pas susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes, ne sont pas susceptibles d'être déférés au juge de l'excès de pouvoir. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que les conclusions de MM. B... et A... tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de l'avis du comité de scientifiques du 8 janvier 2021 sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, modifié :

En ce qui concerne le cadre juridique :

5. La nouvelle progression de l'épidémie de covid-19 à l'automne 2020 en France a conduit le Président de la République à déclarer, par décret du 14 octobre 2020 pris sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 et l'article 2 de la loi du 15 février 2021 ont prorogé cet état d'urgence respectivement jusqu'au 16 février 2021, puis jusqu'au 1er juin 2021. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, dont la dernière modification antérieure aux requêtes susvisées résulte d'un décret n° 2021-248 du 4 mars 2021.

6. En particulier, l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, dans sa rédaction issue de ce décret du 4 mars 2021, prévoyait que " I. - Tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit entre 18 heures et 6 heures du matin à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes : 1° Déplacements à destination ou en provenance : a) Du lieu d'exercice ou de recherche d'une activité professionnelle et déplacements professionnels ne pouvant être différés ; b) Des établissements ou services d'accueil de mineurs, d'enseignement ou de formation pour adultes mentionnés aux articles 32 à 35 du présent décret ; c) Du lieu d'organisation d'un examen ou d'un concours ; 2° Déplacements pour des consultations, examens, actes de prévention et soins ne pouvant être assurés à distance ou pour l'achat de produits de santé ; 3° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance aux personnes vulnérables ou précaires ou pour la garde d'enfants ; 4° Déplacements des personnes en situation de handicap et, le cas échéant, de leur accompagnant ; 5° Déplacements pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ou pour se rendre chez un professionnel du droit pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ; 6° Déplacements pour participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative ; 7° Déplacements liés à des transferts ou transits vers ou depuis des gares ou aéroports dans le cadre de déplacements de longue distance ; 8° Déplacements brefs, dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile pour les besoins des animaux de compagnie. II.- Dans les départements mentionnés à l'annexe 2, le préfet de département interdit, dans les zones qu'il définit, aux seules fins de lutter contre la propagation du virus, tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence les samedi et dimanche entre 6 heures et 18 heures à l'exception des déplacements pour les motifs mentionnés au I et les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes : 1° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle, des achats de première nécessité, des retraits de commandes, des livraisons à domicile, ainsi que pour les déménagements ; 2° Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal de cinq kilomètres autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile ; 3° Déplacements pour se rendre dans un service public, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ; 4° Déplacements à destination ou en provenance d'un lieu de culte ; 5° Participation à des rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public qui ne sont pas interdits en application de l'article 3. (...) ".

7. Ces dispositions ont été modifiées postérieurement à l'introduction des requêtes en référé tendant à leur suspension par un décret du 19 mars 2021 qui, d'une part a fixé à 19 heures la période d'interdiction des déplacements prévue au I de l'article 4 cité au point précédent, d'autre part a remplacé le II de cet article par les dispositions suivantes : " II. - Dans les départements mentionnés à l'annexe 2, tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit entre 6 heures et 19 heures à l'exception des déplacements pour les motifs mentionnés au I et les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes : 1° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle ou pour des livraisons à domicile ; 2° Déplacements pour effectuer des achats de première nécessité ou des retraits de commandes ; 3° Déplacements liés à un déménagement résultant d'un changement de domicile et déplacements indispensables à l'acquisition ou à la location d'une résidence principale, insusceptibles d'être différés ; 4° Déplacements, dans un rayon maximal de dix kilomètres autour du domicile, liés soit à la promenade, soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective ; 5° Déplacements pour se rendre dans un service public, pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance ; 6° Déplacements à destination ou en provenance d'un lieu de culte ; 7° Participation à des rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public qui ne sont pas interdits en application de l'article 3. II bis. - Dans les départements mentionnés à l'annexe 2, tout déplacement de personne la conduisant à sortir à la fois d'un périmètre défini par un rayon de 30 kilomètres autour de son lieu de résidence et du département dans lequel ce dernier est situé est interdit. L'alinéa précédent ne s'applique pas aux déplacements mentionnés aux 1° à 6° du I et aux 1°, 3° et 7° du II, ainsi qu'aux déplacements mentionnés à l'article 56-5 dans les conditions prévues à cet article. Les personnes résidant dans les départements autres que ceux mentionnés à l'annexe 2 ne peuvent se rendre dans les départements mentionnés à cette annexe au-delà d'un périmètre défini par un rayon de 30 kilomètres autour de leur lieu de résidence. L'alinéa précédent ne s'applique pas aux déplacements mentionnés aux 1° à 6° du I et aux 1°, 3° et 7° du II, ainsi qu'aux déplacements de longue distance conduisant seulement à un transit par ces départements. " Ces dispositions se substituant à celles dont la suspension est demandée et ayant la même portée, les requêtes susvisées doivent être regardées comme tendant à la suspension de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue de cette dernière modification.

