Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 426176, lecture du 31 mai 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:426176.20210531

Décision n° 426176
31 mai 2021
Conseil d'État

N° 426176
ECLI:FR:CECHS:2021:426176.20210531
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Catherine Brouard-Gallet, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du lundi 31 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Bagneux à lui verser une indemnité de 191 050 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, au titre des préjudices subis en raison de son licenciement irrégulier. Par un jugement n° 1110669 du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Bagneux à lui verser la somme de 4 952,46 euros.

Par un arrêt n° 14VE00156 du 2 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement et, sur appel incident de la commune de Bagneux, a annulé l'article 1er du jugement et rejeté la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.

Par une décision n° 393150 du 29 mars 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi de M. B..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.

Par un arrêt n° 17VE0093 du 11 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a dit que l'indemnité de 4 952,46 euros que la commune de Bagneux a été condamnée à verser à M. B... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 novembre 2013, portera intérêt au taux légal à compter du 2 septembre 2011, que les intérêts échus à la date du 2 septembre 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts, a réformé l'article 1er du jugement du 5 novembre 2013 en ce qu'il a de contraire à l'article 1er de l'arrêt et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. B... et les conclusions incidentes de la commune de Bagneux.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 décembre 2018, 11 mars 2019 et 16 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 5 novembre 2013 et de faire droit à l'ensemble de ses conclusions indemnitaires de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Bagneux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Bagneux ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a été engagé par la commune de Bagneux, à compter du 1er avril 1995, par deux contrats successifs d'une durée de trois ans chacun, en qualité de médecin du travail. A compter du 1er juin 2001, il a été recruté, sur le fondement du premier alinéa de l'article 3 de la loi du 26 janvier1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, pour une durée d'un an, afin d'occuper, en qualité d'agent non titulaire, un emploi de médecin territorial de 2ème classe relevant du niveau de la catégorie A, créé par une délibération du 6 mars 2001 et demeuré vacant en l'absence de recrutement d'un fonctionnaire. Cet engagement a été ensuite reconduit jusqu'en 2011 pour une durée maximale d'un an à chaque renouvellement et pour le même motif. Le 7 avril 2011, le maire de Bagneux a proposé à M. B... de renouveler son contrat par un contrat à durée indéterminée pour un service à temps complet. M. B... ayant refusé cette proposition et demandé le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée pour un service à temps partiel, le maire de Bagneux a décidé de ne pas renouveler son contrat. M. B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Bagneux à lui verser une indemnité de 191 050 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, au titre des préjudices subis en raison de son licenciement illégal. Par un jugement du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Bagneux à lui verser la somme de 4 952,46 euros. Par un arrêt du 2 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. B... et, sur appel incident de la commune de Bagneux, a annulé le jugement en tant qu'il lui avait alloué cette somme et rejeté sa demande de dommages-intérêts. Par une décision du 29 mars 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt au motif que les renouvellements de l'engagement de M. B... n'ayant pu intervenir que sur le fondement du cinquième alinéa de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, celui-ci pouvait prétendre à la transformation de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Par un arrêt du 11 octobre 2018, contre lequel M. B... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles a dit que l'indemnité allouée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise portera intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2011 et a statué sur leur capitalisation, rejetant le surplus des conclusions indemnitaires de M. B... ainsi que les conclusions incidentes de la commune de Bagneux.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la nature du contrat en litige et de la mesure prise à l'encontre de M. B... :

2. Les modalités de rupture de l'engagement d'un agent non titulaire de la fonction publique territoriale sont définies par les articles 39 à 49 du décret du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale. Il résulte de ces dispositions que le contrat de travail à durée indéterminée conclu entre un tel agent et une collectivité publique ne peut être rompu que par un licenciement, une démission ou à l'occasion d'une action en résiliation de ce contrat.

3. La cour administrative d'appel de Versailles, après avoir relevé que M. B... avait exercé, à compter du 1er avril 1995, son activité en qualité de médecin du travail selon un service à mi-temps, le contrat à durée déterminée dont il était titulaire ayant été transformé de plein droit en contrat à durée indéterminée à la date de publication de la loi du 26 juillet 2005, a exactement retenu que, en lui proposant par un courrier du 7 avril 2011 un contrat à durée indéterminée pour un service à temps complet et non plus à temps partiel, alors que de façon concomitante sa rémunération, qui correspondait d'ores et déjà à un emploi de médecin territorial de 2ème classe, 8 ème échelon équivalant à un service à temps plein, ne pouvait être doublée comme il le demandait, le maire de Bagneux avait entendu modifier de manière substantielle les modalités de son engagement, cette modification étant justifiée par l'intérêt et les besoins du service eu égard notamment à l'embauche à temps complet du successeur de M. B.... La cour administrative d'appel a relevé, en outre, que M. B... ne contestait pas cette justification. Par suite, elle a pu, sans dénaturer les écritures dont elle était saisie, ni commettre d'erreur de droit, en déduire qu'en l'espèce, eu égard au refus de M. B... d'accepter la modification substantielle de son contrat de travail, le maire de Bagneux pouvait légalement mettre fin à son contrat en le licenciant.

