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Ariane Web: Conseil d'État 431224, lecture du 20 avril 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:431224.20210420

Décision n° 431224
20 avril 2021
Conseil d'État

N° 431224
ECLI:FR:CECHR:2021:431224.20210420
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats


Lecture du mardi 20 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009. Par un jugement n° 1508372 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, sur l'appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la société Ricoh France.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 mai et 30 août 2019 et le 29 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ricoh France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'action et des comptes publics ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Ricoh France ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la société Ricoh France a été assujettie à des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 à 2009. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 avril 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à l'appel du ministre de l'action et des comptes publics contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 1er décembre 2016 qui avait accueilli sa demande en décharge de ces suppléments d'impôt.

2. Aux termes de l'article 1647 E du code général des impôts, alors en vigueur : " I. La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 ? est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies ". Aux termes du II de l'article 1647 B sexies du même code, dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " 1. La valeur ajoutée (...) est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers (...). 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes (...) ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris (...). / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception des loyers afférents aux biens pris en crédit-bail, ou des loyers afférents à des biens, visés au a du 1° de l'article 1467, pris en location par un assujetti à la taxe professionnelle pour une durée de plus de six mois ou des redevances afférentes à ces biens résultant d'une convention de location-gérance, les frais de transports et déplacements, les frais divers de gestion. / (...) / Lorsqu'en application du deuxième alinéa sont exclus des consommations de biens et services en provenance de tiers les loyers ou redevances que verse le preneur, les amortissements visés au 2° du 1 de l'article 39, autres que ceux comptabilisés en amortissements dérogatoires et se rapportant aux biens loués, sont déduits de la valeur ajoutée du bailleur ". Ces dispositions fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée en fonction de laquelle sont plafonnées les cotisations de taxe professionnelle. Pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, il y a lieu de se reporter, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, et non aux normes comptables applicables à l'établissement des comptes consolidés.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ricoh France était liée avec les sociétés de financement BNP Paribas Lease Group et Lixxbail par des contrats de " location-mandatée " en application desquels la société Ricoh France concluait avec le client final un contrat de location qui prévoyait la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à la société de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et transférait à cette dernière le contrat de location. En application de ces contrats de " location-mandatée ", la société Ricoh France encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final.

4. Après avoir relevé que la société Ricoh transférait aux sociétés de financement les contrats de location de matériel bureautique qu'elle avait préalablement conclus avec les clients finals, la cour a retenu que la société Ricoh était liée avec les sociétés de financement par des contrats de " locations-financement " et en a déduit que les loyers en résultant constituaient, en application des normes comptables en vigueur, une charge financière, et non des consommations de biens ou de services en provenance de tiers. La cour a, ce faisant, apprécié le rattachement catégoriel des sommes en cause au regard des normes applicables aux comptes consolidés.

5. En faisant application, pour apprécier le rattachement aux catégories énoncées à l'article 1647 B sexies du CGI des sommes versées par la société Ricoh France aux sociétés Lixxbail et BNP Paribas Lease Group, correspondant aux loyers reçus des clients finals et reversés à ces sociétés conformément aux conventions de " location mandatée ", des normes comptables applicables aux comptes consolidés, alors qu'il lui incombait de se reporter, pour déterminer ce rattachement, aux dispositions du plan comptable général applicables aux comptes sociaux individuels, et notamment celles de l'article 394-1 en vertu desquelles les opérations traitées, pour le compte de tiers, au nom de l'entité sont inscrites selon leur nature dans les charges et les produits de l'entité, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la société Ricoh France est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Ricoh France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 2 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Ricoh France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Ricoh France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.



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