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Ariane Web: Conseil d'État 435429, lecture du 19 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:435429.20210519

Décision n° 435429
19 mai 2021
Conseil d'État

N° 435429
ECLI:FR:CECHR:2021:435429.20210519
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Damien Pons, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public


Lecture du mercredi 19 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 18 octobre 2019, le 16 décembre 2020 et les 2 et 6 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont refusé de faire droit à la demande d'abrogation des articles R. 513-1 et R. 513-2 du code de la sécurité sociale qu'il a présentée le 24 juillet 2019 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé de procéder immédiatement à cette abrogation sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte sociale européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) 883/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code civil ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de la sécurité sociale : " Toute personne française ou étrangère résidant en France (...) ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France, bénéficie pour ces enfants des prestations familiales dans les conditions prévues par le présent livre (...) ". Aux termes de l'article L. 513-1 du même code : " Les prestations familiales sont, sous réserve des règles particulières à chaque prestation, dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant ". L'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale prévoit que : " Les prestations familiales comprennent : / 1°) la prestation d'accueil du jeune enfant ; / (...) " et l'article L. 531-1 du même code que : " Cette prestation comprend : (...) / 4° Un complément de libre choix du mode de garde, versé (...) pour compenser le coût de la garde d'un enfant (...) ". Aux termes de l'article L. 531-5 du même code : " I.- Le complément de libre choix du mode de garde est attribué au ménage ou à la personne qui emploie un assistant maternel agréé mentionné à l'article L. 421-1 du code de l'action sociale et des familles ou une personne mentionnée à l'article L. 7221-1 du code du travail pour assurer la garde d'un enfant [c'est-à-dire un employé à domicile dont il est le particulier employeur]. / (...) Le complément de libre choix du mode de garde est versé à la condition que le ménage ou la personne seule exerce une activité professionnelle (...) ".

2. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 513-1 et R. 513-2 du code de la sécurité sociale, qui définissent les règles selon lesquelles sont désignées, respectivement, l'allocataire et l'attributaire des prestations familiales. Il doit être regardé comme en demandant l'annulation en tant que ces dispositions font obstacle, en cas de résidence alternée d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, mise en oeuvre de manière effective et équivalente, à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire se voie verser le complément de libre choix de mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant.

Sur le refus d'abroger l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale :

3. Aux termes de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale : " La personne physique à qui est reconnu le droit aux prestations familiales a la qualité d'allocataire. Sous réserve des dispositions de l'article R. 521-2 [c'est-à-dire celles relatives aux allocations familiales], ce droit n'est reconnu qu'à une personne au titre d'un même enfant. / Lorsque les deux membres d'un couple assument à leur foyer la charge effective et permanente de l'enfant, l'allocataire est celui d'entre eux qu'ils désignent d'un commun accord. Ce droit d'option peut être exercé à tout moment. L'option ne peut être remise en cause qu'au bout d'un an, sauf changement de situation. Si ce droit d'option n'est pas exercé, l'allocataire est l'épouse ou la concubine. / En cas de divorce, de séparation de droit ou de fait des époux ou de cessation de la vie commune des concubins, et si l'un et l'autre ont la charge effective et permanente de l'enfant, l'allocataire est celui des membres du couple au foyer duquel vit l'enfant ".

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, citées au point 1, que le législateur a entendu lier l'attribution des prestations familiales, au nombre desquelles figure la prestation d'accueil du jeune enfant comprenant le complément du libre choix du mode de garde, à la charge effective et permanente de l'enfant. Dans le cas, seul en litige, où, à la suite du divorce, de la séparation de droit ou de fait des époux ou de la cessation de la vie commune des concubins, les parents exercent conjointement l'autorité parentale et bénéficient d'un droit de résidence alternée sur leur enfant mis en oeuvre de manière effective et équivalente, l'un et l'autre de ces parents sont considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de ces dispositions. L'attribution d'une prestation familiale ne saurait dès lors être refusée à l'un des deux parents au seul motif que l'autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixées par la loi y fassent obstacle ou à ce que l'attribution de cette prestation à chacun d'entre eux implique la modification ou l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi.

