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Décision n° 445831
22 avril 2021
Conseil d'État

N° 445831
ECLI:FR:CECHS:2021:445831.20210422
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du jeudi 22 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble :
- de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 16 septembre 2020 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a refusé sa prise en charge au titre de l'aide aux jeunes majeurs ;
- d'enjoindre au président du conseil départemental de l'Isère de réexaminer sa demande de prise en charge dans un délai de deux mois ;
- d'enjoindre au département de l'Isère de maintenir sa prise en charge au titre de dispositions relatives à l'aide sociale à l'enfance sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2005597 du 15 octobre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a suspendu l'exécution de la décision du 16 septembre 2020 et enjoint au président du conseil départemental de l'Isère de prendre en charge M. A... au titre de l'accompagnement jeune majeur.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 octobre et 16 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de l'Isère demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département de L'Isère ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que M. B... A..., ressortissant guinéen né le 27 octobre 2000 et arrivé en France en avril 2017, a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Isère en vertu d'un jugement en assistance éducative du 5 juillet 2017, jusqu'à sa majorité. Après sa majorité, survenue le 27 octobre 2018, cette prise en charge a été maintenue au titre de l'aide aux jeunes majeurs afin de lui permettre de terminer le cycle d'études en cours au lycée hôtelier et d'obtenir une certificat d'aptitude professionnel " commercialisation et services en hôtel café restaurant ", diplôme qu'il a obtenu au mois de juin 2020. M. A..., qui avait par ailleurs fait l'objet d'un refus d'admission au séjour en janvier 2020, a sollicité du département de l'Isère le maintien de sa prise en charge au titre de l'aide sociale aux jeunes majeurs en indiquant qu'il souhaitait poursuivre ses études afin d'obtenir un bac professionnel. Ce maintien lui a été refusé par une première décision du président du conseil départemental de l'Isère du 15 juillet 2020. Le réexamen de cette demande ayant été prescrit par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, ce refus a été confirmé par le président du conseil départemental le 15 septembre 2020. Par une ordonnance du 15 octobre 2020, contre laquelle M. A... se pourvoit en cassation, ce juge des référés a suspendu l'exécution de cette décision de refus de prise en charge et enjoint au président du conseil départemental de réexaminer sa demande.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

4. Sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune majeur pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris le comportement du jeune majeur.

5. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que pour mettre fin, par la décision du 16 septembre 2020, à la prise en charge de M. A..., le président du conseil départemental de l'Isère s'est fondé notamment sur l'autonomie de l'intéressé, qui loue un appartement meublé, sur l'aboutissement de sa formation, marquée par l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " commercialisation et service en hôtel café restaurant " en juin 2020, et sur la décision de refus de titre de séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, dont il a fait l'objet. Pour juger que le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation était de nature à créer un doute sérieux, le juge des référés du tribunal administratif s'est seulement fondé sur l'admission de M. A... en bac professionnel et sur le risque que la fin de sa prise en charge par le département de l'Isère ne compromette gravement son projet professionnel. En statuant ainsi, le juge des référés du tribunal administratif ne peut être regardé comme ayant tenu compte, pour apprécier l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision mettant fin à la prise en charge, comme il le lui appartient ainsi qu'il a été dit au point précédent, de la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans, sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé à ce dernier pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée. Il a, par suite, commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que le département de l'Isère est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 15 octobre 2020 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de l'Isère.
Copie en sera adressée à M. B... A....