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Ariane Web: Conseil d'État 452849, lecture du 7 juin 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:452849.20210607

Décision n° 452849
7 juin 2021
Conseil d'État

N° 452849
ECLI:FR:CEORD:2021:452849.20210607
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du lundi 7 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

I. M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au maire de Mougins de retirer les chicanes anti-caravanes installées chemin Pablo Picasso à l'intersection avec le chemin des Argelas et après le pont enjambant l'autoroute A8 sur la commune de Mougins, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2102459 du 12 mai 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint à la commune de Mougins de retirer ces deux dispositifs de plots bétonnés, dans le délai de huit jours à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sous le n° 452849, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 et 31 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Mougins demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre fin à la mesure d'injonction prononcée par le juge des référés ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., l'installation de plots bétonnées a pour but de limiter la circulation des véhicules afin d'éviter le passage de gros camions, mais sans empêcher pour autant le passage des services d'urgence ou autres véhicules, en deuxième lieu, il n'a jamais été justifieŽ d'une quelconque impossibilité de passage pour une caravane et il n'est pas davantage justifieŽ, ni même allégué, que sa caravane ne serait pas déjà installée sur son terrain alors que le dossier d'inscription scolaire produit aux débats atteste qu'il réside de façon permanente sur le terrain, en troisième lieu, M. Hoffmann a attendu plus d'un mois depuis la mise en place des dispositifs le 31 mars 2021, pour introduire un référé-liberté en invoquant une situation d'extrême urgence et cela alors même qu'il en a été informeŽ par le courrier de la commune de Mougins daté du 24 février 2021 et, en dernier lieu, le terrain dont s'agit se situe en site inscrit, en zone N et en Espace BoiseŽ ClasseŽ (EBC) du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de Mougins, ainsi qu'en zone rouge du plan de prévention du risque incendie en forêt (PPRIF) de la commune, ce qui interdit le stationnement de caravanes ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ;
- le caractère discriminatoire du dispositif doit être écarté dès lors que l'installation des ouvrages vise simplement à limiter le tonnage des véhicules autorisés à circuler dans un objectif de sécuritéŽ routière, en application de plusieurs arrêtés municipaux adoptés au visa des dispositions des articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales ;
- il n'est pas porté atteinte au droit de propriété dès lors que, en premier lieu, il n'est nullement démontré que le terrain de M. Hoffmann soit enclaveŽ ou bloqueŽ et qu'il ne puisse pas y accéder avec sa caravane, ni d'ailleurs qu'elle n'y est pas déjà installée à titre de résidence permanente, en deuxième lieu, le terrain se situe en zone N du règlement de PLU de Mougins, qui y interdit le stationnement des caravanes, en troisième lieu, le stationnement prévu à l'article R. 421-3 du code de l'urbanisme concerne des terrains permettant d'accueillir les caravanes, il n'est donc pas possible d'installer une caravane, même à titre provisoire, sur un terrain rendu inconstructible par un document d'urbanisme et, en dernier lieu, M. Hoffmann a été contraint par une ordonnance du tribunal judiciaire de Grasse en 2017 à enlever ses caravanes non seulement au regard des dispositions du règlement de PLU de Mougins, mais aussi en tenant compte du risque incendie particulièrement élevé sur ce terrain qui se situe en zone rouge du PPRIF applicable à la commune ;
- il n'est pas porté d'atteinte à la liberté d'aller et venir dès lors que, d'une part, le dispositif a pour unique but d'empêcher l'accès aux véhicules de très grande taille afin de faire respecter la limitation de tonnage, le chemin demeurant parfaitement accessible pour les autres véhicules à moteur et, d'autre part, la liberté de circulation sur la voie publique peut et doit être conciliée avec les impératifs de conservation des voies communales ;
- il n'est pas porté atteinte au droit à mener une vie privée et familiale normale dès lors que l'installation de ces dispositifs est totalement étrangère à l'improbable volonté de nuire à la communauté des gens du voyage que M. Hoffmann veut prêter à la commune de Mougins et c'est pour cela que le juge des référés du tribunal administratif de Nice n'a pas retenu une telle atteinte.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2021, M. Hoffmann conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Mougins la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées.