En ce qui concerne les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 521-2 du code de justice administrative :

8. L'association Le Cercle droit et liberté et les autres requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Ils soutiennent que les restrictions de déplacement imposées sur tout le territoire entre 19 h et 6 h du matin par le I de cet article et le pouvoir donné aux préfets d'interdire dans certains départements tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence entre 6 heures et 19 heures constituent des mesures qui portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, au droit de mener une vie privée et familiale normale et au principe d'égalité dès lors qu'elles ne sont ni nécessaires ni même efficace pour lutter contre la propagation du virus, ni proportionnées à l'atteinte grave qu'elles portent aux libertés fondamentales et qu'elles instituent une rupture d'égalité injustifiée entre les citoyens qui peuvent justifier d'un motif de déplacement et les autres.

9. Dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent restreindre l'exercice des droits et libertés fondamentaux, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent. Tel est en particulier le cas d'une mesure d'interdiction aux personnes de sortir de leur domicile durant certaines heures qui, par nature, porte atteinte à la liberté personnelle.

10. Il est constant que malgré les mesures de police sanitaire graduées en fonction de la situation sanitaire de chaque territoire prises sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 pour faire face au risque de reprise de l'épidémie, la circulation du virus sur le territoire métropolitain s'est amplifiée ces dernières semaines et que l'on constate une nette aggravation de la crise sanitaire. Il résulte ainsi de l'instruction qu'au 16 mars 2021, le taux d'incidence (nombre de nouveaux cas rapporté à la population) s'élevait à 277,61 pour 100 000 personnes, sur l'ensemble de la population, en augmentation de plus de 6 % par rapport à la semaine précédente, augmentation constante depuis plusieurs semaines, de même que le taux de positivité des tests et les taux d'hospitalisation et d'admission en réanimation qui restent à des niveaux élevés de plus de 80 % en moyenne. Ce taux d'incidence dépasse dans 16 départements 400 pour 100 000 personnes, et exerce sur les établissement hospitaliers une très forte tension, les contraignant à déprogrammer des opérations et à évacuer des patients vers d'autres établissements. Par ailleurs, la proportion dans les contaminations de nouveaux variants, présentant une contagiosité accrue et entraînant des formes plus graves de la maladie, ne cesse d'augmenter jusqu'à devenir prépondérante dans certaines régions.

11. Il résulte également de l'instruction que le virus se transmet par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée, que les personnes contaminées sont contagieuses plusieurs jours avant de développer des symptômes, voire pour certaines sans en développer et que les sources de contamination se rattachent, pour une grande part, aux lieux clos et en particulier aux lieux privés.

12. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que contrairement à ce qui est soutenu, eu égard à la nette aggravation de la crise sanitaire, tout particulièrement dans certaines zones à forte densité de population, et alors que les mesures instituées sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 n'ont pas été en mesure d'empêcher la reprise de l'épidémie et que, à l'inverse, l'adoption en mars dernier, dans le département de la Guyane, d'une mesure analogue de couvre-feu semble avoir montré son efficacité pour freiner la transmission de l'épidémie ainsi qu'au mois de novembre 2020, sur tout le territoire national, de mesures de restriction des déplacements, le prononcé d'une mesure d'interdiction des déplacements des personnes hors de leur lieu de résidence entre 19 heures et 6 heures du matin et, dans certains départements, toute la journée, rendu possible par l'article 4 précité du décret du 16 octobre 2020 uniquement aux fins de lutter contre la propagation du virus et dans des zones préalablement identifiées par les autorités préfectorales dont le département est mentionné en annexe 2 du décret, est une mesure qui, en l'état de l'instruction, n'est pas manifestement injustifiée par la situation sanitaire spécifique qui prévaut dans le champ géographique délimité où elle est rendue possible et ne peut être regardée comme étant manifestement dépourvue de caractère nécessaire.

