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Ariane Web: Conseil d'État 456995, lecture du 29 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:456995.20211129

Décision n° 456995
29 novembre 2021
Conseil d'État

N° 456995
ECLI:FR:CECHR:2021:456995.20211129
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du lundi 29 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 20NC00819 du 23 septembre 2021, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nancy, avant de statuer sur l'appel formé par Mme A... H... contre le jugement du 28 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012, 2013 et 2014, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat en soumettant à son examen les questions suivantes :

" - la méconnaissance, par un résidant fiscal français travaillant en Suisse, de l'obligation de remise à son employeur suisse de l'attestation de résidence prévue par un échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007 entre les autorités compétentes françaises et suisses conduit-elle à transférer le pouvoir d'imposer les rémunérations de l'intéressé aux autorités suisses sur le fondement de l'article 17, 1 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 '

- Ou s'agit-il au contraire d'une circonstance sans incidence sur l'application du régime spécifique des travailleurs frontaliers prévu par le § 4 de l'article 17 de la convention fiscale franco-suisse et par l'accord du 11 avril 1983, et notamment sur l'application du principe selon lequel les salaires perçus par ces travailleurs salariés ne sont imposables que dans l'Etat de résidence ' "


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention signée le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- l'accord conclu le 11 avril 1983 entre la France et la Suisse, relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT


1. Aux termes de l'article 17 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, relatif aux traitements et salaires privés : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 18 à 21, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat (...). / 4. Les dispositions de l'accord du 11 avril 1983 relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers, qui font partie intégrante de la présente convention, s'appliquent nonobstant les dispositions précédentes du présent article, mais sous réserve des dispositions des articles 18, 19 et 21 ". Ces derniers articles sont relatifs, respectivement, aux tantièmes et jetons de présence, aux artistes et sportifs et aux rémunérations et pensions publiques.

2. Aux termes de l'article 1er de l'accord relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers conclu le 11 avril 1983 entre la France et le Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura : " Les salaires, traitements et autres rémunérations similaires reçus par les travailleurs frontaliers ne sont imposables que dans l'Etat où ils sont les résidents, moyennant une compensation financière au profit de l'autre Etat ". L'article 3 du même accord stipule : " L'expression " travailleur frontalier " désigne toute personne résidente d'un Etat qui exerce une activité salariée dans l'autre Etat chez un employeur établi dans cet autre Etat et qui retourne, en règle générale, chaque jour dans l'Etat dont elle est le résident ".

3. Aux termes de l'article 31 de la convention du 9 septembre 1966 : " 1. Les autorités compétentes des Etats contractants déterminent les modalités d'application de la présente convention. (...) 2. Pour obtenir dans un Etat contractant les avantages prévus par la présente convention, les résidents de l'autre Etat contractant doivent, à moins que les autorités compétentes en disposent autrement, présenter un formulaire d'attestation de résidence indiquant en particulier la nature ainsi que le montant ou la valeur des revenus ou de la fortune concernés, et comportant la certification des services fiscaux de cet autre Etat ". Aux termes du i) du 1. de l'article 3 de cette convention : " L'expression "autorité compétente" désigne : i) dans le cas de la France, le ministre chargé du budget ou son représentant autorisé ; ii) dans le cas de la Suisse, le directeur de l'administration fédérale des contributions ou son représentant autorisé ".

4. Par un échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007, publié le 10 décembre 2007 au bulletin officiel des impôts sous la référence 14 B-1-07 et repris au paragraphe n° 80 des commentaires administratifs publiés le 15 juillet 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-INT-CVB-CHE-10-20-60, les autorités compétentes française et suisse ont précisé, en application des stipulations précitées de l'article 31 de la convention du 9 septembre 1966, que pour bénéficier, à compter du 1er janvier 2008, de l'exonération de retenue à la source sur leur salaire, les salariés ayant la qualité de travailleurs frontaliers au sens de l'article 3 de l'accord du 11 avril 1983 devaient remettre, au plus tard le 1er janvier de l'année au titre de laquelle ils sollicitaient l'application du régime spécifique prévu par cet accord, une attestation de résidence fiscale à leur employeur et qu'à défaut de production de cette attestation, l'employeur était tenu de prélever la retenue à la source, conformément aux dispositions légales en vigueur.

5. Il résulte des stipulations précitées du 4 de l'article 17 de la convention du 9 septembre 1966 et de l'accord du 11 avril 1983 que, par dérogation à la règle énoncée au 1 de l'article 17 de cette convention selon laquelle les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat sont imposables concurremment dans cet autre Etat et dans l'Etat de résidence, les parties signataires ont entendu attribuer au seul Etat de résidence le pouvoir de taxer les revenus perçus par les travailleurs frontaliers à raison d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat, moyennant une compensation financière au profit de cet autre Etat.

6. La circonstance qu'un travailleur frontalier résident de France ait omis de remettre à son employeur suisse, avant le 1er janvier de l'année concernée, l'attestation de résidence fiscale prévue par le 2 de l'article 31 de la convention du 9 septembre 1966, selon les modalités précisées par l'échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007, si elle est de nature à le priver, le cas échéant, de la possibilité d'obtenir l'avantage consistant en ce que la retenue à la source prévue par les dispositions du droit fiscal suisse ne soit pas pratiquée, ne saurait avoir pour effet de priver la France du pouvoir exclusif de taxer qu'elle tient des stipulations rappelées au point précédent et qui ne saurait être regardé comme un " avantage " prévu par la convention au bénéfice des résidents de l'un ou l'autre des Etats signataires.

7. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Nancy, à Mme A... H... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. E... B..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. D... G..., M. C... F..., M. Christian Fournier, conseillers d'Etat et M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur-rapporteur.

Rendu le 29 novembre 2021







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