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Ariane Web: Conseil d'État 427880, lecture du 2 avril 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:427880.20210402

Décision n° 427880
2 avril 2021
Conseil d'État

N° 427880
ECLI:FR:CECHR:2021:427880.20210402
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public


Lecture du vendredi 2 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société World Investment Corporation a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer, à titre principal, la restitution totale du prélèvement qu'elle a acquitté sur la plus-value de 1 802 280 euros réalisée lors de la cession, en juin 2008, d'un ensemble immobilier sis 32, boulevard Suchet à Paris, et, à titre subsidiaire la restitution partielle de ce prélèvement. Par un jugement n° 1300126 du 20 mars 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 14PA03269 du 17 novembre 2015, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

Par une décision n° 398055 du 16 mai 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 17 novembre 2015 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Paris.

Par un arrêt n° 18PA01750 du 19 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a déchargé la société requérante du prélèvement litigieux et annulé le jugement du tribunal administratif de Paris.

Par un pourvoi enregistré le 12 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 19 décembre 2018 de la cour administrative d'appel de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par la société World Investment Corporation contre le jugement du 20 mars 2014.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;


Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " I.- 1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du présent I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon le taux fixé au deuxième alinéa du I de l'article 219. (...) 2. Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : a) Les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B ; b) Les personnes morales ou organismes, quelle qu'en soit la forme, dont le siège social est situé hors de France (...) 3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens (...) II. Lorsque le prélèvement mentionné au I est dû par des contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu, les plus-values sont déterminées selon les modalités définies : 1° Au I et aux 2° à 8° du II de l'article 150 U, aux II et III de l'article 150 UB et aux articles 150 V à 150 VE (...) III. Lorsque le prélèvement mentionné au I est dû par une personne morale assujettie à l'impôt sur les sociétés, les plus-values sont déterminées par différence entre, d'une part, le prix de cession du bien et, d'autre part, son prix d'acquisition, diminué pour les immeubles bâtis d'une somme égale à 2 % de son montant par année entière de détention. ". Il résulte de ces dispositions que les personnes morales qui ne sont pas résidentes fiscales en France sont soumises au prélèvement qu'elles instituent sur les plus-values résultant de la cession des biens, parts, actions ou droits visés au 3 du I uniquement si ces personnes morales relèveraient, si elles étaient résidentes en France, de l'impôt sur les sociétés.

2. D'autre part, aux termes de l'article 206 du même code, dans sa rédaction applicable : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues au IV de l'article 3 du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié, les sociétés coopératives et leurs unions ainsi que, sous réserve des dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l'article 207, les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société World Investment Corporation, créée en 1986 sous la forme d'une " corporation " de droit américain dans l'Etat du Delaware, a acquis au cours de cette même année un bien immobilier situé à Paris, qui comprend trois appartements, six chambres et trois emplacements de stationnement. La société a cédé cet ensemble immobilier le 24 juin 2008, réalisant à cette occasion une plus-value d'un montant imposable déclaré de 1 802 280 euros, qu'elle a calculé en faisant application des modalités fixées, pour les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, par les dispositions du III de l'article 244 bis A du code général des impôts. En même temps qu'elle déclarait cette plus-value de cession à l'administration fiscale et acquittait le prélèvement prévu par cet article, la société World Investment Corporation a émis une réserve quant au fait qu'elle relève de ces modalités de calcul, en affirmant qu'elle ne satisfaisait aucun des critères énoncés au 1 de l'article 206 du même code. Elle sollicitait, en conséquence, que l'assiette du prélèvement soit calculée selon les modalités énoncées au II de l'article 244 bis A pour les contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 décembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit à l'appel de la société contre le jugement du 20 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge du prélèvement qu'elle a acquitté sur la plus-value en litige, a annulé ce jugement et l'a déchargée de ce prélèvement.

4. Il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier d'abord, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

5. Pour justifier son assimilation à une société de personnes régie par l'article 8 du code général des impôts, la requérante avait affirmé devant les premiers juges que ses associés étaient tenus personnellement responsables des dettes sociales, même en l'absence de toute faute de gestion de leur part. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les dispositions du § 325 du sous-chapitre XIII du chapitre I du titre 8 du code du Delaware relatif aux " corporations ", dont la requérante se prévalait, ne fixent elles-mêmes aucune règle définissant l'étendue de la responsabilité financière des associés, tandis qu'il résulte du § 6 du b de la section 102 du sous-chapitre I du même chapitre, figurant également au dossier soumis au juge du fond, que, sauf mention contraire figurant dans le certificat de constitution (" certificate of incorporation "), les associés d'une " corporation " ne peuvent être tenus au paiement des dettes de la société en dehors de l'hypothèse où ils sont rendus responsables du fait de leurs agissements personnels. Or le certificat de constitution de la société World Investment Corporation, produit devant le juge du fond par la requérante, ne comportait aucune mention contraire. Par suite, en jugeant que les dirigeants et actionnaires étaient responsables des dettes de la société, la cour a dénaturé les faits dont elle était saisie. Le ministre est donc fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt qu'il attaque.

6. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

7. Il résulte de l'instruction et notamment du certificat de constitution produit au dossier que la société World Investment Corporation, créée avec un capital de 10 000 dollars, a pour objet de réaliser toute activité conforme à la loi du Delaware. Les titres de la société sont librement négociables, sous réserve du droit prioritaire de souscription dont bénéficient les associés en cas d'émission de nouvelles parts. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, la responsabilité financière des associés est, sauf exception, limitée aux apports. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société World Investment Corporation est assimilable à une société par actions simplifiée de droit français et qu'elle est dès lors passible de l'impôt sur les sociétés à raison de sa forme sociale, en application du 1 de l'article 206 du code général des impôts, sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère lucratif de son activité.

8. Il résulte de ce qui précède que la société World Investment Corporation n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge du prélèvement en litige.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, au titre de ces dispositions, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 décembre 2018 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Le prélèvement acquitté en application du III de l'article 244 bis A du code général des impôts sur la plus-value en litige est remis à la charge de la société World Investment Corporation.
Article 3 : Les conclusions de la requête présentée par la société World Investment Corporation devant la cour administrative d'appel de Paris tendant à la décharge de ce prélèvement et à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société World Investment Corporation.



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