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Ariane Web: Conseil d'État 460055, lecture du 24 janvier 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:460055.20220124

Décision n° 460055
24 janvier 2022
Conseil d'État

N° 460055
ECLI:FR:CEORD:2022:460055.20220124
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du lundi 24 janvier 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

I. Sous le n° 460055, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er et 14 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution du II de l'article 1er de cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté contesté préjudicie de manière grave et immédiate à la situation de ses adhérents, en les obligeant à détruire leurs stocks de fleurs et feuilles de chanvre et en les privant de revenus représentant entre 50 et 70 % de leur chiffre d'affaires, sauf à les exposer à un risque pénal élevé, avec des conséquences irrémédiables sur leur viabilité économique à très court terme ;
- il est porté une atteinte grave à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté contractuelle, au droit de propriété, à la liberté personnelle et à la liberté d'aller et venir, de façon manifestement illégale au regard des règles de compétence, de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique et des articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, compte tenu de l'absence de risques pour la santé publique et, en tout état de cause, du caractère manifestement disproportionné de l'interdiction édictée.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 janvier 2022, la société Dream Flower CBD Shop demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête. Elle soutient qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté contractuelle, par une interdiction injustifiée et discriminatoire, entachée d'incompétence et, en tout état de cause, manifestement disproportionnée.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 10 janvier 2022, la société Shyw demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête. Elle soutient qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté contractuelle, par une interdiction injustifiée et discriminatoire, entachée d'incompétence, contraire au droit de l'Union européenne et, en tout état de cause, manifestement disproportionnée.


II. Sous le n° 460290, par une requête, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 10, 11 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Slow et la société Studio LR demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du premier alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'interdiction édictée les contraint à mettre fin à la commercialisation de tisanes comportant des fleurs et feuilles de chanvre, qui représente l'intégralité de leur activité de commerce en ligne ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées, en ce qu'elles méconnaissent les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en ce qu'elles sont entachées d'incohérence, d'un détournement de l'objectif de santé publique aux fins de lutte contre les stupéfiants, en méconnaissance du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, et, en tout état de cause, d'une disproportion manifeste.


III. Sous le n° 460300, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Weedstock, la société Comptoir du chanvre, la société Buddha Farm's et la société Zentitude demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la commercialisation de produits comportant des fleurs et feuilles de chanvre constitue une part substantielle de leur chiffre d'affaires et, d'autre part, la détention en stocks de ces produits les expose à des poursuites pénales ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées ;
- celles du premier alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021 méconnaissent, d'une part, l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en édictant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation injustifiée en l'absence de risque pour la santé et en tout état de cause disproportionnée et, d'autre part, les dispositions de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique, qui s'appliquent seulement aux stupéfiants, alors que les fleurs et feuilles de chanvre comportant moins de 0,30 % de THC ne sauraient, sans erreur manifeste d'appréciation, être regardées comme telles et que les motifs allégués d'ordre public et de protection des consommateurs ne sauraient non plus justifier une interdiction générale ;
- celles du second alinéa du II de l'article 1er sont entachées d'incompétence, méconnaissent l'article 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en édictant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'exportation et entraînent une discrimination " à rebours ", au détriment des producteurs français.


IV. Sous le n° 460326, par une requête enregistrée le 11 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Green Leaf Company demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du II de l'article 1er de de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard au caractère général de l'interdiction édictée, qui la contraint à mettre fin à la commercialisation de l'ensemble de ses produits comportant des fleurs et feuilles de chanvre et met en péril sa pérennité à très court terme ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'interdiction contestée, en ce qu'elle est entachée d'incompétence puisqu'elle porte sur des produits non stupéfiants, en ce qu'elle introduit une différence de traitement injustifiée entre des produits respectant un plafond de 0,30 % de THC, en ce qu'elle constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation et à l'exportation contraire aux articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, prohibée en l'absence de motif de santé publique, en ce qu'elle porte une atteinte à la liberté d'entreprendre qui n'est pas non plus justifiée par le motif d'ordre public allégué à titre subsidiaire et, en tout état de cause, en ce qu'elle est manifestement disproportionnée.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 janvier 2022, le Syndicat professionnel du chanvre demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête, par les mêmes moyens.