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la légalité du licenciement de M. B... et sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B... :

4. Il résulte de ce qui est dit au point 2 que le licenciement de M. B... aurait dû être prononcé, à la suite de son refus des nouvelles modalités de son emploi, selon les règles de procédure fixées par le décret du 15 février 1988.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du décret du 15 février 1988, dans sa version applicable à l'espèce : " L'agent non titulaire qui présente sa démission est tenu de respecter un préavis (...) de deux mois au moins si la durée des services est égale ou supérieure à deux ans. (...) ". Aux termes de l'article 40 du décret du 15 février 1988, dans sa version applicable à l'espèce : " L'agent non titulaire engagé pour une durée déterminée ne peut être licencié par l'autorité territoriale avant le terme de son engagement qu'après un préavis qui lui est notifié dans les délais prévus à l'article 39. Toutefois, aucun préavis n'est nécessaire en cas de licenciement prononcé soit en matière disciplinaire, soit pour inaptitude physique, soit à la suite d'un congé sans traitement d'une durée égale ou supérieure à un mois, soit au cours ou à l'expiration d'une période d'essai. / Les mêmes règles sont applicables à tout licenciement d'agent non titulaire engagé pour une durée indéterminée ".

6. En second lieu, aux termes de l'article 43 du décret du 15 février 1988, dans sa version applicable à l'espèce : " Sauf lorsque le licenciement intervient, soit pour des motifs disciplinaires, soit au cours ou à l'expiration d'une période d'essai, une indemnité de licenciement est due aux agents : 1°) qui, recrutés pour une durée indéterminée, ont fait l'objet d'un licenciement ;(...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant au versement d'une indemnité de 191 050 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi pour avoir été irrégulièrement privé de son emploi. A la suite de l'annulation par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, de l'arrêt rendu le 2 juillet 2015 par la cour administrative d'appel de Versailles, M. B... a demandé à la cour administrative d'appel statuant sur renvoi, de fixer à titre principal l'indemnité sollicitée à la somme de 191 050 euros en réparation de la perte de rémunération entre la date de son licenciement et celle à laquelle il pourrait faire valoir ses droits à la retraite et du préjudice moral subi ou, à titre subsidiaire, à la somme de 23 111,48 euros, cette dernière somme intégrant, outre la somme de 4 952,46 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la privation du bénéfice du préavis, une somme équivalant à l'indemnité de licenciement dont il avait été privée, augmentée de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, en faisant valoir qu'en tout état de cause, si le licenciement devait être reconnu comme fondé, les conditions dans lesquelles celui-ci était intervenu étaient irrégulières.

8. En rejetant la demande formée au titre du versement d'une somme correspondant à l'indemnité de licenciement en réparation du préjudice subi du fait de la privation de cette indemnité comme irrecevable au motif qu'elle ne tendait pas à la réparation des conséquences dommageables de l'illégalité invoquée en première instance, alors que cette demande se rattachait au même fait générateur -le licenciement- et reposait sur la même cause juridique que celle invoquée en première instance -la responsabilité pour faute de la commune de Bagneux- et qu'elle demeurait dans la limite de l'indemnité globale chiffrée devant les premiers juges, et en limitant en conséquence la réparation du préjudice de M. B... à la somme de 4 952,46 euros au titre du seul préjudice subi du fait de la privation illégale du bénéfice du préavis, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque qu'en tant qu'il rejette, à son article 4, le surplus des conclusions de sa requête relatives au versement d'une somme équivalant à l'indemnité de licenciement prévue par le décret du 15 février 1988.

Sur le règlement au fond :

10. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'État statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'État étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de l'annulation prononcée au point 8.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'indemnité à laquelle peut prétendre M. B... doit comprendre, outre la somme qui lui a été allouée par l'arrêt du 11 octobre 2018, une somme réparant le préjudice subi du fait de la privation de l'indemnité de licenciement. Il sera fait une juste appréciation en fixant la somme due à ce titre par la commune de Bagneux au montant de l'indemnité de licenciement calculée selon les modalités prévues aux articles 43 et suivants du décret du 15 février 1988.

12. Aux termes de l'article 45 du décret du 15 février 1988 : " La rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est la dernière rémunération nette des cotisations de la sécurité sociale et, le cas échéant, des cotisations d'un régime de prévoyance complémentaire, effectivement perçue au cours du mois civil précédant le licenciement. Elle ne comprend ni les prestations familiales, ni le supplément familial de traitement, ni les indemnités pour travaux supplémentaires ou autres indemnités accessoires. / Le montant de la rémunération servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement d'un agent employé à temps partiel est égal au montant de la rémunération définie à l'alinéa précédent qu'il aurait perçue s'il avait été employé à temps complet. (...) ". Aux termes de l'article 46 de ce décret : " L'indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l'article précédent pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base. (...) ".

13. Il résulte de l'instruction que M. B... a travaillé pendant seize ans et trois mois au sein des services de la ville de Bagneux. En application des articles 45 et 46 du décret du 15 février 1988 cités au point 12 et eu égard à sa dernière rémunération nette de 2 476,33 euros, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. B... du fait de la privation de l'indemnité de licenciement en mettant à la charge de la commune de Bagneux, à ce titre, la somme de 18 159,02 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bagneux est condamnée à verser à M. B... une somme de 18 159,02 euros à titre d'indemnité. M. B... a droit, ainsi qu'il le demande, aux intérêts au taux légal afférents à l'indemnité de 18 159,02 euros à compter du 2 septembre 2011, date de réception de sa demande préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée par M. B... le 22 décembre 2011, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif. Il y a lieu de faire doit à cette demande à compter du 2 septembre 2012, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Bagneux. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Bagneux une somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 4 de l'arrêt du 11 octobre 2018 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... relatives à l'allocation d'une indemnité équivalant à l'indemnité de licenciement.
Article 2 : La commune de Bagneux versera à M. B... une indemnité de 18 159,02 euros qui portera intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2011. Les intérêts échus à la date du 2 septembre 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La commune de Bagneux versera à M. B... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Bagneux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la commune de Bagneux.