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Ariane Web: Conseil d'État 442711, lecture du 28 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:442711.20210528

Décision n° 442711
28 mai 2021
Conseil d'État

N° 442711
ECLI:FR:CECHR:2021:442711.20210528
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
CABINET BRIARD, avocats


Lecture du vendredi 28 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2009, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1608211 du 10 juillet 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18LY03481 du 9 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions en litige.

Par un pourvoi, enregistré le 12 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt.

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par M. A....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 22 juillet 2009, M. A... et son fils ont apporté à la société Production Provençale Energie (PPE), dont M. A... était l'unique associé, les parts qu'ils détenaient dans la société Pièces Point Chauffe (PPC). En rémunération de ces apports, ils ont reçu, chacun, des parts de la société PPE. Les plus-values réalisées à l'occasion de ces apports ont bénéficié du régime de sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts, dans leur rédaction alors applicable. Le 28 juillet 2009, la société PPE a cédé à la société S3C les titres de la société PPC que lui avait apportés M. B... A.... Estimant que l'intervention de cette cession à très bref délai révélait que l'opération avait eu pour seul objet d'interposer une opération d'apport permettant à M. A... de céder ses titres de la société PPC sans que la plus-value en résultant soit soumise à l'impôt, l'administration fiscale a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales pour remettre en cause le bénéfice du sursis d'imposition et assujettir, en conséquence, M. A... à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de la majoration de 80% pour abus de droit prévue au b) de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement en date du 10 juillet 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. A... tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 juillet 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, faisant droit à l'appel formé par le contribuable contre ce jugement, a prononcé la décharge qu'il sollicitait.

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

3. En vertu du premier alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2009, les dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts relatives à l'imposition des plus-values de cession " (...) ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur lorsque le produit de la cession fait l'objet, pour une part significative et à bref délai, d'un réinvestissement à caractère économique par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que 90% du produit de la cession, par la société PPE, des parts de la société PPC que lui avait apportées M. A... a été placé sur des comptes à terme. La cour administrative d'appel a relevé, sans être contestée, que la société PPE avait, en premier lieu, procédé au nantissement à hauteur de 100 000 euros d'un compte à terme en vue de couvrir une garantie de passif dont était assortie la cession des titres de la société PPC à la société S3C, en deuxième lieu, procédé au nantissement à hauteur de 145 000 euros de comptes à terme en vue de garantir un emprunt bancaire souscrit par elle afin de financer des projets d'investissement à caractère économique et, en troisième lieu, consacré une somme de 129 442 euros à l'autofinancement de ses projets d'investissement dans des activités de production électrique. La cour administrative d'appel a jugé que l'utilisation ainsi faite par la société PPE du produit disponible de la cession des titres de la société PPC qu'elle avait reçus en apport de M. A... devait être regardée comme caractérisant un réinvestissement à caractère économique et estimé que, portant sur une fraction qu'elle a évaluée à 37% de ce produit, ce réinvestissement suffisait à écarter la qualification d'abus de droit.

6. Si la cour a pu, sans erreur de droit, juger que le nantissement, dans des conditions les rendant indisponibles à tout autre usage, de sommes placées sur un compte à terme en vue de garantir des emprunts bancaires souscrits pour la réalisation d'investissements dans une activité économique devait être regardé comme un réinvestissement à caractère économique, elle a en revanche méconnu la règle rappelée au point 4 en estimant qu'il en allait de même du nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif, consentie au profit de la société cessionnaire des parts qui lui avaient été apportées, et qui, ayant pour seul objet de couvrir une éventuelle obligation future de restitution d'une partie du prix de cession, était insusceptible de caractériser un réinvestissement.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 9 juillet 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. B... A....


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