V. Sous le n° 460334, par une requête enregistrée le 12 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Mister Flower Avenue Niel, la société Mister Flower Levallois, la société Mister Flower CBD et la société FD Holding Investissement demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'interdiction de la vente de fleurs et feuilles de chanvre, qui représente 70 % de leur chiffre d'affaires, met en péril leurs jeunes sociétés et les expose à des poursuites pénales à raison de leur stock ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, qui est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en l'absence d'effet nocif du cannabidiol et compte tenu des moyens permettant de le distinguer du cannabis récréatif, méconnaît les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et n'a pas donné lieu à la décision prévue à l'article L. 5132-7 du code de la santé publique.


VI. Sous le n° 460370, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Shyw demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, suite à la relaxe de ses dirigeants au pénal, elle avait développé une activité qui se trouve mise à l'arrêt et constitué un stock de produits de fleurs et feuilles de chanvre voué à la perte, ce qui l'expose à un risque de faillite à très court terme ainsi qu'à de nouvelles poursuites pénales ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, en ce qu'il n'est pas justifié qu'il a été précédé de l'avis de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et en ce qu'il méconnaît, en premier lieu, le principe de sécurité juridique, faute de clarté, d'intelligibilité, de prévisibilité et de mesures transitoires, en deuxième lieu, les prescriptions de la directive 2002/53/CE du Conseil du 13 juin 2002 relative au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, faute d'autorisation préalable publiée dans ce catalogue, en troisième lieu, l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, faute d'être justifié par un intérêt public pouvant se rattacher à la protection de la santé publique ou de l'ordre public, et, enfin, le principe d'égalité en instituant une discrimination à rebours non justifiée.


VII. Sous le n° 460375, par une requête enregistrée le 12 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761- 1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté contesté préjudicie de manière grave et immédiate à la situation de ses adhérents, en les obligeant à détruire leurs stocks de fleurs et feuilles de chanvre et en les privant de revenus représentant entre 50 et 70 % de leur chiffre d'affaires, sauf à les exposer à un risque pénal élevé, avec des conséquences irrémédiables sur leur viabilité économique à très court terme, sur l'emploi et sur le développement de la filière en France ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, en ce qu'il est privé d'une base légale permettant d'interdire la commercialisation et la consommation de fleurs et feuilles de chanvre contenant moins de 0,30 % de THC, en ce qu'une telle interdiction constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative aux échanges prohibée par le droit de l'Union européenne, en ce qu'il méconnaît le principe de sécurité juridique en l'absence de dispositions transitoires, ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, enfin en ce qu'il est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir, en l'absence d'effets nocifs de ces produits pour la santé et en l'absence de nécessité d'une telle interdiction pour les motifs de sécurité publique allégués.

Par un mémoire en défense unique, enregistré le 13 janvier 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet des requêtes. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'a été portée à une liberté fondamentale et qu'aucun doute sérieux n'existe quant à la légalité de l'arrêté contesté.

Les requêtes ont été communiquées au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'intérieur, qui n'ont pas produit d'observations.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Union des professionnels du CBD, le Syndicat professionnel du chanvre et les sociétés Slow, Studio LR, Weedstock, Comptoir du chanvre, Buddha Farm's, Zentitude, Green Leaf Company, Mister Flower Avenue Niel, Mister Flower Levallois, Mister Flower CBD, FD Holding Investissement, Dream Flower CBD shop et Shyw et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, le ministre de l'intérieur ainsi que le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 janvier 2022, à 10 heures 30 :

- Me Gouz-Fitoussi, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des sociétés Weedstock, Mister Flower Niel et autres ;
- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Green Leaf Company et du syndicat professionnel du chanvre ;
- Me Texier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Dream Flower CBD Shop et de la société Shyw ;
- les représentants de l'Union des professionnels du CBD ;
- les représentants de la société Slow ;
- le représentant de la société Weedstock ;
- le représentant de la société Green Leaf Company et du Syndicat professionnel du chanvre ;
- la représentante de la société Mister Flower Niel ;
- la représentante de la société Shyw ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour la première d'entre elles, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, pour les six autres, sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, tendent à la suspension de l'exécution des dispositions du même arrêté. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

3. La société Dream Flower CBD Shop, la société Shyw et le Syndicat professionnel du chanvre ont intérêt à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 30 décembre 2021. Leur intervention est, par suite, recevable.