II. Mme Anne-Marie Winterstein a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au maire de Mougins de retirer les chicanes anti-caravanes installées chemin Pablo Picasso à l'intersection avec le chemin des Argelas et après le pont enjambant l'autoroute A8 sur la commune de Mougins, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2102540 du 12 mai 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint à la commune de Mougins de retirer ces deux dispositifs de plots bétonnés, dans le délai de huit jours à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sous le n° 452851, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 et 31 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Mougins demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre fin à la mesure d'injonction prononcée par le juge des référés ;

3°) de mettre à la charge de Mme Winterstein la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que, en premier lieu, contrairement à ce que soutient Mme Winterstein, l'installation de plots bétonnées a pour but de limiter la circulation des véhicules afin d'éviter le passage de gros camions, mais sans empêcher pour autant le passage des services d'urgence ou autres véhicules, en deuxième lieu, il n'a jamais été justifié d'une quelconque impossibilité de passage pour une caravane et il n'est pas davantage justifieŽ, ni même allégué, que sa caravane ne serait pas déjà installée sur son terrain alors que le dossier d'inscription scolaire produit aux débats atteste qu'elle y réside de façon permanente, en troisième lieu, Mme Winterstein a attendu plus d'un mois depuis la mise en place des dispositifs le 31 mars 2021, pour introduire un référé-liberté en invoquant une situation d'extrême urgence et cela alors même qu'elle en a été informeŽe par le courrier de la commune de Mougins daté du 24 février 2021 et, en dernier lieu, le terrain dont s'agit se situe en site inscrit, en zone N et en Espace BoiseŽ ClasseŽ (EBC) du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de Mougins, ainsi qu'en zone rouge du plan de prévention du risque incendie en forêt (PPRIF) de la Commune, ce qui interdit le stationnement de caravanes ;
- il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ;
- le caractère discriminatoire du dispositif doit être écarté dès lors que l'installation des ouvrages vise simplement à limiter le tonnage des véhicules autorisés à circuler dans un objectif de sécuritéŽ routière, en application de plusieurs arrêtés municipaux adoptés au visa des dispositions des articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales ;
- il n'est pas porté atteinte au droit de propriété dès lors que, en premier lieu, il n'est nullement démontré que le terrain de Mme Winterstein soit enclaveŽ ou bloqueŽ et qu'elle ne puisse pas y accéder avec sa caravane, ni d'ailleurs qu'elle n'y est pas déjà installée à titre de résidence, en deuxième lieu, le terrain se situe en zone N du règlement de PLU de Mougins, qui y interdit le stationnement des caravanes, en troisième lieu, le stationnement prévu à l'article R. 421 3 du code de l'urbanisme concerne des terrains permettant d'accueillir les caravanes, il n'est donc pas possible d'installer une caravane, même à titre provisoire, sur un terrain rendu inconstructible par un document d'urbanisme et, en dernier lieu, Mme Winterstein a été contrainte par une ordonnance du tribunal judiciaire de Grasse en 2017 à enlever ses caravanes non seulement au regard des dispositions du règlement de PLU de Mougins, mais aussi en tenant compte du risque incendie particulièrement élevé sur ce terrain qui se situe en zone rouge du PPRIF applicable à la commune ;
- il n'est pas porté d'atteinte à sa liberté d'aller et venir dès lors que, d'une part, le dispositif a pour unique but d'empêcher l'accès aux véhicules de très grande taille afin de faire respecter la limitation de tonnage, le chemin demeurant parfaitement accessible pour les autres véhicules à moteur et, d'autre part, la liberté de circulation sur la voie publique peut et doit être conciliée avec les impératifs de conservation des voies communales ;
- il n'est pas porté atteinte à son droit à mener une vie privée et familiale normale dès lors que l'installation de ces dispositifs est totalement étrangère à l'improbable volonté de nuire à la communauté des gens du voyage que Mme Winterstein veut prêter à la commune de Mougins et c'est pour cela que le juge des référés du tribunal administratif de Nice n'a pas retenu une telle atteinte.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2021, Mme Winterstein conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Mougins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient à titre principal que la requête est irrecevable et à titre subsidiaire qu'elle doit être rejetée comme non fondée dès lors que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Mougins et d'autre part, M. Hoffmann et Mme Winterstein ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 juin 2021, à 15 heures :