5. L'objet du complément du libre choix du mode de garde est de compenser les frais engagés par la personne qui a la charge de l'enfant pour en assurer la garde en raison de son activité professionnelle. Son attribution est attachée au recours effectif à une personne pour garder de l'enfant qui, dans l'hypothèse en litige, réside alternativement chez chacun d'entre eux avec une résidence alternée mise en oeuvre de manière effective et équivalente. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, dès lors que les deux parents peuvent prétendre dans cette hypothèse au bénéfice de cette prestation, son attribution ne peut être refusée à l'un d'entre eux au seul motif que l'autre parent y a droit, dès lors que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi n'y font pas obstacle et que l'attribution de cette prestation à chacun d'entre eux n'implique ni la modification ni l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi. M. B... est par suite fondé à soutenir que cette règle de l'allocataire unique fixée au premier alinéa de l'article R 513-1, qui fait obstacle à ce qu'un parent bénéficiant d'une résidence alternée de son enfant mise en oeuvre de manière effective et équivalente perçoive le complément du libre choix du mode de garde dès lors qu'il n'est pas cet allocataire unique, méconnaît dans cette mesure l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale.

6. En revanche, d'une part, la règle, fixée au deuxième alinéa de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale, selon laquelle, à défaut d'option des membres du couple pour désigner l'un d'entre eux d'un commun accord, l'allocataire est l'épouse ou la concubine, ne régit la désignation de l'allocataire que pour les membres d'un couple assumant au sein d'un même foyer la charge effective et permanente de l'enfant. Elle ne s'applique donc pas en cas de séparation des parents. D'autre part, le troisième alinéa de l'article R. 513-1 n'est pas applicable lorsque l'enfant est en résidence alternée. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que ces alinéas seraient illégaux en tant qu'ils feraient également obstacle, en cas de résidence alternée effective et équivalente d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire bénéficie du complément de libre choix de mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant. Les moyens dirigés contre le refus d'abroger ces deuxième et troisième alinéa de l'article R 513-1 ne peuvent, par suite, qu'être rejetés.

Sur le refus d'abroger l'article R. 513-2 du code de la sécurité sociale

7. Aux termes de l'article R. 513-2 du même code : " L'attributaire des prestations familiales est la personne entre les mains de laquelle sont versées les prestations. L'attributaire est soit l'allocataire, soit son conjoint ou son concubin. Toutefois, les conseils d'administration des caisses d'allocations familiales et des autres organismes débiteurs peuvent décider dans certains cas et après enquête sociale de verser les prestations familiales à la personne qui assure l'entretien de l'enfant. / Sans préjudice de l'article L. 552-6, lorsqu'une personne est déchue totalement ou partiellement de l'autorité parentale ou qu'elle a encouru soit une condamnation pénale en application de la loi sur les enfants maltraités ou moralement abandonnés, soit une condamnation pour ivresse, ou lorsque le versement des prestations familiales entre ses mains risque de priver l'enfant du bénéfice de ces prestations, celles-ci sont attribuées à l'autre conjoint ou concubin ".

8. Ces dispositions ont pour seul objet de déterminer la personne à laquelle les prestations familiales doivent être versées pour le compte de l'allocataire, ce dernier demeurant seul titulaire du droit à prestation. Eu égard à cet objet, M. B... ne saurait soutenir que le pouvoir réglementaire aurait commis une illégalité en ne prévoyant pas que cette personne pourrait être l'ancien conjoint séparé de l'allocataire ni, en tout état de cause, qu'il aurait méconnu, pour ce motif, les articles L. 513-1, L. 531-2 et L. 531-5 du code de la sécurité sociale, le principe d'égalité ou qu'il serait discriminatoire, qu'il violerait les articles 16 et 17 de la charte sociale européenne révisée, l'article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 23 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1 de son premier protocole additionnel, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ou le règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête présentés au soutien des mêmes conclusions, à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le premier aliéna de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale en tant qu'il fait obstacle, en cas de résidence alternée effective et équivalente d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire bénéficie du complément de libre choix de mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant, ces dispositions étant divisibles.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". En outre, selon l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite (...) d'une astreinte (...) ".

11. L'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le premier alinéa de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale en tant qu'il fait obstacle, en cas de résidence alternée effective et équivalente d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire bénéficie du complément de libre choix de mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant implique nécessairement qu'il modifie ces dispositions dans la mesure de l'annulation prononcée. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de les modifier dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. B... demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le refus du Premier ministre d'abroger le premier alinéa de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale est annulé en tant que ces dispositions font obstacle, en cas de résidence alternée effective et équivalente d'un enfant chez chacun de ses parents séparés, à ce que celui des parents qui n'a pas la qualité d'allocataire bénéficie du complément de libre choix de mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier les dispositions mentionnées à l'article 1er, dans la mesure de l'annulation prononcée, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


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