4. Aux termes de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique : " La production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses sont soumises à des conditions définies par décrets en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 5132-86 de ce code : " I. - Sont interdits la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi : 1° Du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine ; (...) / II. - (...) / La culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés peuvent être autorisées, sur proposition du directeur général de l'agence, par arrêté des ministres chargés de l'agriculture, des douanes, de l'industrie et de la santé. (...) ".

5. Sur le fondement des dispositions du II de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique citées au point 4, l'arrêté du 30 décembre 2021 contesté autorise " la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de cannabis sativa L. dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas supérieure à 0,30 % et qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France ". Il précise toutefois, à l'article 1er : " II. - Les fleurs et les feuilles des variétés mentionnées au I ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d'extraits de chanvre. Sont notamment interdites la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation. / (...) ".

6. Les requérants contestent à titre principal les dispositions du II de l'article 1er de l'arrêté interdisant la vente aux consommateurs, la détention et la consommation des fleurs et feuilles de cannabis sativa L., même si leur teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), substance classée comme stupéfiante, est inférieure au seuil de 0,30 %, alors que ce seuil est considéré en vertu du I du même arrêté comme celui en dessous duquel les plantes de cannabis sativa L. sont dépourvues de propriétés stupéfiantes, au sens du II de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique.

7. Au vu des pièces versées à la procédure par les parties et des échanges tenus au cours de l'audience, il ne résulte pas de l'instruction, à la date de la présente ordonnance, que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n'est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation, cette teneur étant d'ailleurs celle retenue par l'arrêté contesté lui-même, au I de son article 1er, pour caractériser les plantes autorisées à la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale. Il n'en résulte pas davantage qu'il ne serait pas possible de mobiliser les moyens permettant de contrôler cette teneur, alors que des moyens de contrôle sont détaillés, pour l'ensemble de la plante, à l'annexe de l'arrêté, afin de distinguer les feuilles et fleurs de chanvre qui, en raison de leur très faible teneur en THC, pourraient être regardées comme dépourvues de propriétés stupéfiantes, au sens du II de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique. Dès lors, en cet état de l'instruction, le moyen tiré de ce que la mesure d'interdiction générale et absolue prise présente un caractère disproportionné est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, et dès lors que la condition d'urgence, si elle est remplie pour l'interdiction édictée au premier alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté, ne l'est pas pour ses autres dispositions interdisant d'autres pratiques, comme le bouturage, et imposant que des contrats soient conclus, préalablement à la campagne de production, entre les producteurs et les acheteurs de fleurs et feuilles de chanvre produit sur le territoire français, que les requérants sont fondés à demander la suspension des seules dispositions du premier alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de la société Dream Flower CBD, de la société Shyw et du Syndicat professionnel du chanvre sont admises.
Article 2 : L'exécution des dispositions du premier alinéa du II de l'article 1er de l'arrêté du 30 décembre 2021 est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, ait statué sur leur légalité.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros chacune à l'Union des professionnels du CBD, à la société Slow, à la société Studio LR, à la société Weedstock, à la société Comptoir du Chanvre, à la société Buddha Farm's, à la société Zentitude, à la société Green Leaf Company, à la société Mister Flower Avenue Niel, à la société Mister Flower Levallois, à la société Mister Flower CBD, à la société FD Holding Investissement et à la société Shyw, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union des professionnels du CBD, à la société Dream Flower CBD Shop, à la société Slow, première dénommée sous le n° 460290, à la société Weedstock, première dénommée sous le n° 460300, à la société Green Leaf Company, au Syndicat professionnel du chanvre, à la société Mister Flower Avenue Niel, première dénommée sous le n° 460334, à la société Shyw et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 24 janvier 2022
Signé : Suzanne von Coester