- Me Texier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Mougins ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Hoffmann et Mme Winterstein ;

- le représentant de M. Hoffmann et de Mme Winterstein ;

- M. Hoffmann ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

3. Le libre accès des riverains à la voie publique constitue un accessoire du droit de propriété lequel a le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. La privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté, pouvant justifier l'intervention du juge des référés saisi au titre de cet article de toute mesure nécessaire de sauvegarde.

4. La commune de Mougins a fait poser, le 31 mars 2021, sur le chemin communal Pablo Picasso, à proximité des deux terrains qui sont la propriété de M. Hoffmann et Mme Winterstein, deux dispositifs constitués de trois plots bétonnés ancrés au sol et installés en quinconce. Sur la demande de M. Hoffmann et Mme Winterstein, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, par deux ordonnances du 12 mai 2021, ordonné à la commune de Mougins de retirer ces deux dispositifs dans un délai de huit jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard. La commune de Mougins fait appel de ces deux ordonnances.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des éléments recueillis au cours de l'audience publique, d'une part, que M. Hoffmann et Mme Winterstein, qui appartiennent à la communauté des gens du voyage, utilisent les deux terrains dont ils sont propriétaires depuis une quinzaine d'années pour installer leurs deux caravanes qui leur servent de domicile, avec leurs trois enfants, lorsqu'ils ne se déplacent pas, notamment en hiver. Ils ne disposent d'aucun autre domicile. Leurs enfants sont d'ailleurs scolarisés dans la commune de Mougins. D'autre part, les deux ensembles de plots bétonnés installés par la commune rendent en pratique impossible l'accès de ces terrains aux caravanes des intéressés. Depuis la mise en place de ces dispositifs, M. Hoffmann et Mme Winterstein ne peuvent plus ni sortir la caravane qui était installée sur leurs terrains, ni y faire entrer leur seconde caravane qu'ils doivent faire stationner ailleurs, alors même qu'ils ont besoin de leurs deux caravanes pour abriter leurs enfants.

6. D'une part, la circonstance que l'installation de deux ensembles de trois plots en béton sur le chemin Pablo Picasso de part et d'autre des terrains de M. Hoffmann et Mme Winterstein se traduise pour eux par l'impossibilité de faire entrer ou sortir leurs caravanes de leur propriété alors que ces dernières leur servent de domicile familial et que leur mode de vie repose sur des déplacements fréquents est de nature, en l'espèce, à caractériser une situation d'urgence justifiant la nécessité de bénéficier à bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. D'autre part, si la commune de Mougins fait valoir que les deux dispositifs de plots qu'elle a fait installer répondent à un objectif de sécurité routière, ralentir la circulation des camions et interdire aux plus lourds l'accès au chemin communal, ces plots ont été placés de part et d'autre des parcelles de M. Hoffmann et Mme Winterstein de telle sorte qu'ils en interdisent complètement l'entrée ou la sortie à un véhicule tractant une caravane. Par ailleurs, la commune ne justifie pas qu'elle n'aurait pas pu recourir à un autre dispositif pour interdire la circulation des poids lourds les plus gros porteurs sur le chemin communal tout en préservant le passage des caravanes. Il s'ensuit, quelles que soient les règles d'urbanisme applicables aux terrains en cause, que le dispositif ainsi mis en oeuvre porte, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de circulation et au droit de propriété de M. Hoffmann et Mme Winterstein.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme Winterstein, que la commune de Mougins n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nice, par les deux ordonnances attaquées, lui a enjoint de retirer les deux dispositifs de plots bétonnés installés sur le chemin communal Pablo Picasso. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Mougins la somme de 1 000 euros à verser respectivement à M. Hoffmann et Mme Winterstein.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Mougins est rejetée.
Article 2 : La commune de Mougins versera respectivement à M. Hoffmann et Mme Winterstein la somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Mougins ainsi qu'à M. Paul Hoffmann et Mme Anne-Marie Winterstein.