13. En second lieu, le caractère proportionné d'une mesure de police s'apprécie nécessairement en tenant compte de ses conséquences pour les personnes concernées et de son caractère approprié pour atteindre le but d'intérêt général poursuivi. Sa simplicité et sa lisibilité, nécessaires à sa bonne connaissance et à sa correcte application par les personnes auxquelles elle s'adresse, sont un élément de son effectivité qui doivent, à ce titre, être prises en considération. Compte tenu d'une part du caractère limité dans le temps et dans certains lieux des restrictions contestées et des nombreuses dérogations dont elles sont assorties, afin de permettre les déplacements indispensables notamment aux besoins familiaux, de santé ou encore à l'exercice d'une activité professionnelle, d'autre part de l'absence de démonstration par les requérants de ce que les mesures qu'ils proposent, qui pour certaines, telles que les restrictions d'entrée sur le territoire français, existent déjà, auraient une efficacité au moins équivalente à celles mises en place, des risques que ferait courir une extension des motifs de dérogation, il n'est pas manifeste, en l'état de l'instruction, que, contrairement à ce qui est soutenu, puissent être mises en oeuvre efficacement des mesures moins contraignantes que celles prévues par l'article 4 du décret. Il appartiendra en tout état de cause au Premier ministre et aux autorités préfectorales d'y mettre fin sans délai dès qu'elles ne seront plus strictement nécessaires.

14. Par suite, et dès lors que les libertés fondamentales invoquées doivent être conciliées avec les autres libertés fondamentales, parmi lesquelles figure le droit au respect de la vie, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les mesures prévues par l'article 4 du décret du 16 octobre 2020 porteraient une atteinte manifestement illégale à ces libertés fondamentales.

En ce qui concerne les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

15. L'association Le Cercle droit et liberté et les autres requérants, M. B... et M. A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution des mêmes dispositions de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020, modifié prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

16. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent MM. B... et A..., les dispositions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, aux termes desquelles " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique ", prendre un certain nombre de mesures, dont celles dont la suspension est demandée, n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'édiction de ce décret à l'élaboration par le ministre chargé de la santé d'un rapport explicatif.

17. En deuxième lieu, pour les motifs exposés aux points 9 à 14, les moyens tirés de ce que l'article 4 du décret attaqué serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation des mesures propres à lutter contre la pandémie, de ce que les restrictions aux déplacements prévues ou rendues possibles par ces dispositions ne seraient ni nécessaires, ni efficaces pour freiner la propagation du virus, ni proportionnées à cet objectif, portant ainsi une atteinte excessive aux libertés fondamentales garanties tant par la Constitution, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et qu'elles institueraient des différences de traitement illégales ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées, sans qu'il y ait lieu, comme le demande M. A..., de diligenter une enquête pour l'établir.

18. Enfin les différences de traitement résultant de l'existence de dérogations aux restrictions de déplacement sont justifiées, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, par la nécessité de permettre des déplacements indispensables et proportionnées à cet objectif. L'association requérante et les autres requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que ces dérogations seraient de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité des dispositions litigieuses.

19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les requêtes de l'association Le Cercle droit et liberté, de M. B... et de M. A... doivent être rejetées, y compris, par voie de conséquence, les conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Le Cercle droit et liberté et des autres requérants, de M. B... et de M. A... sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Le Cercle droit et liberté, première dénommée, pour l'ensemble des requérants des requêtes n° 450406 et n° 450407, à M. E... B..., à M. G... A... ainsi qu'au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.